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obama et les révoltes arabes SAURA-T-IL CONVAINCRE ?
Publié dans L'observateur du Maroc le 18 - 02 - 2011

Le monde arabe gardera certainement en mémoire le discours de Barack Obama, prononcé depuis le bureau ovale, quelques heures à peine après la démission de Hosni Moubarak, le vendredi 11 janvier 2011: «Comme Martin Luther King a dit (…), il y a quelque chose dans l'âme qui crie pour la liberté. Ce sont les cris qui venaient de la place Tahrir, et le monde entier a pris note. Le mot Tahrir signifie libération. C'est un mot qui parle à ce quelque chose dans notre âme qui crie pour la liberté. Et pour toujours il nous rappellera le peuple égyptien - ce qu'il a fait, les choses qu'il défendait, et comment ils a changé son pays, et, ce faisant, a changé le monde».
Al Jazeera, Washington en direct
Passée en boucle sur Al Jazeera, chaîne star du «printemps arabe», l'intervention, concise mais intense, du président américain résonnera longtemps dans les demeures bourgeoises et les cafés populaires, de Casablanca à Beyrouth, du Caire à Damas, d'Alger à Sanaa. Bien plus que celles, expéditives, d'un Nicolas Sarkozy ou d'une Angela Merkel. La réactivité de la Maison Blanche est d'autant plus notable qu'elle contraste avec la prudence langagière, jugée outrancière par la rue arabe, des chancelleries européennes. Non que l'opinion publique maghrébine ou moyen-orientale soit dupe, l'alliance des puissances occidentales avec certains régimes dictatoriaux de la région étant un secret de polichinelle. Mais, contrairement aux Européens ou aux Israéliens, les Américains n'ont à aucun moment tenu des propos qui auraient pu être perçus comme égoïstes, ou pire, humiliants, à l'égard des meneurs de la révolution de jasmin ou de la contestation de la place Tahrir. A l'instar d'une certaine Michèle Alliot Marie, qui a proposé, au commencement des troubles dans le sud tunisien, d'apporter l'expertise française à la police de Ben Ali pour encadrer les émeutiers. Ou encore d'une droite israélienne défendant mordicus le pharaonique Moubarak, quitte à dénigrer le droit légitime d'un peuple à briser les chaînons d'une tyrannie trentenaire. Et ce juste par peur de voir les Frères Musulmans, antisionistes déclarés, accéder au pouvoir auprès d'électeurs égyptiens réputés acquis à ce courant radical, «seul contre-pouvoir structuré». En fait, depuis le début du soulèvement en Tunisie le 17 décembre 2010 et en Egypte le 25 janvier 2011, et jusqu'aux jours qui ont suivi la fuite de Ben Ali puis la capitulation du Raïs, le président américain s'est toujours montré solidaire de ce qu'il dénomme «l'appel au changement et à une démocratie authentique» des peuples. Est-ce parce que l'Oncle Sam et son omniprésente CIA sont les instigateurs cachés de ces «coups d'Etats populaires», comme croient le savoir certains, que le président de la première puissance mondiale s'en est allé avec autant d'assurance à contre-courant de la position occidentale dominante ? Quoi qu'il en soit, en enchaînant les saillies médiatiques, les traits tirés par des veillées évidentes, la voix empreinte tantôt d'une fermeté sereine, tantôt d'une émotion sincère, Barack Obama a réussi à capter l'attention de l'opinion publique arabe. En particulier celle de sa jeunesse, présentée comme l'auteur et l'héroïne de ce soulèvement historique : «Nous avons vu des pères et des mères portant leurs enfants sur leurs épaules pour leur montrer ce qu'était la véritable liberté. Nous avons vu des jeunes Egyptiens dire ‘pour la première fois de ma vie, je compte vraiment. Ma voix est entendue'. (…) Nous avons vu une nouvelle génération émerger. Une génération qui demande un gouvernement qui représente ses espoirs et non ses peurs.», s'est de la sorte exprimé le président américain, 4 jours après l'abdication de Hosni Moubarak.
La leçon de l'Oncle Husseïn au monde arabe
Proximité, mais franchise aussi. Contrairement à son prédécesseur, le jeune président démocrate affiche clairement les intentions de son administration en matière de politique étrangère, notamment au Proche et Moyen Orient. Point de circonvolutions autour d'un fantasmagorique «Grand Moyen Orient» ni de croisade aux allures évangélistes contre un présumé «Axe du Mal»: «Je suis venu ici au Caire en quête d'un nouveau départ pour les Etats-Unis et les musulmans du monde entier, un départ fondé sur l'intérêt mutuel et le respect mutuel (…)L'Amérique n'est pas - et ne sera jamais - en guerre contre l'islam. En revanche, nous affronterons inlassablement les extrémistes violents qui font peser une menace grave sur notre sécurité. L'Amérique va donc se défendre, dans le respect de la souveraineté des nations et de la primauté du droit. Plus vite les extrémistes seront isolés et malvenus dans les communautés musulmanes, plus vite nous connaîtrons tous une sécurité accrue», déclarait ainsi Obama dans le fameux discours du Caire du 4 juin 2009. Le nouveau locataire de la Maison Blanche n'a pas d'intentions belliqueuses à l'égard d'un arabo-islamisme supposément expansionniste, mais ne compte pas pour autant abandonner son képi de gendarme du monde, encore moins dans la poudrière moyen-orientale. Ainsi, lors d'une conférence de presse organisée 4 jours après le renversement du Raïs, le président américain s'est directement adressé à «ses alliés de la région», les appelant à prendre exemple sur l'Egypte plutôt que sur l'Iran. Puis les mettant ouvertement en garde face aux risques de soulèvement s'ils demeurent muets aux velléités démocratiques de leur population. «Le message que nous avons lancé aux amis comme aux ennemis avant même les manifestations en Egypte a été de dire que le monde change (…) On ne peut exercer indéfiniment le pouvoir par la force. Toute société a besoin de consentement à un niveau ou à un autre. Au Moyen-Orient, une jeune génération dynamique cherche à saisir sa chance. Et si l'on gouverne un de ces pays, il faut se tenir à la pointe du changement, on ne peut pas se permettre d'être à la traîne», a déclaré en substance Barack Obama. Tout en félicitant le conseil suprême des forces armées égyptiennes de s'être engagé à maintenir les traités internationaux, notamment avec l'Etat hébreu. Aux yeux de la nouvelle administration américaine, le départ de Ben Ali et de Moubarak sous la pression de la rue, après respectivement 23 et 30 ans de pouvoir sans partage, constitue une réponse cinglante à l'organisation d'Al Qaïda, qui prêche la violence comme l'unique moyen de changer la face politique du monde arabo-musulman. «Les Egyptiens nous ont inspirés, ils ont prouvé que l'idée selon laquelle on parvient à la justice par la violence est un mensonge. Pour l'Egypte, cela a été la force morale de la non-violence, pas du terrorisme, pas des meurtres insensés, mais de la non-violence, qui a détourné la trajectoire de l'histoire une fois de plus vers la justice», déclare le président américain. Critiqué par l'opposition républicaine pour ses hésitations dans la gestion de la crise égyptienne à son éclatement, le président démocrate s'est défendu en expliquant qu'il ne voulait pas que les Etats-Unis se retrouvent au cœur du bras de fer entre les manifestants et le régime de Moubarak. Avant de conclure en estimant que l'Egypte avait procédé «à une transition pacifique, avec relativement peu de violence et relativement peu, voire aucune, expression d'un sentiment anti-américain, anti-israélien ou anti-occidental». Obama a-t-il réussi à faire d'une pierre deux coups, redorant le blason de l'Oncle Sam auprès du monde arabe tout en préservant les intérêts économiques et les alliances militaires des Etats-Unis dans la région? Pas si sûr.
Discours du Caire, verbe prémonitoire pour un nouveau départ
En glorifiant les peuples tunisien et égyptien, comparant leurs insurrections à la chute du mur de Berlin en 1989, en élevant les meneurs de ces soulèvements au rang de grandes figures pacifistes qui ont bouleversé le cours de l'histoire contemporaine, comme le mahatma Ghandi ou Martin Luther King, Barack Obama a cherché à se rapprocher de la rue arabe en rehaussant son ego blessé. En effet, l'opinion publique maghrébine et moyen-orientale ne s'est toujours pas remise des deux guerres du Golfe, ni de l'occupation de l'Irak et de l'Afghanistan après les attaques du 11 septembre 2001. Des milliers de mères ont pleuré aux images des enfants de Bagdad agonisant sous l'embargo, faute de médicaments et de soins. Du garçon de café au haut fonctionnaire en passant par le cadre moyen, des millions de citoyens arabes ont vécu comme une humiliation personnelle la pendaison de Saddam Husseïn le jour de la commémoration du sacrifice d'Abraham. Les féministes arabes et musulmanes continuent à reprocher aux troupes de l'OTAN de ne pas protéger suffisamment les fillettes et les femmes afghanes de la barbarie des talibans. Les images poignantes des vieillards palestiniens regardant, impuissants, les bulldozers israéliens abattre leur maison à Jérusalem-Est, ou se faisant fouiller au corps par des adolescents aux check-points, continuent à indigner dans les chaumières, de Casablanca à Amman. Et les observateurs avertis savent pertinemment que la première puissance mondiale est prête à user de tous les subterfuges pour s'assurer un accès stable aux ressources pétrolières et protéger son éternel allié israélien, tout en contrant la montée de l'islamisme radical et de l'Iran. Le soutien américain au changement de régimes dans le monde arabe est donc loin d'être perçu naïvement comme une simple aspiration à la démocratie dans la région, comme y faisait référence le discours du Caire en juin 2009 : «Le discours d'Obama au Caire était insignifiant. Certes, il rompait avec le langage stupide et offensant de Georges W. Bush pour le monde arabe et musulman. Il a cité des versets du Coran et parlé de démocratie et du droit des femmes et des minorités en citant les Coptes en Egypte et les Maronites au Liban. Cela était outrageant, alors qu'en Irak sous occupation américaine, on assistait à une émigration massive de la communauté chrétienne et à des massacres invraisemblables de sunnites et chiites. Par ailleurs, il s'est adressé à l'ensemble des musulmans du monde, donc dans la logique huntingtonienne du choc des civilisations. Sur le plan palestinien, il ne s'est pas écarté d'un iota de la doctrine américaine de protection absolue de l'Etat d'Israël et de toutes ses infractions au droit international et au droit humanitaire. Avoir exprimé une sympathie pour la souffrance des Palestiniens ne signifie pas qu'il allait lâcher du lest. On l'a bien vu d'ailleurs : la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem continue de plus belle», tempère le professeur en sciences politiques à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth et ex-ministre des finances libanais, Georges Corm. Ceci dit, si le chemin vers la réconciliation semble encore loin, il n'en demeure pas moins que le rôle majeur du nouveau locataire de la Maison Blanche dans le «printemps arabe» tend bien vers ses aspirations affichées à briser «le cycle de la méfiance et de la discorde» entre l'Amérique et le monde arabe.
«Nos révolutions arabes demanderont plus que de simples élections pluralistes.»
Georges Corm, Professeur en sciences politiques à l'Université Saint Joseph de Beyrouth, Ex-ministre des Finances libanais.
Propos recueillis par Mouna Izddine
L'Observateur du Maroc.Quelle est votre vision personnelle de ces moments historiques pour le monde arabe ?
Georges Corm. Personnellement, je pense que l'acte désespéré en même temps qu'héroïque de Bouazizi à Sidi Bouzid dans l'intérieur tunisien, qui a été imité en Tunisie et ailleurs dans le monde arabe, est l'étincelle de tous ces mouvements populaires auxquels se sont joints toutes les couches sociales et toutes les catégories d'âge dans de magnifiques élans de concorde sociale. Cet acte fort et hautement symbolique a signifié le ras-le-bol de l'injustice sociale qui a déclenché à son tour le ras-le-bol de l'oppression politique et de la privation de liberté politique. Nous avons retrouvé en Egypte le même mécanisme.
Comment voyez-vous le soutien de Barack Obama, aussi bien à la "révolution du jasmin" tunisienne, qu'à la contestation de la place Tahrir égyptienne?
Barak Obama a voulu sauver les meubles en contribuant à arrêter rapidement cette grandiose révolte populaire égyptienne. Il lui fallait donc accélérer le départ de Moubarak, en tant que symbole honni du régime, pour permettre à l'armée de reprendre en main la situation rapidement avant toute radicalisation du mouvement populaire. Cela a été une politique intelligente du point de vue des intérêts américains. Les responsables européens, obnubilés par l'épouvantail islamique, n'ont pas su avoir son éloquence.
Par ailleurs, je me refuse à reprendre la terminologie de la «révolution du jasmin» que les médias occidentaux ont appliquée à la révolte populaire tunisienne. Les révolutions d'Europe centrale ou de Géorgie et du Kirghizstan auxquelles ont été affublés des noms similaires n'ont guère produit l'effet attendu: elles n'ont en rien fait reculer les injustices sociales ou réussi à moraliser la vie publique et réduire la corruption endémique. Nos révolutions arabes demanderont plus que de simples élections pluralistes derrière lesquelles peuvent s'abriter les mêmes corrompus ou corrupteurs.
Le Liban, de par son histoire, sa mosaïque religieuse et politique, et sa proximité avec Israël, représente un cas particulier dans le monde arabe. Sentez-vous une quelconque ingérence américaine dans la politique intérieure du Liban?
Les ingérences américaines et saoudiennes sont une constante malheureuse de la vie politique du Liban. S'y sont ajoutées de très fortes immixtions de l'ex-président français Jacques Chirac. Un des derniers ambassadeurs de France sous sa présidence s'est comporté comme un haut-commissaire de l'époque coloniale. Il en était de même des ambassadeurs des Etats-Unis depuis 2005. En fait, entre 2005 et 2008, le Liban était directement géré par le trio franco-américano-saoudien pour aider à l'élimination du Hezbollah et du Courant patriotique du Général Aoun. Et dans le dessein de faire entrer le Liban dans le giron occidental en éliminant de la scène politique locale tous les Libanais opposés à la politique d'Israël et des puissances occidentales au Moyen-Orient.
«Obama a trouvé une seconde chance de changer l'image de l'Amérique dans la rue arabe.»
Dominique Moisi, Conseiller Spécial de l'IFRI (Institut Français des Relations Internationales) Auteur de «La Géopolitique de l'Emotion» .
Entretien réalisé par M. I.
L'Observateur du Maroc. Les derniers évènements en Tunisie et en Egypte ont conduit à la chute des régimes de Ben Ali et Moubarak, après 23 ans et 30 ans de dictature. Comment expliquer le soutien américain?
Dominique Moisi. Le soutien de l'Amérique à la «Révolution de Jasmin» et à la «Révolution égyptienne» n'a pas été immédiat et spontané. Les Américains ont d'abord été pris de court, comme presque tout le monde. Puis ils ont parlé de la nécessité d'une transition dans l'ordre. C'est seulement depuis quelques jours, que sous l'influence du président Barack Obama lui-même, l'Amérique met désormais l'accent sur la volonté des peuples, comme le facteur clé du changement.
Ce soutien de Washington au changement de régimes dans le monde arabe s'inscrit-il dans une simple aspiration à la démocratie dans la région ou bien a-t-il d'autres visées?
Il s'agit bien-sûr d'une aspiration à la démocratie. Mais pour le président américain, défendre ses valeurs et protéger ses intérêts ne sont pas incompatibles. Bien au contraire. L'histoire s'est mise en marche dans le monde arabo-musulman. Il serait dangereux de courir après elle. De plus, Barack Obama se sent probablement plus à l'aise dans cette nouvelle conjoncture, pleine de risques il est vrai mais aussi d'opportunités. Et si l'Iran suivait le modèle tunisien et égyptien ?
La Maison Blanche chercherait-elle à soigner son image auprès de l'opinion publique arabe?
Le président américain a effectivement pour ambition de changer l'image de l'Amérique dans la «rue arab». C'était une de ses priorités dès son élection en 2008. Le Discours du Caire y a contribué en juin 2009, mais le divorce entre les intentions et les actions était demeuré trop grand. Avec le processus révolutionnaire en cours, Barack Obama a pour ainsi dire trouvé une seconde chance.
Quels sont les déterminants de "la politique arabe" de l'administration américaine? Quel est le rôle des principaux lobbies dans cette politique?
L'expression de politique arabe ne correspond pas à la politique américaine. Il existe en fait une politique moyen-orientale qui couvre un espace géographique en pleine expansion, allant du Maghreb jusqu'à l'Afghanistan et le Pakistan, et qui inclut bien évidemment des pays non-arabes comme la Turquie, l'Iran, Israël et les deux pays déjà cités que sont l'Afghanistan et le Pakistan. Il y a aussi une volonté américaine de traiter avec l'Islam comme un tout et de donner l'Indonésie –pays très cher à Barack Obama puisqu'il y a vécu- et la Turquie comme modèles de modernité et de tolérance à l'ensemble du monde musulman. Dans la présente évolution de l'Amérique au Moyen-Orient les lobbies (juif, pétrolier, arabe…) semblent avoir joué un rôle très secondaire.
En quoi la stratégie actuelle de la Maison Blanche envers le monde arabe et le Moyen-Orient en général diffère-t-elle de celle de Georges W. Bush?
Les différences entre Bush et Obama sont considérables. Le second a appris des erreurs du premier. Il ne s'agit plus d'imposer la démocratie par la force en partant de l'idée fausse que la démocratie à Bagdad était la condition de la paix à Jérusalem. Soutenir les mouvements démocratiques, accompagner le mouvement inéluctable et nécessaire, considérer le statu quo politique, économique et social comme une garantie d'instabilité, telle est aujourd'hui la nouvelle stratégie de l'Amérique dans la région.
Difficiles transitions
ayman abdeljawad
Le fait de maintenir le Premier ministre qui a servi Ben Ali pendant 13 ans est déjà symptomatique. Mais des forces démocratiques nouvelles craignent le risque de voir les élections déboucher sur la victoire d'anciens RCD «blanchis».
En Egypte, c'est l'armée qui assure la transition. Or, l'armée tient le régime depuis 1952. C'est une institution qui joue aussi un rôle d'agent économique important. Elle promet des élections libres et transparentes. Là aussi les forces politiques organisées sont d'une faiblesse effroyable. Dans les deux cas, les manifestants n'ont pas dégagé de leadership et refusent celui des partis politiques décrédibilisés.
Dans les deux cas, les islamistes n'ont ni initié, ni dirigé, ni pu récupérer le mouvement d'essence démocratique et moderniste. Mais ils sont les seuls à être organisés. Il faut espérer que d'ici l'été, les forces démocratiques réussiront à faire émerger des structures unitaires capables de s'appuyer sur la formidable mobilisation de la société pour pouvoir mener à bien ces deux transitions.
L'enthousiasme entourant la chute des dictateurs est plus que légitime. Mais il faut dès maintenant se poser les questions sur la suite des événements à venir. L'armée égyptienne, si elle est débarrassée de la pression de la rue, ne va pas changer de nature. Les observateurs les plus fins la soupçonnent de vouloir copier le modèle turc. C'est-à-dire d'installer un jeu politique «démocratique» dont elle serait à la fois le garant et le régulateur. Or elle est partie prenante du système prédateur qui a ruiné les classes moyennes égyptiennes et elle est inféodée à des intérêts étrangers.
Quant à l'armée tunisienne, elle n'a ni le même poids, ni la même histoire, mais le vide actuel peut la pousser à nourrir des espoirs semblables.
Ce sont donc des transitions difficiles, ouvertes sur plusieurs hypothèses, pas toutes très réjouissantes et pas à la hauteur des aspirations des peuples. En Egypte, cette transition est compliquée par la place géostratégique du pays. L'Occident, Israël et les pays du voisinage ne peuvent rester en spectateur durant la transition. L'institution militaire paraît à tous comme le garant de la stabilité du géant égyptien. Il est fort à parier qu'ils dérouleront le tapis rouge devant le candidat civil «adoubé» par l'armée. D'autant plus que l'éclatement de l'autorité palestinienne laisse présager des secousses et l'arrêt du processus de paix déjà largement décrédibilisé. Les espérances des peuples risquent de buter sur la "realpolitik", une nouvelle fois.
E-stratégie US pour la région MENA
Salaheddine Lemaizi
«Les Etats-Unis soutiennent les libertés d'expression, de réunion et d'association en ligne. Les pays qui censurent la toile risquent de subir un retour de bâton, comme l'Egypte et la Tunisie», prévient Hillary Clinton, la secrétaire d'Etat américaine lors d'un discours prononcé le 15 février 2011 à l'université George Washington. Cette deuxième sortie en moins d'une année sur la thématique de la liberté d'expression en ligne sonne comme le triomphe d'une e-stratégie américaine pour soutenir les e-militants et toute forme de liberté d'expression en ligne.
La société civile 2.0
Flash back. Le 21 janvier 2010, H. Clinton protestait contre l'arrestation «en Egypte, de 30 blogueurs et activistes. Un des membres de ce groupe, Bassem Samir qui, heureusement, a été relâché depuis, se trouve avec nous aujourd'hui. Alors qu'il apparaît évident que la diffusion de ces technologies est en train de transformer notre monde, il reste encore à savoir comment cette transformation impactera les droits de l'homme et la qualité de vie de la population mondiale».
Le début du soutien américain au e-militantisme remonte aux temps du président George Bush. Avec son département d'Etat, il lance en 2002 l''Initiative de partenariat au Moyen Orient (MEPI), aboutissement concret du Forum pour le futur. Le MEPI constitue «la réponse du gouvernement des Etats-Unis aux appels pour le changement dans le Moyen Orient et en Afrique du Nord (MENA», expliquent ses initiateurs. L'accès aux NTIC et à l'amélioration de leur maîtrise occupe une place de choix dans ce programme.
L'arrivée d'Obama à la Maison Blanche relance les programmes américains destinés au soutien des e-militants de la région MENA et ailleurs dans le monde, où l'Amérique estime que la liberté est bafouée (Chine, Cuba, Birmanie…). En novembre 2009, H. Clinton lance «L'initiative de la société civile 2.0». Ce nouveau projet veut «aider les organisations indépendantes à travers le monde à utiliser la technologie numérique». Contenu de ce projet : une subvention de 5 millions de dollars pour des programmes pilotes dans la région MENA qui permettront d'accroître les nouveaux médias et les capacités de mise en réseau des organisations de la société civile.
Google se convertit à la liberté
En plus des politiques, les entreprises américaines de la nouvelle économie soutiennent fortement la dissidence sur Internet. Après ses accointances avec le régime chinois, le géant Google a fait son mea-culpa. Désormais, la multinationale californienne adopte la «e-liberté». «Notre objectif est de maximiser la liberté d'expression et l'accès à l'information [...] C'est une partie très importante du business pour nous», déclare Bob Boorstin, directeur de la communication chez Google. En septembre 2010, l'entreprise organise une grand-messe des e-militants à Budapest. Militants, blogueurs et ONG sont conviés pour débattre sur «la liberté d'expression en ligne, la relation complexe entre la technologie, la croissance économique et les droits humains». Le think-tank qu'est le National democratic institute for international affairs (NDI) saisit l'occasion pour lancer le Réseau des bloggeurs de la région MENA. Prennent part à cet événement des représentants officiels US et européens. Cette stratégie est résumée par Jared Cohen, ancien de l'administration Bush et Obama et directeur de «Google idées», un tout nouveau département de l'entreprise: «chaque université, chaque entreprise du secteur privé, est de facto un think-tank et un partenaire stratégique en ce qui concerne la technologie et l'innovation et leur pertinence et application en politique étrangère».
«L'Egypte n'a plus besoin de l'argent des USA.»
Ismail Abdel Maoula, militant du mouvement «25 janvier» égyptien.
Entretien réalisé par S. L.
L'Observateur du Maroc. Le soutien américain a-t-il joué un rôle déterminant dans la victoire de la révolution égyptienne ?
Ismail Abdel Maoula. Le facteur déterminant dans notre révolution c'est d'abord et avant tout la mobilisation de la société égyptienne dans ce processus pendant 18 jours. Le rôle externe ne nous a soutenus qu'après notre victoire sur le plan interne. Les Etats-Unis comme l'UE ont hésité les premiers jours avant de soutenir nos revendications. Ce qui a tranché en notre faveur, c'est la mobilisation populaire.
Comment expliquer la volte-face américaine vis-à vis de Moubarak ?
Il est clair que les intérêts de l'Amérique passent au premier plan. Mais il faut garder à l'esprit que le régime égyptien est tombé le 25 janvier, premier jour de grandes manifestations et ceci s'est confirmé le 28 du même mois lors du «vendredi de la colère». Donc, le régime avait perdu toute légitimité dès le départ. Pour protéger leurs arrières, les Etats-Unis ont soutenu les manifestations, ils ont hésité au départ à le faire ouvertement. Mais depuis le troisième discours de Moubarak, l'Amérique s'est définitivement rangée du côté des Egyptiens.
Pensez-vous que le régime qui sera mis en place pourra remettre en question la nature des relations qu'entretenaient les dirigeants déchus avec l'Amérique ?
Parmi nos revendications lors des manifestations, nous voulions que l'Egypte reprenne sa liberté et son indépendance sur le plan international, pour rompre ainsi avec des années de dépendance, surtout envers les USA et de l'UE. À court terme, il faut maintenir les accords politiques qui nous lient avec ces pays. Sur le moyen terme, il est nécessaire de revoir ces traités. Pour les accords commerciaux, il faut en annuler certains, notamment celui de l'exportation du gaz naturel vers Israël. Les termes de cet accord nous sont très défavorables. Ce gaz est exporté à des prix très en dessous de ceux du marché, ce qui plombe notre balance commerciale. Pour résumer, tout accord doit se conformer à la volonté du peuple et à des échanges où le pays aura des rapports d'égal à égal avec ses partenaires.
1.5 milliard (MM) de dollars reçus des USA chaque année, placent l'Egypte comme le 2e pays au monde, après Israël, en termes des subventions de la part de l'Oncle Sam. Votre pays peut-il se passer de cet argent ?
Sans aucun doute, car dire que l'aide américaine nous fait vivre est totalement faux. Sur les 1.5 MM$ octroyés en 2010, 1.3 MM$ étaient réservés aux dépenses militaires, dont profitaient exclusivement à l'industrie de l'armement américaine. A cela s'ajoute que chaque année l'Egypte achetait 5 MM$ de produits américains, dont du blé. Les grands gagnants sont loin d'être les Egyptiens mais bien l'économie américaine. On peut faire marcher notre économie sans l'argent américain. L'Egypte n'a plus besoin de cet argent, à condition de bien utiliser nos ressources propres.
Etes-vous optimistes pour l'avenir de l'Egypte ?
Après le départ de Moubarak, on ne peut que l'être. Ceci étant, mon optimisme est teinté de quelques craintes. Pour capitaliser sur les acquis de la révolution des jeunes, nous nous devons de rester mobilisés. C'est notre manière d'exprimer notre attachement aux sacrifices consentis par les martyrs de notre révolution. Dans ce sens, le 18 février 2011, nous organisons le «vendredi de la victoire» pour fêter la nouvelle Egypte et maintenir la pression populaire jusqu'à ce que nos revendications se concrétisent au niveau institutionnel.
EGYPTE La révolution inattendue des centurions
Mireille Duteil
A première vue, tout est surprenant dans cette «révolution» égyptienne. L'armée, habituellement garante de l'ordre établi, en particulier lorsque le chef de l'Etat est sorti de ses rangs, comme c'était le cas d'Hosni Moubarak, n'a pas joué le rôle qui est le sien. Elle s'est rangée aux côtés de la population, refusant de faire couler le sang pour sauver le chef de l'Etat.
Des informations font aujourd'hui état de dissensions au sein de l'armée entre l'armée de l'air, l'élite de l'institution, et dont Moubarak fut autrefois le commandant en chef, et l'armée de terre, plus «plébéienne». La première voulait soutenir le Raïs. La seconde aurait eu une revanche à prendre choisissant de se ranger du côté du peuple.
Quoi qu'il en soit, l'armée égyptienne n'a pas innové. En janvier, le chef d'état-major de l'armée tunisienne avait, lui aussi, refusé de tirer sur les manifestants. Mais en Tunisie, l'armée n'a jamais été, comme en Egypte, au coeur du régime. Ben Ali était plus policier que militaire. Habib Bourguiba se méfiait des centurions et ne les avait jamais favorisés. Dans les années 80, aux Philippines, ce fut aussi une alliance entre les militaires et la population qui permit le renversement du régime corrompu de Ferdinand Marcos et l'avènement d'un régime démocratique.
La deuxième originalité de la révolution égyptienne est l'extraordinaire sagesse des manifestants. Hormis les premiers jours de contestation, au Caire et à Suez, lorsque certains éléments mirent le feu à aux immeubles du parti au pouvoir, c'est une foule bon enfant qui a campé pendant deux semaines sur la place Tahrir. Pas question de prendre une Bastille. Même les projets de se rendre jusqu'au palais présidentiel, à Héliopolis, furent abandonnés. Mieux encore, ce sont les jeunes «campeurs» de Tahrir qui nettoyèrent la place, repeignèrent les barrières et les bordures de trottoirs. Et les dissensions entre manifestants, les uns voulant continuer à occuper les lieux pour faire pression sur les militaires, les autres acceptant de les quitter et d'organiser une manifestation, chaque vendredi, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu la totalité de leurs revendications, se soldèrent par la victoire des seconds. Du jamais vu.
Troisième originalité : ce sont les manifestants eux-mêmes qui ont cherché refuge auprès de l'armée et lui ont demandé de prendre le pouvoir pour instaurer la démocratie, alors qu'elle est la colonne vertébrale d'un régime dont ils exigeaient que le chef parte.
Mieux, ce sont les Frères musulmans eux-mêmes, qui, demandant aujourd'hui à créer un parti, disent ne pas vouloir se présenter à la présidentielle ni obtenir la majorité au Parlement. Ils font confiance à l'armée pour éviter que la révolution ne tourne mal. En clair que les militaires gardent le pouvoir.
Cette question se pose évidemment. Mais, quatrième originalité, le Conseil suprême des forces armées – 24 officiers supérieurs – a, jusqu'à ce jour, fait un sans faute. Il a donné dix jours à une commission indépendante pour proposer une révision de la constitution qui sera soumise au référendum dans les deux mois. Celle-ci doit permettre à tous les partis de présenter un candidat aux présidentielles de septembre. Telle est au moins la promesse du Conseil suprême, cinq jours après le renversement d'Hosni Moubarak et le retour des prétoriens au pouvoir.
Moyen-Orient Bernanke est-il en train de réussir là où Bush a échoué ?
Hicham El Moussaoui*
Le 9 février 2011. Au lendemain des attentats du 11 septembre, Georges W. Bush a mené une croisade contre ce qu'il appelait les ennemis de la liberté. Cette guerre contre le terrorisme a muté, sous l'impulsion des néoconservateurs, en un projet de démocratisation des pays arabes du grand Moyen-Orient. Bush croyait avec naïveté qu'en imposant par la force la démocratie en Irak de l'extérieur, les dictatures arabes imploseraient sous l'effet «dominos». Il n'en était rien puisque les dictateurs arabes, à part Saddam, ont continué leur petit bout de chemin, notamment en Tunisie et en Egypte. Mais voilà, suite, en grande partie à la flambée des prix alimentaires - donc l'inflation -, les Tunisiens d'abord et les Egyptiens ensuite se sont soulevés pour exiger le départ de leurs présidents respectifs. Cette dynamique de contestation interne des dictatures, qui est en train de s'installer dans les pays arabes, Bush en a rêvé, mais Ben Bernanke n'y serait-il pas pour quelque chose ?
Pour lutter contre la déflation, générée par la crise financière mondiale, les gouvernements et les banques centrales du monde entier et à leur tête la Fed se sont lancées dans des politiques monétaires ultra-expansionnistes. Ainsi, avec sa politique d'intérêt zéro (ZIRP), Bernanke, à la tête de la Federal Reserve américaine, considérait que la crise était essentiellement un problème de liquidité et il espérait qu'en injectant massivement de l'argent, les banques allaient prêter de nouveau aux ménages et aux entreprises, ce qui relancerait la consommation et la production, donc la croissance. Mais avec ce climat de crise, les ménages et les entreprises étaient plus préoccupés par leur désendettement, ce qui a empêché de relancer la consommation et l'investissement productif créateur d'emplois.
Dans un environnement de crise où les perspectives de rentabilité d'investissements productifs sont faibles, l'abondance des liquidités a incité les investisseurs à orienter leurs placements vers les actifs avec un meilleur rapport rendement/risque à très court terme. En 2010, le volume moyen quotidien de produits financiers échangés au Chicago Mercantile Exchange (CME) Group, opérateur de référence sur les produits agricoles, a augmenté de 19% par rapport à 2009, alors que le volume d'actions, moins rentable à court terme, échangé sur la bourse de New York, a baissé de 20,9%. Le plus grave dans le cas américain est que les banques ont profité des liquidités injectées, d'une part, pour se recapitaliser, et d'autre part, pour spéculer sur les devises, les obligations souveraines (notamment des pays émergents) et les matières premières, considérées comme des valeurs-refuges en période de grande incertitude favorisée notamment par la baisse du dollar. Une spéculation désignée par le Président Sarkozy comme la seule responsable de la flambée des prix des produits alimentaires. Or, si la spéculation est un mécanisme amplificateur, il ne faudrait pas oublier que c'est plutôt la politique monétaire expansionniste de la Fed et des autres banques centrales qui, en créant des bulles, faisait le lit de la spéculation.
Le renchérissement des prix des matières premières est en train de se diffuser au reste de la chaîne en affectant les prix au niveau des importations, de la production des denrées alimentaires, du commerce de gros, du commerce de détail, jusqu'à faire grimper les prix des produits alimentaires à la consommation. Selon l'index des prix de la FAO, publié le 3 février dernier à Rome, les prix ont augmenté pour le septième mois consécutif, pour atteindre 231 points sur l'index établi par la FAO, soit «le plus haut niveau depuis que la FAO a commencé à mesurer les prix alimentaires, en 1990», indique l'organisation onusienne.
Outre l'influence des perturbations de la météo (sécheresse en Russie et en Ukraine, inondations en Australie), de la tendance haussière de la demande en provenance des pays émergents, et la concurrence des biocarburants, il était prévisible qu'imprimer de la monnaie allait affaiblir la valeur du dollar et déboucher sur l'inflation. En effet, plus il y a de monnaie en circulation, plus sa valeur diminue et plus les prix des biens libellés en cette monnaie augmenteront. Cette inflation est une grande menace surtout pour les pays à faibles revenus car ils abritent beaucoup de foyers pauvres qui dépensent plus de la moitié de leurs revenus dans la nourriture, pratiquement la majorité des pays arabes.
Face à la polémique, Bernanke nie toute responsabilité de la politique de la Fed dans l'inflation des produits alimentaires en désignant comme bouc émissaire la croissance de la demande en provenance des pays émergents, notamment la Chine. Seulement voilà, le prix du riz, constituant la base de la nourriture en Chine et de 3 milliards d'individus en Afrique et en Asie ne s'est pas envolé comme ceux du blé et du sucre, du moins pas encore. Difficile donc de nier la responsabilité, même partielle, de la politique monétaire expansionniste de la Fed. Les liquidités injectées par Bernanke ne sont pas allé stimuler l'économie réelle (l'encours des crédits à la consommation aux USA par exemple a baissé au total de 1,6% en 2010, après un recul record de 4,4% en 2009). Au contraire elles ont altéré les arbitrages des investisseurs qui se sont rabattus sur les marchés agricoles créant, après la bulle immobilière et la bulle des dettes souveraines, une bulle alimentaire.
Certes, en Tunisie comme en Egypte, le terreau était déjà favorable à la révolte. Il n'en demeure pas moins que dans les deux cas l'inflation des produits alimentaires en était l'étincelle. Une inflation qui trouve son origine en partie dans l'activation de la planche à billet par des Etat surendettés qui créent désormais de l'argent à partir de rien. Il est donc permis de penser que la politique monétaire irresponsable de Bernanke est en train de contribuer au remodelage de la scène politique dans le monde arabe en provoquant un vent inflationniste soufflant sur les braises des tensions sociales dans ces pays. Peut-être un mal pour un bien…
*Hicham El Moussaoui est analyste sur www.UnMondeLibre.org


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