Suite à l'octroi du droit de vote et d'éligibilité aux Saoudiennes dimanche dernier, la sociologue Sonia Dayan-Herzbrun décrypte pour Le Soir-échos l'articulation entre féminisme, politique et Islam. Le vent des révoltes arabes insufflera-t-il plus de liberté pour les femmes ? Les Tunisiennes et les Egyptiennes veulent le croire, profitant de l'ouverture pour réaffirmer ou réclamer leurs droits, malgré les pressions de certains groupes. Au Moyen-Orient, les figures féminines telles que la journaliste Tawakul Karmal au Yémen, ou la militante Manal al-Charif en Arabie Saoudite, laissent penser que le Printemps arabe pourrait bien se conjuguer tant au masculin qu'au féminin. Dans cette perspective, Sonia Dayan-Herzbrun, auteur de l'ouvrage Femmes et politique au Moyen-Orient (Ed. L'Harmattan, 2005) et professeur émérite de l'Université Diderot à Paris, analyse l'octroi récent du droit de vote aux Saoudiennes. D'après elle, cette mesure laisse présager d'un mouvement plus global en marche, à même de concilier Islam et féminisme. Dimanche dernier, les Saoudiennes ont obtenu le droit de vote et d'éligibilité. Quels facteurs expliquent, selon vous, une telle mesure ? Tout d'abord, il y a un facteur personnel qui est la personnalité du roi Abdallah. Relativement plus ouvert que son entourage, celui-ci avait déjà créé une université mixte, la première en Arabie Saoudite. Un autre facteur est la dimension internationale, avec la nécessité pour l'Arabie Saoudite de donner une image plus moderne. Et puis, il y a une réelle évolution de la situation des femmes privilégiées. Elles sont femmes médecins, écrivaines, chefs d'entreprise, étudiantes, avocates… Elles sont très actives en Arabie Saoudite et réclament leurs droits. On a besoin d'elles économiquement donc, on ne peut les maintenir dans une sujétion. Octroyer le droit de vote avant le droit de conduire, n'est-ce pas mettre la charrue avant les bœufs ? Le droit de conduire viendra. Je suis persuadée que l'octroi du droit de vote sera suivi par d'autres mesures. Il est vrai que le droit de conduire contraint beaucoup les femmes, mais le droit de vote est plus important car il établit une égalité politique avec les hommes. On ne peut pas dire qu'elles deviennent réellement citoyennes car il n'y a pas de démocratie. Mais cela montre qu'une évolution est en cours. Au cours des révoltes arabes, de nombreuses voix de femmes se sont élevées. Le Printemps arabe marquera-t-il un tournant dans la condition féminine ? J'en suis persuadée. Les femmes ont été extrêmement présentes. Il y a un mouvement inverse qui cherche à les repousser vers le bas, comme en Egypte, mais elles protestent beaucoup. Les révolutions arabes ont entraîné une dynamique. C'est un grand mouvement de l'histoire, qui va changer beaucoup de choses pour les femmes, avec bien sûr des spécificités propres à chaque pays. Des stéréotypes tendent à présenter Islam et féminisme comme antagonistes. Mais l'émancipation des femmes au Moyen-Orient ne sera-t-elle pas justement l'aboutissement d'un féminisme islamique ? Plusieurs voies d'évolution sont possibles. Il y a un mouvement à l'intérieur de l'Islam qui appelle à relire et réinterpréter les textes qui donnent une vraie place aux femmes, considérées à l'égal des hommes. C'est un mouvement qui existe dans beaucoup de pays et qu'on ne peut nier. Ce phénomène existe également dans les autres religions du Livre (judaïsme, christianisme). L'Islam est une référence culturelle, qui n'est pas antagoniste au féminisme. Le féminisme islamique est un terme utilisé, mais peu de femmes se revendiquent comme telles. Le féminisme est lié à un mouvement occidental, renvoyé du côté de la colonisation. Le féminisme, c'est refuser la domination masculine donc objectivement, de nombreuses femmes s'inscrivent dans ce combat. De jeunes femmes ont créé récemment au Maroc un groupe SlutWalk, à l'instar du mouvement féministe canadien, rebaptisé Women Shoufouch. Qu'en pensez-vous ? L'important est que les femmes se reconnaissent et se fédèrent dans les mouvements. Il faut être pluraliste. Mais la question est de savoir jusqu'à quel point ce sont des mouvements qui peuvent être entendus par un nombre important de femmes ?