Un an après l'entrée en vigueur de la loi relative à la protection des témoins de la corruption, Transparency Maroc constate des maladresses et une absence de vision claire du législateur. Les témoins d'actes de corruption ne sont pas protégés par la loi, selon Transparency Maroc. Une loi mal intitulée, complexe, ambiguë. Ce n'est pas une bonne note que donne Transparency Maroc à la loi n° 37-10 « relative à la protection des victimes, des témoins, des experts et des dénonciateurs en ce qui concerne les délits de corruption, de détournement, trafic d'influence et autres ». Une année après son entrée en vigueur, le texte présente de nombreuses lacunes de fond et de forme, selon l'association qui a tenté, mardi 30 octobre, de dresser un premier bilan de son application et surtout d'évaluer son efficacité juridique à protéger concrètement les victimes, les témoins et les dénonciateurs. Protection inégale S'il semble encore prématuré, pour les experts, de faire un diagnostic, ils n'hésitent pas, cependant, à souligner les erreurs de son élaboration. « Je critique énergétiquement l'intitulé qui fait preuve d'une désinvolture indigne d'un législateur sérieux. Un texte de loi ne se termine jamais par « et autres » », fait remarquer la secrétaire générale adjointe de Transparency Maroc, Michèle Zirari. Ambiguïté, c'est la première lacune que relèvent les experts pour qui le texte souffre d'une mauvaise adaptation et d'une incohérence due à l'amalgame entre témoin et victime. Des ingrédients qui ont contribué à compliquer la loi. « Elle est trop complexe dans la mesure où elle prévoit deux types de protections : importante lorsqu'il est question de crimes cités par la dite loi et moins importante quand ce n'est pas le cas », constate Michèle Zirari. Juriste de profession, cette dernière estime qu'il aurait été plus simple de prévoir une protection contre l'ensemble des infractions et ajouter à la loi des renvois clairs au code pénal pour ce qui est des peines et des sanctions. « La loi, finalement, ne peut protéger que contre les représailles violentes à condition d'en apporter la preuve », souligne-t-elle. Face à la corruption vécue au quotidien dans les différents services publics, le dénonciateur ne bénéficie pas de protection, même si son action citoyenne lui coûte une mutation ou la privation d'un droit. Michèle Zirari tient à mettre ce genre de situation en relief voulant ainsi prouver l'insuffisance de cette loi vis-à-vis des dénonciateurs/lanceurs d'alerte. « En fait, la loi aggrave même la situation du dénonciateur qui, s'il n'arrive pas à prouver la véracité de son témoignage, risque d'être condamné non pas pour dénonciation calomnieuse mais pour faux témoignage (...) Il risque ainsi 5ans de prison », affirme la secrétaire générale adjointe de l'association, recommandant au législateur de mieux protéger les lanceurs d'alerte. « Leur protection pourrait être prévue dans le code du travail ou au sein des institutions (...) Les problèmes de corruption ne sont pas traités spécifiquement par la loi», soutient-elle. Une loi plus élargie et plus détaillée avec plus de précision et de prise en considération des formes et situation de corruption, voilà ce qui aurait pu mieux garantir la protection des victimes, des témoins et des dénonciateurs. Adaptation maladroite Pour Chadia Choumi, enseignante à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociale de Rabat/Souissi, la loi gagnerait surtout à mieux distinguer entre témoin et victimes. « Dans le texte de loi, il y a confusion entre les deux. Est-ce que la loi protège les témoins ou les victimes ? », se demande l'universitaire estimant que le Maroc a tenu, par la présente loi, à « redorer son image » auprès de la communauté mondiale sans pour autant atteindre ses réels objectifs. « Le législateur a fait preuve de précipitation dans la mise en place de ce texte et cela ne peut avoir un impact positif sur son application qui souffre, aujourd'hui, de plusieurs incohérences », remarque Chadia Choumi pour qui le Maroc a tenté de joindre les termes de la convention des Nations unies contre la corruption et de la loi française de protection des témoins sans parvenir à les adapter à ses besoins. « Le législateur n'apporte pas de définitions claires et laisse aux juges toute la liberté d'utiliser leur pouvoir (...) La nature inquisitoire de notre système judiciaire fait du témoin un outil de la procédure, il est traité comme un accusé et peut même être soumis à la garde à vue. En échange, il n'a le droit qu'à une petite indemnité pour ses déplacements à condition qu'il en fasse la demande », explique l'universitaire précisant que la loi reste aussi limitée à la protection physique du témoin (s'il la revendique). Pour elle, c'est à un danger constant auquel le témoin est condamné. Témoin, victime et « les autres » Rachid Filali Meknassi, membre de Transparency-Maroc, qui a été le modérateur de cette table ronde, a estimé que le législateur marocain n'a pas réussi à s'inspirer de l'exemple français. « Il a adapté les dispositions de la loi française, mais d'une manière extrêmement maladroite», affirme-t-il, soulignant que le Maroc a tenté de rapporter les dispositions françaises à la convention des NU. « Ce qui lui a valu des incohérences dont la première est celle de mettre en avant la victime de la corruption et non le témoin. Pourtant, la victime est automatiquement protégée puisqu'elle déclenche la procédure », rappelle Filali Meknassi. Et de préciser que par « les autres », la loi cible des infractions contenues dans un ancien texte sur les écoutes téléphoniques liées au terrorisme, alors que le reste est indéfini. Rachid Filali Meknassi attire aussi l'attention sur l'inexistence d'aucune règle pour maintenir cette protection due au témoin après le verdict. * Tweet * *