Miloudi est un homme moderne. Modérément attiré par les gadgets, il affectionne particulièrement son smartphone, qui lui sert de téléphone bien entendu mais aussi d'agenda, de bloc-notes, de lecteur de musique, de calculatrice, de réveil-matin et, accessoirement, d'exutoire à ses angoisses quand il le triture et le manipule sans ménagement. Autant dire qu'il est devenu une extension permanente de notre perpetuel communicateur. Puis advint ce qui devait se produire un jour ou l'autre. Un mauvais geste et l'objet de tant d'attentions, vecteur de tant de possibilités, s'est écrasé au sol comme un œuf sur le plat. L'écran aux milliers de couleurs vantées par toutes les réclames était devenu blême, tandis que le visage de notre Miloudi virait au blanc cadavérique. Plus aucun moyen de voir un message, ni un numéro s'afficher. Plus moyen non plus de composer un numéro depuis le riche répertoire. Et, pour couronner le tout, dans le strict respect de la loi de Murphy, cet horrible accident, amputant notre Miloudi de son lien avec son entourage, s'était produit à quelques minutes d'un voyage. Impossible de renoncer au déplacement et impossible de vivre sans son joujou, l'esprit de notre ami était désorienté. Certes, il allait prendre son avion, mais l'idée de son isolement le taraudait, d'autant plus qu'il espérait un message agréable dont la probabilité venait d'épouser le zéro dans sa forme la plus régulière. Comment un bout de plastique sans âme avait pu à ce point devenir essentiel dans la vie de notre nomade sans bagage ? Comment cet instrument, qu'il associait à sa liberté, était devenu le signe patent de son asservissement ? Assis, calme en apparence, il ruminait cette agression invisible, qui le mettait à nu. Pris comme un animal dans un piège grotesque, il avait devant lui deux jours qui lui donneraient à méditer sur son rapport à son gadget ; et, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il se promettait, à l'issue de cette période de sevrage forcé, de réduire sa dépendance. C'était, du moins, son souhait, qui lui permettait de lutter contre l'angoisse de vivre avec un téléphone aveugle.