2012 sera l'année du déséquilibre de la première caisse de retraite du royaume. Analyse. La retraite à 62 ans ? Telle a été la décision prise par la CMR, la plus grosse caisse publique de retraite. La Caisse marocaine de retraite sera la première à atteindre le déséquilibre entre ses fonds et ses prestations, et c'est bientôt, en 2012. A cette date, la caisse des fonctionnaires puisera dans ses réserves pour verser les pensions de ses retraités. En 2019, ce sera la panne sèche ! Les autres caisses, à l'exception de la CIMR, suivront. Le problème est réel, celui d'une transition démographique, doublée d'un important taux de chômage parmi les jeunes, ainsi que du fléau de l'absence de toute couverture, qu'elle soit de santé ou de retraite pour une large frange de la population marocaine. Le déficit : conséquence d'une mauvaise gestion ? «Le déficit est public, le trou provient de la Caisse marocaine de retraite, il faut revoir la gestion publique» tacle Jamal Belahrach, vice-président de la commission emploi à la CGEM lors d'une conférence organisée par Club Entreprendre le 15 juin à Casablanca. Pour le patronat marocain, les caisses publiques sont très généreuses, «certains fonctionnaires partent à la retraite et touchent 120% de leur dernier salaire». On pointe également du doigt le régime de ces fonds de retraite qui ne correspond plus à la réalité démographique, ni économique. En effet, les régimes de retraite par répartition, ou de solidarité intergénérationnelle sont, sur le plan international, le fruit des évolutions sociales de l'après Seconde Guerre mondiale. Selon ce principe, la génération actuelle d'actifs finance les retraités du moment. Dans ce schéma, ce ne sont pas les versements faits par un travailleur au cours de sa vie active qui définissent le niveau de sa retraite. Jusque là, les caisses fonctionnant ainsi ont été excédentaires et ont constitué des réserves. Mais la réalité va bientôt s'inverser. 2021 sera l'année du premier déficit pour le RCAR, l'autre régime pour contractuels du public. Quant à la CNSS, les premières difficultés vont surgir en 2037. Selon le rapport du cabinet français Actuaria, chargé d'étudier les différents scénarios pour le système marocain de retraite, la CIMR résiste bien et maintiendra l'équilibre. Le déficit des retraites a actuellement dépassé les 500 milliards de dirhams. Il devient donc urgent de prendre les décisions politiques nécessaires pour y remédier. Le cabinet Actuaria a présenté plusieurs scénarios à la commission technique chargée de suivre le dossier. Des scénarios qui ne font pas l'unanimité des protagonistes, syndicats ouvriers d'une part, et le patronat. D'autre part, ce dernier défend la proposition de prolonger l'âge du départ à la retraite à 62 ans. D'ailleurs, certains patrons ne voient aucun inconvénient à ce que l'âge professionnel atteigne 65 ans. «L'espérance de vie au Maroc est de 72 ans actuellement, les temps ont changé. A 60 ans, on est encore jeune» explique un chef d'entreprise. Prolonger l'âge de la retraite relève d'une décision politique, une proposition que les syndicats rejettent pour l'instant. Mais les professionnels qui la défendent proposent que la décision revienne aux travailleurs en dernier lieu. Selon un assureur, «On pourra toujours partir à la retraite à l'âge de 60 ans, mais on aura le choix de travailler jusqu'à l'âge de 62 ans». Scénario et mise en scène Le changement paramétrique en conservant la physionomie actuelle du système de retraite marocain est le scénario minimal que proposent les actuaires français. Selon cette «réforme minimale», il n'y aura pas d'uniformisation institutionnelle, mais des relèvements de plafond et l'extension de l'activité de certaines caisses. Ce remède n'aboutira pas à soigner complètement le système de retraite mais ne fera qu'éloigner un peu plus les dates du premier déficit. Par ailleurs, Actuaria propose un système avec plus d'uniformisation au niveau des bases. Une cotisation minimale obligatoire est prévue dans ce régime dit de tronc commun, et qui régira toutes les catégories socioprofessionnelles. Et puis à des niveaux supérieurs de réforme, le cabinet français propose de regrouper les régimes du secteur public en deux régimes additionnels unifiés : un régime de base qui respecte le monopole de la répartition obligatoire, un régime complémentaire qui fonctionne par capitalisation. Quant au régime privé, pas de répartition obligatoire, et on met davantage l'accent sur les comptes d'épargnes individuels, qui eux, sont obligatoires. Le schéma le plus extrême d'Actuaria est à l'américaine. Celui-ci prévoit une réforme radicale du système de retraite. Une refonte faisant ressortir un régime unique mêlant les principes de la répartition et ceux de la capitalisation. Tout sera obligatoire, même la capitalisation en régime collectif ou en compte d'épargne individuel à travers les fonds de pension. Jusque là, les professionnels de la retraite du secteur privé refusent une fusion des régimes. «Ce serait payer les retraités du public avec l'argent du privé» dit-on de leur côté. Les membres de la commission nationale sont également de cet avis. Chez les opérateurs du privé, on est plus intéressé par l'idée d'un régime de base obligatoire pour leur secteur. Les syndicats ouvriers, eux, restent fermes, pas de concessions et pas de retour sur les acquis de la classe ouvrière. Même son de cloche chez les patrons, «les entreprises sont les seuls créateurs de richesses au Maroc, il est hors de question qu'on touche à notre prix de revient» clame un patron. Pour l'instant, les partis politiques, censés être les animateurs du débat, ne semblent pas spécialement avoir un point de vue sur la question. Ce qui fait l'unanimité de tous les acteurs, c'est qu'aucune décision ne sera prise avant les élections législatives de 2012. Omar Radi