L'après 20 février est porteur de multiples enseignements. Analyse. Beaucoup de choses ont été écrites à propos du 20 février. Une mini-psychose fit d'abord irruption. Face à l'incertitude suscitée par le mouvement des jeunes, on a craint le pire. Finalement, l'événement eut lieu et les uns et les autres purent en analyser les ramifications. Les interprétations, pour nombreuses furent-elles, effleurèrent pour la plupart l'essence du phénomène, sans, hélas, le décrypter intégralement. Dans le cafouillis des développements ayant précédé, accompagné puis suivi le 20 février, des conclusions s'imposent à l'esprit. Il y aura, sans aucun doute, un avant et un après 20 février. Le nier, c'est s'aveugler d'un élément d'analyse des plus conséquents. Le topo est le suivant. Un groupe de jeunes lancent un appel sans précédent pour manifester afin de réclamer haut et fort équité, justice sociale et égalité des chances. Le message est magnifié par la Toile. Très vite, l'incitation à défiler, accompagnée de vidéos engagées et de manifestes explicites, trouve un public. Des discussions s'engagent, relayées par l'ensemble de la sphère médiatique. Sur les forums de discussions, les jeunes évoquent des sujets jusqu'alors jugés vieillots, sans intérêt. Sous le parapluie de la contestation, une pléiade de sensibilités politiques apparaît. On dissèque les prises de positions des formations politiques majeures, on glose sur la défection du PJD, la tiédeur du RNI, le dogmatisme procédural des éléphants de l'USFP, etc. La jeunesse, élément apolitique par nature (du moins c'est là le cliché consacré), se dote d'une consistance idéologique. Survient alors la manifestation. Pacifique dans l'ensemble, son apport s'incarnera davantage dans ce qu'elle démontre comme intérêt vis-à-vis de la politique. Le sentiment régnant est le suivant : «Nous avons raté les législatives de 2007 en nous abstenant massivement, cette époque est désormais révolue». Il faudra donc se féliciter de cette vague de politisation massive et, plus important encore, expéditive. Ce que ni les partis, ni le gouvernement, ni les projets de réforme, ni le défunt «Daba» de Noureddine Ayouch n'ont pu accomplir, la jeunesse, allaitée au sein de facebook l'a fait. Dont acte. Attendons-nous à une ruée vers les urnes en 2012. L'acquis est de taille. Car le scrutin de 2007, si transparent fût-il, a néanmoins laissé un arrière-goût amer chez les électeurs. Avec un taux de participation d'à peine 30%, la majorité istiqlalienne, bien que légitime, fut bien en peine de s'imposer comme telle. D'où sa stigmatisation et la cristallisation du rejet autour de son chef de file Abbas El Fassi. Demain, dans l'hypothèse d'un raz-de-marée participatif, quel que soit le verdict des urnes, le parti décrochant la palme sera jugé sur son action et non sur un plébiscite boiteux. «Parti» pour un tour S'agissant des partis justement, l'expérience du 20 février aura été très révélatrice. En premier lieu, il a fallu se positionner, donner son opinion à propos du cri du coeur des jeunes. Réunis en conclave avant la manifestation, majorité et opposition sous la houlette du Premier ministre, les états-majors ont parlé d'une seule voix. A l'unisson, ils ont annoncé leur non-participation à l'événement. Or, un parti n'est pas l'apanage d'un bureau politique ou d'un comité exécutif. Un parti est un organisme protéiforme comprenant souvent des oppositions internes. Ainsi les Chabiba USFPéiste et PJDistes se sont désolidarisées des consignes de leurs aînés, parasitant un message qui se voulait translucide. Dans le cas du PJD, le logiciel idéologique s'effrite. Se posant comme le mouvement politique le plus ancré à la réalité sociale du pays, le parti de la Lampe s'est néanmoins absout des doléances de la rue. Résultat, une brèche s'ouvre. Mustapha Ramid, chef du groupe parlementaire du parti, Lahbib Chobani et Abdelali Hamiededdine quittent le Secrétariat général. La mésaventure prive le PJD de quelques plumes de légitimité. En effet, entre le discours de proximité, tenu historiquement par ses chantres, et la désolidarisation volontaire d'un mouvement prônant réformes politiques, fin de l'impunité, dignité individuelle, assainissement du climat des affaires, (autant de revendications dont les députés PJDistes n'ont eu de cesse d'évoquer dans l'hémicycle), le gap est béant. Du côté de la gauche, on est perplexe. Et pour cause, la position anti-marche de l'USFP provoque bien des remous au sein de la base militante. Ainsi, le dernier rassemblement du parti de la Rose fut le théâtre d'une empoignade verbale des plus intenses. Mot d'ordre : le Bureau politique a été sommé de se retirer du gouvernement. Equation ardue pour une formation trustant cinq portefeuilles ministériels. Jusqu'au bout de la nuit, le SG du parti de Ben Barka, Abdelouahed Radi, tentera d'esquiver l'option «retrait définitif» de l'Exécutif. Las, les militants insistent. Voila donc l'USFP récoltant les fruits amers d'une surdité à l'endroit du vœu populaire. Un relooking et vite ! A la vérité, le 20 février aura agi comme un catalyseur de réformes partisanes. Dans le cas symbolique de l'USFP, le faux-pas présumé du Bureau politique a résulté sur une fracture interne. La marche de la jeunesse aura été à ce point édifiante que non seulement elle pose le problème d'une déconnexion terminale entre le peuple et les gouvernants ; mais, pis encore, celle de dirigeants de parti avec leurs électeurs historiques. Les récentes rumeurs de rapprochement contre-nature entre l'USFP et le PAM avaient commencé par mettre le feu aux poudres. A présent, on réclame la «tenue imminente» d'un congrès au cours duquel on votera pour constituer un nouveau leadership. Bilan : double perte pour les éléphants du parti. Dans un autre registre non moins pertinent, il y a le PAM. Le parti du Tracteur a, sans surprise, boycotté la marche. Pour autant, la déflagration idéologique du 20 février n'aura pas manqué d'en ébranler les fondements. D'abord, un problème de perception. A tort ou à raison, les slogans visant le PAM se sont pour l'essentiel coulés dans un puissant leitmotiv. Ce parti, qui prône la cohésion politique du pays en proposant une troisième voie, est perçu comme un perturbateur du champ partisan. En cause, l'explosion des flux transhumants dont le PAM est à l'origine. En second lieu, il y a ce fait insolite, que les détracteurs du PAM ne manquent pas de souligner : les agglomérations contrôlées par ce dernier furent celles où le plus grand nombre de dégâts a été déploré. Aux actes de délinquances innommables observés à Al Hoceima, sont venus se greffer les destructions de magasins à Marrakech, les pyromanies de Tanger et l'insurrection violente de Larache. Pis, le nombre de morts advenues dans le Rif dépasse celui constaté sur tout le reste du royaume. Bien entendu, toute explication autre qu'une funeste coïncidence serait ridicule, reste que le constat fait mal. La valse des p'tites phrases Les ramifications du 20 février sont nombreuses. Elles transcendent les partis politiques pour s'étendre aux personnalités publiques. Dans ce registre, il semblerait que les langues se soient subitement déliées. Aux premiers rangs des snipers verbaux, on retrouve Karim Tazi. Lors du débat organisé par Akhbar Al Yaoum, cet industriel et président de l'AMITH (Association marocaine de l'industrie du textile et habillement), a estimé que l'immixtion du secrétariat particulier du roi dans les affaires est de nature à «biaiser la libre concurrence». Il appelle également à un changement constitutionnel. Là, il est pertinent de relever un parallèle saisissant. L'élite, coutumière des privilèges, semble battre au diapason d'une jeunesse à l'avenir bouché. Rares sont les occurrences historiques où les intérêts de classes sociales, diamétralement opposés, se sont conjugués avec une telle harmonie. Le constat est de taille. Et pour cause, le conservatisme des premiers rejoint la rage de renouveau des seconds. C'est peut-être là l'enseignement le plus probant du cri poussé par la jeunesse. Cet état de fait réfute la notion selon laquelle la marche du 20 février ne serait, dans l'absolu, qu'une lutte générationnelle classique, l'envie freudienne de «tuer le père». Manifestement, le besoin de reformuler le pacte de gouvernance politique traverse les âges et les couches sociétales. En conséquence de quoi, il est inutile et hautement contre-productif de concevoir le débat ainsi suscité à travers le prisme d'une lutte opposant deux camps distincts. Les fauteurs de troubles et les adeptes du statu quo. Sus aux divisions ! Probablement plus que n'importe quel autre acteur essentiel du jeu politique, Moncef Belkhayat, ministre de la Jeunesse et des Sports, symbolise cet affrontement idéologique stérile. En comparant sur sa page Facebook, les jeunes du 20 février à des «nervis du Polisario», il aura, du moins sur le papier, créé une division qui, hélas, n'avait pas lieu d'être. Surprenant venant d'un ministre dont la fonction même suggère une proximité évidente avec la jeunesse. Sa prise de position, sans doute consécutive à une poussée de patriotisme légitime, a manqué sa cible. Clairement, il n'existe pas deux Maroc se combattant l'un l'autre, les doléances des jeunes -le calme relatif de la marche en témoigne- ne visant ni l'intégrité territoriale, ni la personne du souverain. Bien au contraire. Si colère il y eut, celle-ci fut dirigée contre les partis politiques et, plus spécifiquement, contre le gouvernement en place. D'ailleurs, les critiques se sont principalement coagulées autour de la gestion de Abbas El Fassi. A ce titre, la réaction du palais a été empreinte de sagesse. En raison d'un hasard de calendrier, d'aucuns ont voulu voir dans le lancement du Conseil économique et social (CES), une réaction à chaud aux manifestations du 20 février. En réalité, il n'en est rien. Car si l'on use de ce raccourci mental, que fait-on de l'INDH (Initiative nationale pour le développement humain), de la régionalisation avancée, des projets sectoriels ? Des mesures préventives ? Non. De la même manière qu'il faille pointer la légalité absolue et la pleine justification des exigences réformatrices de la jeunesse, il est tout aussi essentiel de souligner ce qui a été fait par le règne actuel, ce qui se fait et ce qui se fera dans peu. Peut-on à telle enseigne souhaiter un remaniement ministériel ? On le peut. Réda Dalil Colère Rose qui peut ! Courroucés par la non-participation du parti de la Rose aux manifestations du 20 février, de nombreux membres du Conseil national de l'USFP réclament une démission générale des ministres socialistes du gouvernement. Le bras de fer entre les militants pourrait fortement déboucher sur l'abandon des strapontins ministériels. Affaire à suivre. Schismes Fracture chez les islamistes Opposants hargneux à la politique menée par la majorité, le commandement du PJD décide néanmoins de ne pas faire écho aux revendications des jeunes. Résultat : une jeunesse PJDiste frondeuse et la démission du chef de file des députés parlementaires islamistes Mustapha Ramid et de trois membres clés du parti. Dégâts Et… PAM ! Le PAM a cristallisé une bonne dose de mécontentement lors de la marche du 20 février. Les slogans visant le parti du Tracteur assimilaient celui-ci à un «perturbateur du jeu politique». Fait aggravant, les villes dirigées par le PAM sont celles qui auront connu le plus de dégâts matériels et humains. Conséquence, à Tanger, le maire PAM Fouad El Omary est en passe de perdre sa majorité au Conseil de la ville. Kafkaïen ! Vizir à la place du vizir Au lendemain des événements du 20 février, une folle rumeur circule dans le royaume. Mostapha Terrab, directeur général de l'OCP, serait en passe d'être nommé Premier ministre en remplacement de Abbas El Fassi. Les supputations atteindront leur apogée lorsqu'une deuxième rumeur plaide que le multi-diplômé Terrab aurait confié sa nomination imminente à des proches, compromettant par là même, l'option prise sur la primature.