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Maroc, vers un polycentrisme maillé ? L'exemple de l'agglomération tangéroise (1/2)
Publié dans Le Soir Echos le 15 - 06 - 2010

La théorie urbaine classique s'appuie sur une urbanisation fondée sur le modèle unicentré (B.J. Berry, K. Hak-Min, 1994). La ville était vue comme un outil économique et une organisation de proximité. La théorie urbaine moderne a introduit la notion de polycentrisme. De nos jours, le monocentrisme et le polycentrisme sont les deux modèles emblématiques de développement urbain et spatial. Toutefois, le monocentrisme ne correspond pas à la nécessité d'un développement endogène ; car il conduit à la polarisation dans l'espace. Le polycentrisme demeure un concept très polysémique. Il évoque des rapports de synergie et de complémentarité (S. Davoudi, 2002). Les modèles polycentriques sont construits dans le but de saisir la périurbanisation et la déconcentration industrielle. L'objectif de ce présent papier est de montrer l'importance et les conditions du développement territorial polycentrique au Maroc.
Monocentrisme : Espace trop polarisateur
Le monocentrisme sous-entend que la ville (ou une région, un pays…) s'articule autour d'un seul centre dominant et unique, ou parfois avec des centres secondaires strictement en arrière par rapport au centre principal (B. Marrakchi, 2007, p.47). Dans ce cas, on parle aussi d'un espace à pôle dominant.
Le développement monocentrique (ou radioconcentrique) est un modèle plutôt de label français, pays de tradition centralisatrice. Paris joue un rôle écrasant au niveau de la région Île-de-France et un rôle encore plus dominant sur le territoire national (pour 2,2% de la superficie, la ville concentre 20% de la population et réalise 40% du PIB). Pour cette raison, l'expression «Paris et le désert français»  (J.-F Gravier, 1958) est bel et bien toujours d'actualité en France. Néanmoins, cette polarisation a permis à Paris de figurer parmi les quatre villes mondiales de plein exercice.
Bien entendu, on trouve le monocentrisme également dans plusieurs pays francophones. Au Maroc, Casablanca réalise 48% de la production industrielle, 36% des exportations, 51% du PIB industriel et 43% de l'effectif industriel total (B. Marrakchi, 2009, p.33). En Algérie, citons Alger qui concentre 45% des investissements étrangers (M. Hadyseyd, 1996, p.65). On peut ajouter également l'exemple de Dakar qui représente 0,3% du territoire sénégalais, mais réalise 55% du PIB national et concentre 80% des emplois commerciaux et industriels (A. Diagne, S. Kassoum, S. Sall, 2002, p.21). Dans le modèle monocentrique, l'essentiel des emplois se concentre au centre.
En somme, le territoire qui s'organise sous forme monocentrique conduit à la polarisation des activités et des richesses dans une seule unité spatiale. Le reste se trouve dans une situation de dépendance à l'égard de ce centre. Des facteurs politiques et économiques expliquent cette situation.
Polycentrisme : Espace équilibré
Inversement, lorsqu'une métropole compte plusieurs centres analogues ayant des poids homologues, alors on parlera de polycentrisme ou espace polynucléaire.
Le polycentrisme signifie que le développement d'un territoire s'effectue d'une façon équilibrée à toutes les échelles et entre plusieurs centres complémentaires dotés d'un avantage compétitif ou d'une vocation spécifique (F. GASCHET, 2001). Il permet en réalité de promouvoir un développement spatial et économique qui prend en considération les maillages urbains existant, tout en favorisant l'émergence des pôles périphériques (B. Marrakchi, 2007, p.48). Dans le modèle polycentrique, chaque centre tend à devenir polyfonctionnel en assurant plusieurs fonctions (d'affaires, de commerce, d'industries, de loisirs, etc.). C'est pour cette raison que la ville polycentrique se distingue par la périurbanisation de sa population.
Le développement polycentrique est un modèle de développement essentiellement américain. En fait, les Etats-Unis d'Amérique (EUA) sont fondés historiquement par plusieurs entités fédérales où chaque unité représente un centre indépendant au niveau national et à l'intérieur par plusieurs centres régionaux. Donc, on remarque que le polycentrisme pose un problème d'échelle. Par exemple, si Berlin est une agglomération polycentrique, elle apparaît comme monocentrique considérée d'un point de vue régional. Hors le territoire américain, le modèle a été appliqué tout d'abord aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et au Japon ; car ce sont les USA qui se sont occupés de la reconstruction de ces pays après la Seconde guerre mondiale. A l'échelle urbaine, le polycentrisme bascule aujourd'hui le monocentrisme dans les schémas d'aménagement du territoire de plusieurs métropoles. On peut citer, à titre d'exemple, les cas de Madrid, Berlin, Hong Kong, Tokyo ; mais aussi de Santiago du Chili, de Mexico City, de Buenos Aires, etc. ; ces villes se distinguent par la formation et l'importance de plusieurs centralités.
Désormais, le polycentrisme est un choix stratégique de plusieurs pays (développés ou en développement) pour la réussite du rééquilibrage spatial, non seulement des Etats, mais aussi des organisations régionales. L'Union européenne a opté pour le polycentrisme dans le développement spatial depuis mai 1999 avec l'adoption du Schéma de développement de l'espace communautaire (Commission européenne, 1999). L'objectif est de contrebalancer la monocentralité de la banane bleue (Londres/Paris/Munich/Hambourg) qui concentre les activités et les richesses par le renforcement des centres secondaires d'attraction. Donc, le succès du polycentrisme maillé dépend de la recomposition des territoires et de la redéfinition des missions de la puissance publique.
Modèle de villes polycentriques
On peut présenter trois modèles. Tout d'abord, le modèle d'Howard ou la «Cité-jardin». Il est l'un des premiers modèles de la ville polycentrique élaboré vers la fin du XIXe siècle (T. Paquot, 2005). C'est une réponse aux besoins d'urbanisation après la Révolution industrielle. La Cité-jardin est une ville entourée par des espaces agricoles ; les équipements publics sont concentrés au centre-ville et le foncier est maîtrisé par la municipalité qui dispose des moyens pour contrôler les activités économiques. Le modèle préconise des maxima de 58.000 personnes sur une superficie de 48,5 km2  pour la ville centrale et 32.000 personnes sur 32 km2 pour les centres secondaires. Mais, l'ensemble est relié par un réseau ferré dense (A. Foucaut, 1999). Le concept a été élaboré par Ebenezer Howard et mis en œuvre en 1903 avec la collaboration des architectes Raymond Unwin et Barry Parker dans le cadre de la réalisation des Cités-jardins de Letchworth, Hampstead et Welwyn près de Londres. Le modèle de cité-jardin, a été appliqué partiellement en France et en Belgique dans les années 1920/30 (G. Baty-Tornikian, 2001).
La ville fractale est un autre modèle de polycentrisme, due à l'emboîtement multi-échelle des espaces. Un tissu urbain fractal passe par la notion de répartition de la surface bâtie ou par le principe d'emboîtement d'échelles. Il s'appuie sur la théorie des places centrales de Walter Christaller modifiée par l'introduction de distances non uniformes entre les centres de différents niveaux hiérarchiques (P. Frankhauser, H. Houot, C. Tannier et al., 2007). Le modèle se caractérise par un allongement progressif de la bordure urbaine ; l'existence de grands espaces non bâtis contigus qui pénètrent le cœur du tissu urbain et par la concentration du bâti dans des zones interconnectées par des réseaux de transport. La ville fractale offre des avantages aux niveaux d'accessibilité (P. Frankhauser, 1994).
Le troisième modèle est celui de la ville axiale. Il s'agit des villes qui prennent la forme des «doigts de gants». La ville axiale est une ville polycentrique qui développe des axes de transport en commun le long desquels viennent s'installer les populations. Ceci favorise la mixité sociale. Parmi les villes axiales, on peut citer Berlin et Copenhague.
Ces modèles présentent bien évidemment des avantages en matière d'aménagement. Toutefois, il faut maintenir toujours que certaines limites peuvent surgir alors sur le terrain.
Maroc inutile, quelles solutions ?
Au Maroc, depuis l'accession du roi Mohammed VI au trône le 23 juillet 1999, on peut lire clairement dans ses multiples déplacements cette vision de polycentrisme. Tout d'abord avec la conciliation du centre (Rabat) avec les périphéries : le roi se rend en personne dans les villages les plus reculés du Maroc (B. Marrakchi, 2009, p.21) ; ensuite, avec la volonté affirmative de renforcer d'autres centres secondaires d'attractivité (Agadir, Marrakech, Fès, Tanger, Tétouan, Oujda, etc.) pour contrebalancer le poids écrasant de Casablanca. C'est aussi l'un des objectifs des programmes de mise à niveau urbain qui ont été mis en œuvre sans discrimination entre les grandes villes et les petites villes (Martil, Fkih Ben Salah, Errachdia, Erfoud, Figuig, Guelmim, etc.). Le polycentrisme se voit aussi dans la réalisation des Technoparcs non seulement sur l'axe Rabat-Casablanca, mais aussi à Agadir, Fès, Oujda et prochainement Tanger. En d'autres termes, le polycentrisme représente une solution pour réconcilier le «Maroc inutile» avec le «Maroc utile».
Le polycentrisme est également un choix stratégique pour débloquer la saturation d'une ville. Parfois, il devient fortement recommandable de favoriser l'émergence de centres secondaires comme alternative à un centre trop polarisateur (notamment en termes de mobilité). Une ville polycentrique favorise un rééquilibrage habitat/emploi dans la zone centrale et diminue la pression sur le réseau de transport en réduisant les taux de congestion et les effets externes négatifs (P. Salini, 1997, pp.20-21).
Au Maroc, la population urbaine progresse chaque année de 4% en moyenne. À ce propos, le gouvernement marocain s'est engagé, dans cette vision stratégique, par la création des nouvelles villes en vue de désengorger les principales métropoles du pays. On peut citer à titre d'exemple : Zenata à quelques kilomètres de Casablanca ; Tamansourt aux portes de Marrakech ; Tagadirt à 6 km d'Agadir sur la route de Marrakech ; Tamesna située entre Rabat et Témara, etc. A cela s'ajoutent, les nouvelles villes satellites projetées près de Tanger. Elles sont au total près de quinze villes nouvelles qui doivent être construites au Maroc à l'horizon 2020.
Les villes satellites désignent des entités urbaines ayant une autonomie fonctionnelle, mais dans le développement urbain dépendant d'une grande ville dont elles sont séparées.
En tout état de cause, la question reste alors de savoir si cette politique de nouveaux centres urbains contribue vraiment à réduire le déficit en logements et la pression foncière non réglementaire dans les principales agglomérations du royaume. La réalité est toute autre. En plus, avec cette politique nationale de créer de nouveaux pôles urbains, les autorités publiques sont censées répondre à la question suivante : Comment assurer à tous la possibilité de trouver un emploi sur place ? Cependant, l'avenir d'un Maroc puissant ne passera que par le «polycentrisme maillé» (territoires équilibrés, solidarité, respect de l'environnement, etc.).
*Université Abdelmalek Essaâdi – FSJES de Tanger. Membre de l'Equipe de recherche sur la gouvernance territoriale et le développement durable (GT2D)


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