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«20 février» : Les sept péchés capitaux
Publié dans Le temps le 18 - 04 - 2011

Les erreurs de jeunesse dont le «20 février» aurait pu se passer.
Que n'a-t-on pas dit sur le mouvement du 20 février. Dans l'actualité depuis près de deux mois maintenant, le mouvement a été examiné de long en large, ses messages disséqués au scalpel, l'espérance qu'il a suscitée, magnifiée pompeusement, la portée historique de sa marche, célébrée, le dynamisme de ses instigateurs loués. Que n'a-t-on pas analysé, débattu, ressassé ? Pourtant, au fil des manifestations, ce tableau idyllique affiche de plus en plus de fêlure. Le mouvement, jadis encensé pour la pureté de son logiciel et le formidable vent de fraîcheur qu'il a fait flotter sur le royaume, perd à présent de sa superbe. Comment est-on passé de Charybde en Scylla ? Les raisons abondent. Evidentes pour certaines, elles n'en sont pas moins à trouver dans les filigranes de l'actualité pour d'autres. Nous en avons dégagé sept !
1) Le Diktat de la pensée
C'est fâcheux, mais voilà. Manifestement, les jeunes s'arc-boutent à ce point à leurs acquis, qu'ils rejettent de prime abord toute amorce de critique. Enivrés par le succès sans précédent de la manifestation du 20 février, ils craignent tellement la manipulation à des fins confiscatoires, que -grave erreur- il s'opère en eux un repli presque sectaire. Ce repli s'incarne dans le rejet de la presse dite officielle. Les reporters de l'émission «Grand Angle» de 2M l'ont appris à leurs dépens. Ayant entrepris de tourner un reportage au cœur du dispositif 20 février, ils se verront débarqués sans ménagement du siège du PSU par une cohorte de jeunes belliqueux. Une question fondamentale se pose, celle de savoir si le mouvement dispose d'une assise intellectuelle solide ou bien n'est-il que l'émanation d'une rébellion adolescente. Cette question dérange vraisemblablement.
Globalement, le mouvement, apeuré, considère toute critique comme un sacrilège, mettant dans le même sac critique constructive et prise à partie infondée. C'est là une dérive nuisible à l'assimilation du mouvement. Exister durablement, disséminer ses idées, c'est se plier aux contraintes d'un débat juste et équilibré, arguments contre arguments, projet sociétal contre projet sociétal.
2) Le ni-ni
Ayant d'abord détonné dans le paysage civil et politique du royaume en posant les bonnes questions, le mouvement s'est subitement engagé dans un combat catégorique. Pis, au lendemain du discours du 9 mars, l'attitude du mouvement laissait penser que le discours historique de Mohammed VI n'avait jamais eu lieu. Ainsi, les revendications n'ont pas bougé d'un iota. Pis, celles-ci se sont même cristallisées autour d'un triptyque pour le moins nihiliste : «Dissolution du Parlement, démission du gouvernement et monarchie parlementaire». Opposant ce mantra à toute forme de négociations rationnelles, les jeunes se sont engagés sur une pente raide. D'essence inflexible, aucune réforme n'était plus satisfaisante. La commission consultative sur la révision de la constitution (CCRC) devenait illégitime car désignée exclusivement par le roi, les propositions émises par les partis politiques étaient nulles et non avenues car provenant de formations «corrompues» et «historiquement à la solde du Palais». Cette posture est hélas incompatible avec la démocratie que le mouvement appelle de ses vœux. Pourquoi ne pas associer son projet d'un Maroc meilleur à un socle programmatique clair, le faire valoir à travers une feuille de route cohérente, se constituer en parti et se plier au jeu politique ?
3) Tremplin à des mouvances parallèles
Justement, le ni-nisme dont se drape le mouvement, est une porte ouverte à toutes les récupérations. A ce titre, des formations plus organisées ont fondu sur les manifestations comme des vautours sur de vulgaires charognes. Al Adl Wa al Ihssane, la jamaâ prônant une théocratie fantasmagorique s'est, en se greffant aux raouts, frayée un début de chemin vers une normalisation de ses rapports avec le makhzen. En défilant pacifiquement aux côtés des 20 fébréristes, en épousant leurs exigences légitimes, elle aura affiché sa face la plus avouable aux yeux d'une opinion publique soudainement encline à l'acceptation. Et -la nature ayant horreur du vide idéologique- d'autres mouvances d'essence passéiste, se sont également incrustées dans le bric-à-brac général. Annahj, le PSU, autant de partis annihilés par la grande roue de l'Histoire, ont subitement eu voix au chapitre. Quant aux jeunes, une certaine appétence à ameuter le maximum de marcheurs aux défilés, les plonge dans un manque de discernement préjudiciable à leur cause. Pour peu qu'on batte le pavé en masse, qu'on fasse du chiffre, on peut arborer les couleurs politiques les plus improbables, les plus désuètes.
4) Méfiance généralisée
Nous sommes un dimanche 2 avril. Au Palais des congrès de Marrakech, une conférence portant sur le thème «Le Maroc nouveau» réunit un vaste aréopage de représentants politiques et civils. Le nœud gordien du débat s'illustre dans le souci de comprendre la jeunesse frondeuse. Ainsi, des porte-parole du 20 février furent conviés à expliquer leur vision du Maroc de demain. Or, qu'à-t-on vu ? Tandis que les différentes Chabibates des partis traditionnels ont saisi l'occasion de donner corps à leurs idées réformatrices, coup de théâtre, les 20 fébréristes décident de boycotter le dialogue. En cause, une incertitude somme toute futile autour de l'entité invitante. Douche froide dans les travées du Palais des congrès. Las, les 1500 participants, dont le motif essentiel de présence fut de s'enquérir des revendications du mouvement, resteront sur leur faim. Eternel paradoxe ! Alors même que les dysfonctionnements relevés par les jeunes sont légitimes, leurs slogans crédibles, ils pâtissent hélas d'une inexplicable politique de la chaise vide. Tout porte à croire qu'une paranoïa rogne les rangs du mouvement. Peur d'une dénaturation du message, peur d'une confrontation de points de vue, peur de rien, peur de tout. A la décharge des jeunes, nous conviendrons que le discours du 9 mars a peut-être porté le débat plus haut qu'il n'était prévu. Oui, car, dans le fond, la sortie du 20 février empruntait à des doléances systémiques certes, mais lourdement orientées socialement. Peut-être se seraient-ils satisfaits de mesurettes ponctuelles, embauches publiques massives, maîtrise des prix des produits de première nécessité, campagne d'assainissement dans le monde des affaires (limitée dans le temps), création d'une énième instance de lutte contre la fraude, la corruption, les prévarications, désengagement économique du Palais, etc. Or, en ce 9 mars 2011, le Roi a pulvérisé la barre du prévisible, en ordonnant une refonte constitutionnelle, un séisme systémique. Voila donc que ce mouvement natif de Facebook se voit, du jour au lendemain, projeté dans un débat constitutionnel d'une envergure éminemment intellectuel. Que faire alors ? Comment apporter sa pierre à l'édifice d'une jurisprudence constitutionnelle alambiquée par définition. Par quels moyens parvient-on à lire, analyser, critiquer pour ensuite proposer une alternative à 108 articles de loi, le tout en quelques jours ? A moins de posséder une équipe triée sur le volet de juriste-constitutionnalistes, l'entreprise est mort-née. Que fait-on alors ? On se claquemure dans le slogan et dans la rigidité de l'entêtement, on s'en prend à du symbolique, «baisemain», article 19, on rejette tout en bloc, la Commission consultative sur la révision de la constitution, les partis désireux d'influer sur le verdict des sages en proposant des pistes, les associations militantes prêtes à s'engager dans la réflexion. Il est dommage pour les 20 fébréristes de rater ce moment historique. Car, à la vérité, ce dernier n'aurait pas été possible sans ce cri de cœur sincère qu'ils produisirent à l'unisson. Passons.
5) Leader charismatique
Mai 68 a eu son Daniel Cohn-Bendit, l'UNFP son Ben Barka, Solidarnosc son Lech Walesa, le mouvement du 26 juillet son Ernesto Guevara. Or, qui synthétise la pensée du 20 février ? Qui lui donne une personnification effective ? Qui en est la voix ? Il semblerait que la minutie égalitaire du mouvement ait interdit l'émergence d'une personnalité capable de le doter d'une identité. Assurément, l'approche n'est pas à ce point mauvaise. Faire parler tout le monde, c'est bannir la hiérarchie et s'émanciper de toute domination des uns par les autres. Mais enfin, lorsque Abdeltif Menouni, président de la Commission consultative sur la révision de la constitution, s'adresse à la cellule Rabat-Salé du 20 février pour inviter le mouvement aux concertations, on lui oppose un délai de réponse au cours duquel on essaie de trouver un consensus couvrant l'ensemble des branches du mouvement. Là où un leader reconnu et investi d'une autorité légitime aurait tranché au plus vite. Improductif. Corollaire à l'absence de porte-voix au mouvement : un essaimage néfaste de l'esprit 20 février lequel devient une sorte de franchise apposée au fronton du moindre parti, de la moindre association, du moindre syndicat. Quand Abdelhamid Amine de l'AMDH s'exprime sur les ondes cathodiques, c'est au nom du mouvement ; si Nadia Yassine revient sur le devant de la scène, c'est sur le dos des jeunes. Le néant en matière de leadership est en cela bénéfique aux formations politiques qu'ils s'y abreuvent sans scrupules, légitimant toute sortes de revendications, y compris les plus groupusculaires. Pis, étant donné que dans sa mouture actuelle, le mouvement n'a d'existence que médiatique, une perversion inique se met en place. Ainsi, des hommes d'affaires se situant à des années lumières de la détresse populaire prennent des postures garibaldiennes et phagocytent les tabloïds. C'est le cas notamment de l'industriel Karim Tazi, vers lequel tous les micros se tendent et particulièrement ceux de la presse internationale. C'est la bacchanale révolutionnaire. Tout le monde se sert, qui pour redorer un blason idéologique, qui pour se refaire une santé médiatique. Le gâchis.
6) Trop de manif tue la manif !
L'adage fait cliché, mais dans le cas du 20 février, il se vérifie hélas : le mieux est l'ennemi du bien. Flashback. Le 20 février, un impressionnant élan humain bouleverse le pays. Dans 53 provinces, on s'élève contre l'impéritie de l'Etat, l'injustice sociale, les inégalités, la corruption des élites et des commis de l'état. Plus de 300 000 personnes fondent sur le bitume. Globalement, la marche se déroule sans heurts, si l'on exclue évidemment les cinq brûlés vifs d'Al Hoceima et les nombreux actes de vandalisme. Le succès est total. Au lendemain de cette journée, le Maroc n'est plus le même. Il flottera un parfum de liberté qui déliera les langues, exigera les réformes. La tension est à fleur de peau, les autorités sur le qui-vive et les débats font rage. On accorde un immense crédit à ces jeunes capables de briser la pensée unique, de se battre pour un idéal. Et puis, vint le 9 mars, l'aboutissement d'une lutte. Une fenêtre d'opportunité sans précédent pour tout ceux qui veulent démocratiser le pays. Le 13 mars, les jeunes ressortent rue d'Agadir (Casablanca) et se heurtent à une riposte musclée des forces de l'ordre. La bourde policière suscite la méfiance. Quid des promesses, se répète-t-on dans les états-majors du 20 février ? L'épisode est brandi tel un démenti cinglant de l'ouverture prônée par le roi. On annonce par conséquent d'autres marches. Advient le 20 mars. Les jeunes ressortent flanqués d'Al Adl, des Chabibates et de la gauche radicale. Cette fois-ci, la manifestation se déroule dans le pacifisme le plus abouti, mais fédère moins de participants, environ 60 000. En parallèle, la Commission consultative sur la révision de la constitution continue ses concertations avec les partis. Du côté des jeunes, on ne se dépareille pas de son triumvirat : «Fi du Parlement, Fi du gouvernement et fi de la monarchie constitutionnelle dans sa version actuelle». Au vu du succès du raout du 20 mars, on se promet de repartir pour un tour. C'est alors qu'intervient la dernière grande manif en date, celle du 3 avril. Pour pondérée qu'elle fût, elle n'en a pas moins été famélique. Finis les longs cortèges. Les 350 000 protestataires du 20 février furent réduits à leur portion congrue. A peine plus de 10 000 manifestants ont hypothéqué leur dimanche pour continuer à pressuriser le système. Las, le constat sur le terrain est quelque peu affligeant. Parlant jadis d'une voix unie et forte, le peuple s'est balkanisé. Si bien que la marche s'est transformée en la conjugaison de minuscules lobbies corporatistes. Ainsi a-t-on vu des employés de diverses entreprises publiques réclamant une hausse des pensions de retraites, ou autres chauffeurs de taxis blancs exigeant une révision de leurs tarifs à la hausse. Pis, la banalisation des marches est telle que la police, naguère aux aguets, n'y voit plus une urgence valant mobilisation massive. Le bon sens aurait voulu que la grande sortie du 20 février conserve son formidable impact sur les consciences en ne s'accompagnant guère de suites faiblardes. La hantise d'une manifestation similaire dans l'ampleur aurait agi sur la Commission d'une façon beaucoup plus effective, incitant- afin d'éviter une réplique populaire plus intense- les uns et les autres à plus d'audace dans les propositions. Or, que voit-on ? Les partis politiques dans leur ensemble affichent une timidité déconcertante dans la refonte du texte constitutionnel, conséquence d'une banalisation constante des raouts dominicaux. Le constat est terrible : on ne redoute plus les jeunes.
7) Parler au nom du peuple
Dès lors que l'on milite pour la justice sociale, qu'on lutte contre la corruption, qu'on fustige les prébendes, qu'on dénonce la mainmise d'un happy few sur l'économie nationale, qu'on combat des médias publics inodores et incolores, il n'est nul besoin d'enfoncer une porte ouverte en parlant au nom du «peuple marocain», car c'est là une évidence. Or voila, le réflexe inclusif des jeunes a attisé les passions. D'autant qu'aux premières sorties du mouvement, une certaine défiance vis-à-vis de la monarchie a engendré une parole libérée de tout tabou. Ainsi, la sacralité du Roi, la commanderie des croyants et le baisemain sont devenus des thématiques récurrentes. Partant, la démysthification du statut monarchique a polarisé la population. On vit alors la naissance d'une contre-pensée 20 fébrériste. L'Alliance citoyenne, les jeunes du 9 mars sont montés au créneau pour, non pas défendre le statu quo politique, mais rappeler le respect symbolique et l'attachement à la monarchie. Pourtant, la contre-offensive souverainiste du 9 mars est jugée «superflue» par nombre d'observateurs. Les demandes du 20 février sont en cela valides qu'elles font en principe consensus. En effet, qui ne voudrait pas assainir ce pays ? Ceci dit, l'assimilation du discours du 9 mars à une promesse potentiellement fausse par le 20 février et le rejet concomitant de la commission consultative, ont fait plané une sorte de doute quant au véritable agenda du mouvement. En conséquence de quoi, des sensibilités ultra-monarchistes se sont senties obligées de crier leur amour pour Mohammed VI, créant une division grotesque et inutile de la société marocaine. Or, en vérité, il n'y a pas débat sur la question car la démocratisation, et les jeunes du 20 février n'en réclament pas davantage, se fera dans le cadre d'une monarchie arrimée à 4 siècles d'Histoire légitime.
Réda Dalil


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