Le projet de loi anti-corruption, qui a fait beaucoup parler de lui ces derniers temps a enfin été adopté par la Chambre des conseillers. Certes, le texte apporte un grand plus à la loi existante, mais il continue de faire l'objet de plusieurs critiques chez la société civile. Le projet de loi en question modifie et complète le code de procédure pénale en matière de protection des victimes, des témoins, des experts et des dénonciateurs en ce qui concerne les crimes de corruption, de détournement, de trafic d'influence, de dilapidation des deniers publics et autres délits. Il est destiné à «inciter les citoyens à contribuer à la moralisation de la vie politique que ce soit en dénonçant des délits de corruption ou en apportant leurs témoignages devant les différentes juridictions, en toute liberté, objectivité et sérénité». Le projet de loi prévoit de protéger les victimes, témoins et dénonciateurs de la corruption contre tout préjudice matériel ou moral, qu'il soit réel ou potentiel, visant leur intégrité physique, leurs biens ou leurs intérêts, l'assistance à la victime par un médecin ou un soutien social et la dissimulation de l'identité ou de l'adresse de la personne protégée y compris durant le déroulement des procédures de jugement. A cela s'ajoute la prévention des mesures d'intimidation ou de violence par divers moyens en faveur de la personne concernée et des membres de sa famille, telles que la mise à sa disposition d'agents de sécurité ou de numéros de téléphone pour donner d'alerte. Le texte permet aussi de recourir à «toute autre mesure». A-t-on les moyens nécessaires pour assister les témoins ? Ainsi, une grande palette de mesures est offerte. Mais, et c'est la question qui interpelle plusieurs acteurs, sera-t-il convenablement appliqué? Selon le directeur de l'Observatoire de la corruption, «la loi présente souffre d'énormes dysfonctionnements, notamment en ce qui concerne la protection de l'intégrité physique et des biens des personnes». En effet, ces mesures pourraient être compromises dans la mesure où les moyens et les ressources nécessaires allouées aux différents services de sécurité sont très minimes. A ce sujet, Transparency Maroc met le point dans une note sur ce projet de loi sur le fait que « Ni le tribunal, ni la police et la gendarmerie ne disposent de ressources et de moyens matériels pour affecter les personnels nécessaires à la protection des personnes concernées, ni encore moins de financer les opérations visant à les soustraire de leur environnement quotidien en cas de nécessité : déplacements, résidence provisoire…etc. Même les simples mesures techniques destinées à camoufler la voix du témoin et à le placer derrière un rideau peuvent s'avérer irréalisables pour certains services de police, de gendarmerie et de justice ». Insuffisance législative S'ajoute à cela le fait que les mesures retenues dans le texte de loi en vigueur sont plus appropriées aux investigations et aux poursuites afférentes aux crimes caractérisés par des pratiques violentes qu'à la délinquance en col blanc. Dans une note sur ce projet de loi, Transparency Maroc a mis le point sur au moins trois infractions importantes qui ont été omises par ce projet de texte. Il s'agirait des conflits d'intérêt prévues sanctionnés par les articles 245 et 246 du code pénal, de l'achat des voix lors des élections prévu et sanctionné par l'article 100 du code électoral) ainsi que de l'abus de biens sociaux. Les lois, les instances, les observatoires..sont là. Les scandales liés à la corruption sont constamment révélés mais les condamnations restent rares. Avoir une loi qui protège les témoins est une grande avancée pour le Maroc et ne fait qu'accélérer ce processus de transparence. Cependant, et comme le souligne Michèle Zirari, membre du bureau national de Transparency Maroc, «il est important de répéter une fois de plus que rédiger des lois n'est pas une fin en soi. L'important est de les appliquer. Et c'est le degré d'application de la loi qui indique le chemin parcouru sur la voie de l'Etat de droit».