Arrêté après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca et libéré de prison le 14 avril 2011, le cheikh salafiste Mohamed El Fizazi repense sérieusement à son vieux projet : la création du PST, le parti du savoir et du travail à caractère islamiste mais pas salafiste. Interview. Mohamed El Fizazi entretient des relations amicales avec les dirigeants du PJD. Mustapha Ramid lui a même promis de le soutenir dans ses démarches de création d'un nouveau parti politique. Pensez-vous qu'il est opportun de créer un nouveau parti politique islamiste au Maroc ? La création d'un nouveau parti aura comme objectif d'encadrer ceux qui n'ont pas encore d'orientation politique spécifique et d'enrichir le paysage politique marocain. Quel sera le programme sociétal de ce parti politique ? Il sera question tout d'abord d'un programme politique à référentiel islamique et non pas, comme on le lit partout, un parti salafiste. Ceci dit, les salafistes sont, comme tous les citoyens marocains, les bienvenus dans ce nouveau parti politique. On ne va pas d'ailleurs être les premiers à en créer. Je peux vous citer le PJD, le Parti de la renaissance et de la vertu, le parti Al Oumma et le Parti de l'alternative civilisationelle. Justement, ne trouvez-vous pas qu'il y a assez de formations politiques au référentiel religieux ? Le parti aura comme credo la diversité islamiste et rassemblera en son sein différents courants islamiques. Ce parti n'a-t-il pas pour objectif de contrer la gauche ? Pas du tout. La gauche existe depuis des lustres. L'Istiqlal qui se dit de gauche a lui-même un référentiel islamique et conservateur. Feu Allal El Fassi était d'ailleurs un salafiste par excellence. Ceci dit, la gauche s'affaiblit et se détériore et doit céder la place aux islamistes. Les peuples optent pour un retour à l'Islam. C'est une réalité. Pensez-vous que le ministère de Intérieur vous délivrera facilement le récépissé pour créer ce parti ? Pourquoi pas ? Nous sommes des citoyens et nous avons le droit de créer un parti politique. D'ailleurs, le ministre de la Justice et des libertés individuelles, Mustapha Ramid, nous a affirmé dans sa propre demeure qu'il encourageait ce genre d'initiative, et qu'il était prêt à nous aider. Depuis qu'il est au gouvernement, le PJD n'arrête pas d'avoir des confrontations délicates avec les modernistes et les laïcs. Comment voyez-vous cela, et quel sera le comportement de votre parti vis-à-vis de ces idéologies ? La majorité des membres du PJD sont mes camarades et mes amis intimes, et le moins que l'on puisse dire de ce parti, c'est qu'il est connu pour son intégrité. A l'inverse des anciens partis politiques qui n'avaient aucune éthique. C'est à cause d'eux que la société s'est pervertie. Ils sont responsables de la fébrilité sociale, de la marginalisation du monde rural, de la pauvreté, de l'ignorance, de la dégénérescence, de la nullité de l'enseignement, de la dégradation de la santé, des crimes, du libertinage, du délabrement des valeurs morales. Tout cela à cause du non-attachement à l'Islam. Pour ce qui est de la laïcité, cette dernière est l'opposé de l'Islam, si elle veut dire séparation de la religion du politique et si elle veut dire dénigrement de l'Islam. Mais la laïcité est le seul système qui permette la cohabitation de toutes les religions entre elles… En effet, la laïcité ne rejette pas les religions mais les exclut du champ politique. Mais quand la laïcité commence à dire que l'Islam n'est pas apte à gouverner, cela relève du blasphème ! Ceci dit, il y a nuance. La liberté de culte n'est pas la liberté d'apostasie. L'apostasie est une grande trahison. La liberté est en cela relative. Au sein de votre parti, l'idéologie wahhabite va-t-elle être prégnante? Je ne sais pas ce que le mot « wahhabite » veut dire. Je connais par contre l'islam, le Coran, la sunna, les devoirs et les interdits d'Allah. Votre position sur Al Adl a-t-elle changé ? Qu'en est-il du M20F ? Al Adl Wal Ihsane est un mouvement politique religieux qui s'impose avec force. Nos idéologies ont des points de convergence mais aussi des divergences. Et je dirais la même chose pour ce qui est du Mouvement du 20 février. Je suis contre les dé-jeûneurs du ramadan mais pas contre le M20F car nous aussi aspirons à abolir les symboles de la prévarication. Sauf que nous, c'est de l'intérieur des institutions que nous voulons le faire, alors que le mouvement opte pour un combat en dehors des institutions. L'affaire Amina a soulevé la polémique autour de l'article 475 et le mariage des mineurs, qu'en pensez-vous ? Si la loi islamique s'appliquait en bonne et due forme, le violeur ne sera pas en liberté actuellement. Pour le débat sur le mariage des mineurs, je pense qu'il faudrait plus parler des femmes célibataires endurcies (Bayrates). Si on veut vraiment évoquer le problème du mariage des mineurs, qui est permis, évoquons donc le problème de l'alcool, les jeux de hasard qui sont permis. Est-ce que la Zakat s'applique ? Non, pas du tout. Est-ce que l'Etat veille à la promotion de la vertu et à la prévention du vice ? Non plus. Est-ce qu'après votre séjour en prison, certaines visions vis-à-vis de la Constitution et du système ont changé ? Je n'ai jamais eu de dent contre la Constitution encore moins contre le système. J'aimerais juste que la Constitution soit appliquée. Le Maroc reconnaît l'Islam en tant que religion et non pas la laïcité. Ceux qui prônent la laïcité désobéissent à Dieu en premier lieu puis à la Constitution. Les laïques sont tout simplement des hors-Charia, des hors-Constitution et des hors-la-loi. Que pensez-vous des dernières fatwas de Zemzemi sur les sex-toys ? Ce ne sont pas des fatwas mais des fantasmes honteux. Ce sont des atteintes à la femme et aux textes coraniques. Ce n'est pas une forme de liberté individuelle ? C'est plutôt de l'extrémisme. Qui est Mohamed El Fizazi ? Mohamed El Fizazi est l'un des prêcheurs salafistes les plus médiatisés. Professeur de français à Tanger, il y prêche dans une mosquée au quartier Casa Barata et développe une hostilité vis-à-vis d'Al Adl Wal Ihsane de Abdessalam Yassine, qu'il qualifie de matérialiste. Accusé d'avoir influencé les auteurs des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, El Fizazi a été condamné à 30 ans de prison ferme. Libéré le 14 avril 2011, suite à une grâce royale, il reconsidère ses anciennes positions et se montre de plus en plus tolérant vis-à-vis des autres idéologies islamistes. Il nous confiera qu'il n'avait pas marché dernièrement à Tanger contre le M20F mais qu'on lui avait dit qu'il s'agissait d'une marche contre les « dé-jeûneurs » du ramadan qu'il ne tolère pas. Sur la monarchie, il avait déclaré : « Le mouvement salafiste défend la monarchie plus que la monarchie elle-même ! » .