Après la constitutionnalisation de l'Instance centrale de la prévention de la corruption (ICPC), garantir la protection des témoins devient une urgence. Un projet de loi est en cours d'examen à la Chambre des représentants. Mardi 21 juin. 16h. Dans l'enceinte du Parlement, la commission de la justice, de la législation et des droits humains de la Chambre des représentants se prépare à débattre du projet de loi n° 37-10 modifiant et complétant la loi n° 22-10 du Code pénal portant sur la protection juridique aux victimes, témoins, experts et aux dénonciateurs en ce qui concerne les délits liés à la corruption, au détournement, à l'abus de pouvoir et autres. En fait, l'intitulé du texte n'est pas encore définitif, comme d'ailleurs son contenu. La commission, présidée par le PJDiste Mustapha Ramid, se réunit en fin d'après-midi avec le ministre de la Justice, Mohamed Taïb Naciri, et le directeur des Affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice, Mohamed Abdennaboui, afin de se mettre d'accord sur le fond et la forme du texte. Ce projet de loi ne doit son existence qu'à la volonté de mettre un terme à cette peur constante de dénoncer les corrompus. Mais pour atteindre ce but, le département de Me Naciri est conscient qu'il devra mettre les bouchées doubles pour trouver les moyens d'encourager les citoyens à s'acquitter d'un devoir de moralisation de la vie publique qui pourra leur coûter très cher. En effet, les moyens financiers et humains que nécessiterait la protection des victimes, des témoins, des dénonciateurs et des experts ont de quoi alimenter le débat. Parmi les mesures prévues pour la protection des victimes (article 82-5), mettre à la disposition de ces dernières un numéro de téléphone spécial leur permettant de contacter la police judiciaire et les autorités de la sûreté à n'importe quel moment pour exiger leur protection. Cette dernière peut donc se traduire par une escorte (protection rapprochée) au profit de la victime mais aussi de sa famille. «Il est obligatoire d'assurer une protection à toutes les victimes dès le début de la procédure judiciaire et même après l'énoncé du verdict. Nous n'allons pas suspendre la protection tant qu'elle sera nécessaire. Nous voudrions que cette loi soit flexible afin de s'adapter aux besoins des victimes, des témoins et des dénonciateurs», affirme le directeur des Affaires pénales et des grâces au ministère de la Justice, Mohamed Abdennaboui. Parmi les mesures prévues pour la protection des victimes (article 82-5), un numéro de téléphone spécial. «Mais pour mettre en place ces lignes téléphoniques spéciales, nous nous demandons si cela est réellement possible !», lance le député PJD Slimane Amrani, l'un des membres les plus brillants de cette commission. En réponse, Mohamed Abdennabaoui a insisté sur l'importance d'assurer au moins « un minimum de protection », ce qui exclut, d'ores et déjà, l'éventualité d'un changement de lieu de résidence. «Le projet de loi ne l'a pas envisagé parce que cela imposerait d'énormes budgets. Au Canada, par exemple, cette mesure coûte environ 3,5 millions de dollars. Notre protection se focalise beaucoup plus sur l'appui psychologique», rappelle ce directeur. Le projet de loi compte, en effet, parmi ses mesures de soumettre les victimes aux médecins spécialisés et de leur accorder un soutien social. Mais il n'est pas question de leur octroyer un quelconque salaire ou indemnité, comme l'a proposé Slimane Amrani. «Nous craignons que cela fasse du témoignage une profession», confie Mohamed Abdennabaoui. Ce projet de loi accorde au témoin le droit de garder l'anonymat. Le tribunal pourrait ainsi, suite à la demande du parquet, mettre en œuvre toutes les dispositions nécessaires au bon déroulement du témoignage : rideau et modificateur de voix. «Je ne pense vraiment pas que le témoin doive disposer de l'anonymat. J'ai bien peur que cela n'altère le principe même du procès équitable», soutient Mustapha Ramid. Et de préciser que ce droit à l'anonymat se fera aux dépens de celui de la défense devant connaître les tenants et les aboutissants de tout le dossier. Avocat de formation, Mustapha Ramid ne cache pas son scepticisme quant à cette mesure en particulier qui, à son sens, risque de porter atteinte à la crédibilité du témoignage. Et d'appeler les magistrats à assumer leur entière responsabilité dans le cadre de ce projet. La commission de la justice, de la législation et des droits humains de la Chambre des représentants se donne deux semaines pour transcrire ses amendements afin de les intégrer au projet de loi avant son approbation. D'ici là, Mustapha Ramid invite les membres de son équipe à trancher dans cette équation : «Doit-on privilégier les principes du procès équitable comme le veut la tradition ou les changements qu'impose la réalisation d'objectifs dont l'importance est avérée : mettre fin à la corruption et aux abus ?».