Le ministère de la Santé vient de boucler une grosse étude sur la santé psychique des Marocains. Les résultats sont tout sauf réjouissants. =1 Marocain sur 4 est en dépression =2% des Marocains présentent des symptômes de trouble panique =1% des Marocains sont (cliniquement) schizophrènes =1 million de Marocains souffrent de phobie sociale =2,7 millions de Marocains souffrent d'anxiété généralisée =1,8 million de Marocains ont des troubles obsessionnels compulsifs =1,4% des Marocains sont alcooliques =3,4% des Marocains souffrent de troubles post-traumatiques.............. “48,9%des Marocains reconnaissent souffrir d'un trouble mental !”. En faisant cette déclaration devant un parterre de journalistes et de professionnels de la santé, Mohamed Cheikh Biabillah, ministre de la Santé, se doutait que, cette fois au moins, son discours n'allait pas passer inaperçu. “Un Marocain sur deux souffrirait de troubles mentaux”, “Sommes-nous devenus un peuple de dingues ?”, “Ils sont fous ces Marocains”… les résultats de la toute première étude nationale sur la prévalence des troubles mentaux a fait les choux gras de la presse quotidienne, pendant plus d'une semaine. Biadillah aura beau nuancer, rappelant que “32% des Français, 46% des Américains et 59% des Algériens ont les mêmes souffrances”, les chiffres marocains continueront d'alimenter un débat passionné. Et, objectivement, il y a de quoi : un Marocain sur quatre est dépressif, près de trois millions vivent dans un état d'anxiété permanent et 300 000 schizophrènes mènent la vie dure à leur entourage. Surtout, très peu ont conscience de leur maladie et une infime partie seulement (moins de 1%) consulte un service de psychiatrie. “Les chiffres ne sont pas étonnants en eux-mêmes, puisqu'ils se situent dans les moyennes universelles, dressées par l'Organisation mondiale de la santé. Mais le Maroc est bien le premier pays arabe et islamique à mener une étude d'une telle envergure (ndlr : portant sur un échantillon représentatif de 6000 personnes) et à en publier les résultats”, explique Mohamed Cheikh Biadillah. Et quand le Maroc se regarde dans le miroir, le tableau n'est guère réjouissant. Prenons la dépression par exemple. L'enquête, pilotée puis validée par le ministère de la Santé, nous apprend que 8 millions de Marocains sont dépressifs. La plupart s'ignorent ou se laissent aller, quand ils ne tentent pas le diable en se jetant dans les bras du premier charlatan qui prétend guérir le cancer au toucher. Et les conséquences sont désastreuses. Baisse de productivité, problèmes familiaux et agressivité pour certains cas extrêmes… Chaque année, les Etats-Unis chiffrent le “coût de dépression nationale” à 43 milliards de dollars. Qu'en est-il pour le Maroc ? Partout dans le monde, et donc au Maroc également, un patient sur trois qui consulte un médecin généraliste ou spécialiste n'a aucun mal organique. Sa souffrance est souvent psychique, mais il est très rarement orienté vers un spécialiste de la santé mentale. Beaucoup d'éléments rentrent alors en jeu. Il y a d'abord la perception du trouble mental, qu'on présente grossièrement comme la folie, ou au moins son antichambre. “Et qu'en dira mon entourage s'il sait que je consulte un psychiatre ?”, se demande-t-on souvent avant de franchir le pas. Il y a aussi le manque d'information. Qui sait qu'un épisode dépressif non guéri peut mener au suicide ou à l'éclatement familial ? Qui sait qu'une dépression moyenne se guérit au bout de quelques semaines de traitement. “Les guérisons spontanées existent, reconnaît le professeur Driss Moussaoui, directeur du Centre psychiatrique universitaire Ibn Rochd. Mais pourquoi souffrir en attendant ? Pourquoi risquer de détruire sa vie, de commettre l'irréparable alors qu'un traitement existe ?”. Les histoires rapportées dans ce dossier sont des cas cliniques réels, suivis par des spécialistes. Elles ont été réalisées sur la base d'observations cliniques. Les chiffres sont, quant à eux, tirés de deux études scientifiques : l'enquête nationale sur la prévalence des troubles mentaux dans la population générale et “Prévalence des troubles d'anxiété à Casablanca”, une enquête réalisée par un pool de thérapeutes marocains à la notoriété établie, publiée en février 2007 dans le web-journal spécialisé américain Annals of General Psychiatry. Et rappelez-vous, ce Marocain sur deux, cela peut être vous ! ==“Je n'ai plus le goût à rien, tout s'écroule autour de moi” 1 Marocain sur 4 est en dépression Ahmed est ce qu'on pourrait appeler un Monsieur tout le monde. À 45 ans, il est père de deux enfants, nés d'une longue histoire d'amour avec Aïcha, son épouse depuis plus de 15 ans. Représentant commercial d'une entreprise d'agroalimentaire, il mène une vie paisible et sans histoires. Mais depuis quelques semaines, Si Ahmed dort très mal et se réveille plusieurs fois par nuit. Il n'y a pourtant rien de particulier à signaler dans sa vie de tous les jours. Ses performances au travail sont plus qu'honorables, ses enfants sont surtout un motif de satisfaction et Aïcha est sur un petit nuage, depuis qu'elle a repris ses études supérieures. Au bureau, Ahmed éprouve une grande difficulté à se concentrer. Au début, il liait ça à son sommeil agité. Mais voilà que des palpitations cardiaques lui font craindre le pire. Souffrirait-il d'une maladie cardio-vasculaire ? Après quelques jours d'angoisse, il décide de consulter un cardiologue. “Votre cœur bat comme une horloge suisse, Si Ahmed. C'est juste un peu de stress. Vous devez manquer de repos, c'est tout”, lui explique le médecin. Il lui prescrit quelques vitamines, mais Ahmed n'en est pas pour autant rassuré. Il sent que quelque chose a changé dans sa vie. Il n'est plus le même. Les petits plats dont il raffolait n'ont plus le même goût, et la sieste qu'il ne ratait pour rien au monde n'est plus qu'un lointain souvenir. Il dort peu ou mal, se réveille tous les jours du mauvais pied et, comble du comble, il n'a plus vraiment envie de sa femme. “Mon dieu, suis-je devenu impuissant ?”, se demande-t-il. Il consulte un ami, médecin généraliste, qui lui fait passer toutes sortes de tests et d'analyses. En vain. Paradoxalement, Ahmed aurait espéré tomber sur quelque chose, qui expliquerait cet état de “fatigue permanente” qui l'anesthésie. Il est pratiquement sûr qu'un mal mystérieux est en train de le ronger en silence. Peut-être paye-t-il pour quelques péchés de jeunesse, se surprend-il à penser. Les mois passent, sans que l'état du représentant commercial ne s'améliore. Aux palpitations cardiaques se sont désormais ajoutés d'insupportables maux de tête. Ses enfants, qu'il chérissait plus que tout, commencent à l'agacer au plus haut point. Il n'a plus vraiment envie d'aller au travail. La réussite, l'ambition, l'avenir… des mots qui ne veulent plus rien dire pour lui. Au travail, les dossiers en souffrance s'entassent sur son bureau. Son supérieur, qui croule sous les réclamations des clients mécontents, finit par lui adresser un avertissement. Chez lui, cela ne va pas mieux. Les scènes de ménage sont de plus en plus fréquentes et Ahmed n'a quasiment plus de vie sociale. Sa femme menace plusieurs fois de demander le divorce et l'oblige (presque) à consulter une psy, recommandée par des voisins. Le diagnostic est sans appel : Ahmed souffre d'un épisode dépressif qui dure depuis six mois au moins. Malgré cela, il refuse de prendre des anti-dépresseurs. “Un ami m'a dit que ces médicaments provoquaient une impuissance sexuelle”, confie-t-il à la thérapeute. Bon gré mal gré, Ahmed démarre son traitement, sous la supervision de son épouse. “Je me sens beaucoup mieux. Je reprends goût à la vie, je dors mieux mais je ne suis pas encore moi-même”, confie-t-il à sa psy. Il lui rend régulièrement visite, lui parle de ce qui le tracasse au quotidien. Cela lui fait du bien, il sent qu'il va bientôt s'en sortir. Mais une question taraude encore son esprit : pourquoi a-t-il sombré dans la dépression ? Son médecin traitant sourit et tente une explication basique : “Il n'y a pas de raison particulière. Vous aviez une vulnérabilité psychique et un facteur externe a précipité votre dépression”. Ces mots ne lui disent pas grand-chose. Mais qu'importe, il sait que sa souffrance (ainsi que celle de ses proches) aurait été moins longue, si sa dépression avait été diagnostiquée plus tôt. ==“De battre mon cœur s'est arrêté” 2% des Marocains présentent des symptômes de trouble panique Depuis quelques jours, Mouna a l'impression d'avoir enfin trouvé l'homme de sa vie. À 32 ans, cette jeune cadre casablancaise n'en est certes pas à sa première aventure amoureuse. Mais Taoufiq, le nouveau collègue de bureau, est différent de tout ceux qu'elle a connus jusqu'à présent. Un homme sérieux, cultivé, élégant et qui sait la faire rire. Ce soir, il a enfin franchi le pas en l'invitant à une soirée cinéma. Le film est assez ennuyeux. “Aucune importance”, semble penser Mouna. Depuis qu'il est passé la chercher à 18h 30, son petit ami potentiel a réalisé un impressionnant sans faute. Quelques minutes après le début du film, cependant, Mouna est prise d'un étrange malaise. Son cœur bat très vite, elle a l'impression d'étouffer. Elle a cette nette impression de risquer un arrêt cardiaque. Son visage rougit, elle sent des gouttelettes de sueur ruisseler sur son front et le long de son dos. Sans crier gare, elle enjambe ses voisins de rangée et sort respirer un bon coup. “Que se passe-t-il ?”, s'enquiert Taoufiq. Encore sous le choc, Mouna tente de le rassurer et le prie de l'accompagner chez elle. Le lendemain, elle est la risée de toutes ses copines au bureau. “Il t'a donc fait tout cet effet ?”, lui lance Rajae, sa meilleure amie. Les semaines passent et tout redevient normal. Mouna se rend régulièrement à sa salle de sport et revoit régulièrement Taoufiq. L'incident du cinéma est déjà oublié. Puis un jour, alors qu'elle planchait comme d'habitude sur ses tableurs Excel, son cœur se remet à battre très fort. Mouna est prise de panique, elle appelle Rajae au secours. Cette dernière l'embarque dans sa voiture et file vers la première clinique sur le trajet. ECG, bilan général, analyses biologiques… finalement, Mouna quitte la clinique dans la journée. “Quelques tranquillisants, des vitamines et tout rentrera dans l'ordre”, lui assure le médecin-chef. Mais la jeune femme est à présent terrifiée. Elle demande à Rajae de passer la nuit avec elle, évite de se retrouver seule au hammam ou au super marché. Quand Taoufiq vient lui annoncer qu'il a deux tickets pour le concert d'Enrico Macias, elle se confond en excuses. Elle ne veut plus retourner à cette maudite salle de cinéma. Et tant pis pour les tickets et l'ex-futur amoureux… Mouna n'est alors plus que l'ombre d'elle-même. Elle dit souffrir d'essoufflement et de troubles digestifs, évite de prendre le volant et se replie progressivement sur elle-même. “Nous avons connu plusieurs cas de ce type. Cette jeune femme souffre de troubles de panique, qui ont engendré une agoraphobie secondaire. C'est une réelle souffrance, assure ce psychiatre. Généralement, ce genre de patient a besoin d'anti-dépresseurs spécifiques et d'une psychothérapie. Dans la majorité des cas, les résultats sont concluants”. ==“Mon monde (parallèle) à moi” 1% des Marocains sont (cliniquement) schizophrènes Saïda est une jeune fille sans histoires. À 23 ans, elle s'inscrit, sans grande conviction, dans une petite école de commerce et assiste assidûment aux cours. Elle n'apprend pas grand-chose, mais “c'est une bonne planque, en attendant des jours meilleurs”, pense-t-elle. Mais les jours passent et Saïda change bizarrement de comportement. Elle est de plus en plus repliée sur elle-même, ne mange plus à la table familiale et s'enferme des jours entiers dans sa chambre. “Aurait-t-elle des problèmes à l'école ? Vivrait-elle un chagrin d'amour ?”, se demande sa petite famille. Silence radio. Saïda ne veut parler à personne. Elle ne va plus à l'école. La jeune fille se laisse aller, se néglige. Elle ne se lave plus, ne se change plus. Quand ses parents tentent de lui ramener à manger, elle commence à tout casser autour d'elle et refuse de toucher aux plats préparés par sa mère. “Tu veux m'empoisonner, c'est ça ?”, lui lance-t-elle. Des fois, on la surprend en train de parler ou de rire toute seule. Les parents n'ont plus de doute, leur fille est habitée par de mauvais esprits (maskouna). Ils font alors le tour des fqihs et des marabouts. Mais l'état de la jeune fille ne fait qu'empirer. De retour chez elle, la jeune fille prétend qu'elle est à présent mariée à un général de l'armée. Elle confie même à sa cousine qu'elle a régulièrement des relations sexuelles avec lui, plusieurs fois de jour comme de nuit. Saïda passe également beaucoup de temps devant le miroir, sans que personne ne perce le mystère de son étrange état. “C'est le tableau typique d'une schizophrénie, explique ce psychiatre. C'est un trouble complexe et difficile à guérir. Nous administrons des neuroleptiques pour calmer le délire, mais le repli sur soi et l'isolement nécessitent une prise en charge plus longue et bien plus complexe”. ==“Je ne supporte pas le regard des autres” 1 million de Marocains souffrent de phobie sociale Ce matin, Oussama se réveille du mauvais pied. “Allah ydewez had n'har bikheir”, marmonne-t-il devant la glace de la salle de bain. Dans quelques heures, le jeune étudiant en commerce se retrouvera face à un jury pour défendre son projet de fin d'études. Une étape décisive dans son cursus universitaire. Pour ne rien laisser au hasard, Oussama a proprement bétonné son projet. Il a enchaîné les nuits blanches et s'est bien documenté. Mais il n'est pas rassuré pour autant. Il appréhende ce moment où il devra exposer son travail devant les membres du jury. Il a toujours été timide, il le sait. Mais aujourd'hui, il n'a pas le choix. Il arrive une heure en avance et en profite pour fignoler sa présentation. Il est fin prêt. Mais quand les membres du jury font leur entrée dans la salle, Oussama est pris de panique. Son rythme cardiaque s'accélère, il ressent des bouffées de chaleur. Et lorsqu'il est invité à démarrer sa présentation, il perd tous ses moyens. Incapable de soutenir le regard insistant des membres du jury, il tente maladroitement de balbutier quelques mots. Mais Oussama ne se rappelle plus d'aucun élément de cette présentation qu'il a pourtant mis trois mois à mettre au point. “Désolé, je n'ai rien préparé”, finit-il par lâcher. Le jury, étonné mais compréhensif, lui accorde quelques minutes pour reprendre ses esprits. Mais peine perdue. Abattu, le jeune homme repart la tête basse. Secrètement, il redoutait cette confrontation plus que tout. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il a ce genre de blocage. Depuis le collège, il a beaucoup de mal à soutenir le regard des autres. Il suffit que des étrangers le regardent pour qu'il perde tous ses moyens. Oussama a toujours été le timide de la bande. Celui qui ne fait pas d'efforts pour se faire remarquer. Celui aux habits les plus amples, les moins colorés et les plus passe-partout. Sa vie durant, Oussama n'a eu qu'une obsession : se fondre dans la foule, être le moins visible possible. D'ailleurs, il se verrait bien dans un petit poste de comptable, loin de tout et de tout le monde. “Des profils comme celui d'Oussama n'arrivent généralement chez nous qu'après une dépression ou après avoir développé une addiction à l'alcool ou à une autre substance”, affirme notre psychiatre. Il n'a d'ailleurs pas tout à fait tort. Depuis qu'il habite seul, Oussama a désormais ses habitudes dans une petite brasserie de son quartier. Un petit verre suffit pour le détendre. Mais ce soir, il en est déjà à son quatrième. ==“Je me fais du souci, en continu” 2,7 millions de Marocains souffrent d'anxiété généralisée Après son retour des Etats-Unis, Réda a ouvert une agence de tourisme qui cartonne à Marrakech. Un week-end sur deux au moins, le jeune homme rend visite à ses parents, installés à Rabat. Mais lors de chaque départ, c'est le même rituel. “Conduis doucement, ne réponds pas au téléphone et arrête-toi au moins une fois pour te reposer”, lui assène lhajja Latifa, sa mère. Réda écoute religieusement et promet de faire attention. Mais rien n'y fait. Il sait que, dès son départ, sa mère s'enfermera dans sa chambre et récitera le latif jusqu'à son arrivée à Marrakech. Il sait aussi que s'il ne l'appelle pas à la seconde où il arrive chez lui, L'hajja Latifa s'imaginera toutes sortes de scénarios-catastrophe. “De toute façon, elle a toujours été comme ça. Ce n'est pas aujourd'hui qu'elle changera”, se rassure Réda. À cause de son stress permanent, Latifa a un sommeil agité. Elle souffre d'indigestions et de ballonnements. Elle donne cette impression d'être continuellement sur ses gardes. Elle sursaute au moindre bruit et a tendance à tout voir en noir, à toujours privilégier les pires éventualités. Quand sa fille oublie son téléphone dans la voiture, elle se retrouve avec une vingtaine d'appels en absence à son retour, au moins. Réda et sa sœur ont aujourd'hui l'impression que leur mère est constamment sur les nerfs, qu'elle ne se repose jamais. Et cela a d'ailleurs fini par avoir des conséquences sur sa santé. Son hypertension s'aggrave au fil des jours et risque de développer un diabète. “Ce sont là les symptômes d'un trouble anxieux généralisé. C'est, pour faire simple, le fait d'exagérer les soucis du quotidien et d'en souffrir en continu”, explique un thérapeute à Casablanca. Mais dans l'entourage de L'hajja Latifa, tout le monde continue à penser que c'est juste une question de caractère... ==“Et si j'avais oublié de bien verrouiller la porte ?” 1,8 million de Marocains ont des troubles obsessionnels compulsifs A vant de prendre sa retraite anticipée, Mme Afifi a été une banquière bien particulière. Par exemple, elle ne se gênait pas pour appeler certains de ses clients, parfois assez tard dans la soirée, pour s'assurer qu'il n'y a pas eu d'anomalies dans leurs transactions du jour. Profondément pieuse, elle peut refaire jusqu'à trois fois ses ablutions, et deux fois chacune de ses prières. Sa maison est une véritable forteresse. Elle a veillé personnellement au choix des serrures et ne peut pas s'endormir avant son habituelle tournée d'inspection. Quoiqu'ayant deux femmes de ménage à sa disposition, Mme Afifi range elle-même sa chambre à coucher et ne permet à personne de toucher à ses effets personnels. L'année dernière, elle s'est offert une nouvelle Omra. Mais elle en est revenue toute bouleversée. Récemment, elle a confié à une amie qu'elle ne pouvait pas s'empêcher, en plein Tawaf, d'avoir… des pensées érotiques. “Dieu me punit pour un péché que j'ai dû commettre. Je ne suis pas une bonne musulmane”, se lamentait-elle. Sans le dire à sa famille, elle finit par consulter un psychanalyste, qui diagnostique chez elle des troubles obsessionnels et compulsifs (les fameux TOC), largement répandus dans les sociétés où la religion est prédominante. “Ces troubles cachent souvent une peur. Cela peut être la peur d'aller en enfer, de se faire agresser, d'être contaminée par une maladie. Ce qui crée une angoisse que le patient a tendance à gérer de manière rituelle”, lui explique le médecin. Finalement, ce dernier la met sous anti-dépresseurs et son état s'améliore sensiblement au bout de quelque mois de traitement ==“Jamais sans mon verre” 1,4% des Marocains sont alcooliques Cela fait trois ans que Hicham essaie vainement de décrocher. Le premier jour, sa femme l'a certes pratiquement traîné de force chez cette psychanalyste. Mais depuis, il ne rate aucune séance. Il essaie de faire un effort, de prouver sa bonne foi, mais c'est finalement plus fort que lui. “J'ai besoin de mes bières et de quelques verres pour être normal. C'est mon carburant à moi”, ironise-t-il avec sa psy. Hicham est conscient que l'alcool risque de briser sa vie de famille, qu'il fait souffrir sa femme, ses parents, ses voisins et ses enfants. Mais l'envie d'un dernier verre est toujours plus forte que tout cela. Au début, comme tant d'autres, Hicham a longtemps refusé de reconnaître son alcoolisme. “Quelques verres entre potes n'ont jamais fait de mal à personne”, avait-il l'habitude de répéter autour de lui. Au fil des séances de psychothérapie, il a commencé à se rendre progressivement compte de la gravité de son état, puis à essayer d'arrêter. Il a même failli réussir à plusieurs reprises, mais cela ne durait jamais plus de quelques semaines. “C'est ce qu'on appelle une dépendance psychique, explique sa psychiatre. Le patient est conscient de son addiction, il a même déjà essayé d'agir et d'arrêter. Mais il a du mal à maintenir son état de sevrage. Il y a toujours une envie et un prétexte (stress, fête, etc.) pour se permettre un petit verre ou un petit joint, et c'est reparti. Les cas de rechute sont assez fréquents dans le domaine des addictions, parce que l'équilibre de la personne dépend désormais d'une substance exogène. Mais c'est un équilibre artificiel”. Désormais, la vie de Hicham tourne autour de sa blya (addiction). Il privilégiera toujours un déjeuner d'affaires arrosé mais non productif, à un autre crucial mais 100% sans alcool. S'il n'a pas son petit verre du midi, Hicham est de mauvaise humeur, anxieux et irritable. Une fois, il lui est même arrivé de rater l'anniversaire de son aîné, parce qu'il n'arrivait pas à s'arracher du comptoir de son bar habituel. Ce soir-là, il s'est profondément méprisé. Mais après avoir dessoûlé. ==“Je revois mon accident tous les jours” 3,4% des Marocains souffrent de troubles post-traumatiques 25 ans plus tard, Ba Driss n'est toujours pas revenu de la guerre qu'il a menée au milieu des années 80. Son instruction militaire à peine terminée, il est envoyé au Sahara, en pleine guerre entre le Maroc et le Polisario. Chaque jour, des hommes tombent d'un côté comme de l'autre et des dizaines de combattants sont faits prisonniers par les deux armées. Le jeune Driss passe alors ses nuits dans les tranchées, sursautant au moindre bruit. Il doit lutter contre la peur, le froid, les reptiles du Sahara et les balles qui sifflent juste au-dessus de sa tête. Il a perdu beaucoup d'amis, certains dans des conditions atroces. Lorsqu'il rentre chez lui, au début des années 90, c'est un homme sans repères. Il met beaucoup de temps avant de reprendre goût à la vie. Il finit même par se marier et avoir des enfants. Il mène enfin une vie comme tout le monde… ou presque. Car Ba Driss est un homme tendu. Il dort très peu le soir et a souvent des moments d'absence. Il n'a presque jamais d'appétit. Sans raison particulière, des images de guerre s'imposent à lui à des moments totalement inopportuns. “Généralement, des gens comme Ba Driss viendront consulter pour d'autres troubles. Il faudra les écouter longuement avant de pouvoir faire le lien avec le traumatisme qu'ils ont vécu et qu'ils ont simplement rangé dans un petit coin de leur tête. Une femme violée ressentira du dégoût dès qu'un homme se présentera à elle comme éventuel partenaire sexuel, mais fera difficilement le lien”, explique ce psychiatre. Le stress post-traumatique peut également survenir après une catastrophe naturelle (tremblement de terre, inondations), un incendie ou un grave accident de la circulation. Mais attention, nuancent les professionnels, “tous les gens qui passent par des accidents tragiques ne développent pas systématiquement de stress post-traumatique. Les autres ont besoin d'un véritable accompagnement psychologique à moyen terme”.