Quand Tarik Nesh-Nash et Mehdi Slaoui Andaloussi, deux informaticiens apolitiques, anciens managers chez Microsoft, décident de créer une plate-forme de débat sur la Constitution, ça donne reforme.ma. Un site pas vraiment ergonomique, mais qui cartonne cependant. Petite histoire d'un grand boum. Samedi 23 avril, Rabat. Devant une partie de la Commission consultative de révision de la Constitution présidée par Abdellatif Mennouni, Tarik Nesh-Nash, ingénieur informaticien, a droit à 10 minutes (la Commission s'est partagée pour écouter ses hôtes, mais doit recevoir près de 70 personnes ce matin-là) pour présenter des propositions de réforme. Toutes ont été recueillies sur reforme.ma, le site qu'il a co-fondé avec un ancien collègue de Microsoft aux Etats-Unis, Mehdi Slaoui Andaloussi, aujourd'hui gérant d'une société de développement informatique à Seattle. Le principe est simple : le texte intégral de la Constitution marocaine y est présenté en 4 langues : arabe, français, espagnol et anglais, et ouvert aux commentaires des internautes, article par article. Dix minutes pour 700 pages Dix minutes, c'est court. Aussi, le jeune gérant de Software Center, entreprise informatique qu'il a lancée en 2009 à son retour au Maroc, a préparé de la documentation à l'intention des membres de la Commission. Un recueil de 700 pages de tous les commentaires et propositions enregistrés sur le site, ainsi que les statistiques du portail, nombre de visiteurs, de commentaires, pays de résidence, sexe… Avec ça, « s'ils (les membres de la Commission, ndlr) veulent vraiment analyser les résultats, ils le peuvent », nous assure-t-il. Début juin, les visiteurs de reforme.ma avaient déjà déposé près de 11 000 votes et 840 avis pour le seul article 19 de la Constitution. Rien ne prédestinait ce Tangérois trentenaire, apolitique de son propre aveu, à se retrouver embarqué dans cette aventure constitutionnelle. Pourtant, dès le 10 mars 2011, au lendemain du discours de Mohamed VI au cours duquel le roi promet une réforme constitutionnelle, son portail, préparé depuis février avec son coéquipier, est lancé. « Nous voulions mettre nos connaissances informatiques au service de la réforme, pour savoir quels changements nous désirons vraiment pour le Maroc », raconte Tarik. Reforme.ma se veut donc « un moyen de faire la promotion de la démocratie et de la liberté d'expression ». Le portail fonctionne d'ailleurs sans modérateur, à la manière de Facebook. Tout le monde peut laisser un avis qui sera publié tel quel car, nous affirme Tarik, « Internet est un espace libre : qui suis-je pour décider que tel ou tel commentaire doit être censuré ? ». D'autant plus que la plupart des « posts » sont « constructifs et patriotes ». En-dehors des quelques personnes qui ont laissé des marques insultantes de leur envie de renouvellement ou de leurs frustrations, les débats vont bon train. L'article 19 de la Constitution est le plus polémique*. Entre les internautes qui réclament son abrogation (45%), arguant principalement qu'il est, à lui seul, une Constitution dans la Constitution, et ceux qui soutiennent son maintien (55%) par amour du roi (« Vive le Roi », « Dieu, la Patrie le Roi »…), les disputes sont rudes et fréquentes. Début juin, les visiteurs de reforme.ma avaient déjà déposé près de 11 000 votes et 840 avis pour ce seul article. Et le site de débat comptabilisait 150 000 visiteurs de 126 pays, selon les statistiques de ses fondateurs. Une réussite inattendue, bien qu'espérée, pour ses créateurs qui ont misé sur les réseaux sociaux pour se faire connaître. Lors de la mise en ligne de la plate-forme en mars, c'est un simple « Tweet » sur Twitter qui fera office de communiqué de lancement. Suivront les « post » sur Facebook, qui relaie sur la page des utilisateurs de reforme.ma chacune de leurs activités sur le portail. De visite en visite, le site commence à se faire une réputation, jusqu'à ce 15 avril 2011 où le secrétariat de la Commission consultative appelle Tarik Nesh-Nash pour l'inviter à présenter les propositions de réforme enregistrées sur sa page. Des propositions venues du Maroc, bien sûr, mais aussi de France, des Etats-Unis, d'Espagne, d'Allemagne… « La semaine qui a précédé l'exposé devant la Commission, se rappelle l'ex-ingénieur de Microsoft, nous avons enregistré 10 000 visiteurs sur reforme.ma ». Record absolu, un succès que cet ingénieur explique par le « timing choisi pour le lancement du projet, la technicité unique du site, son impartialité et sa transparence ». Cette présentation ne sera pas la dernière. Peu de temps après la « Commission Mennouni », c'est l'Université de Tanger qui invite Tarik à un « Débat sur les résultats de reforme.ma ». Puis, c'est la Fondation Friedrich Naumann pour la Liberté, via son représentant au Maroc, qui lui propose de participer aux « Blogging for Freedom in the Arab World » au Caire, sur un sujet sensible : le Maroc veut-il la révolte ou la réforme ? Pour le nouveau conférencier, le Maroc est pour la réforme. Une dizaine de conférences s'enchaînent, durant lesquelles les rangs des adeptes du portail grossissent. Et avec eux, des demandes de soutien technique aux mutations dans certains pays. A en croire notre informaticien chevronné, des « réformateurs » de plusieurs pays l'auraient contacté pour mettre au point une réplique de reforme.ma, adaptée à leurs besoins. Des répliques qu'il créera gratuitement, « pour encourager les discussions sur la démocratie », nous assure Tarik. Et le jeune homme nous promet aussi de nouveaux services sur le portail marocain, après son déplacement, le 20 juin à Bonn en Allemagne, où il a été invité à participer à une rencontre sur les droits humains, « Human rights in a globalized world, challenges for the media ». Le lieu que son acolyte et lui ont choisi pour « une grande annonce ». Laquelle ? Patience, rendez-vous le 20 juin sur reforme.ma… Laïla Ziraoui *Article 19 de la constitution : « Le Roi, Amir Al Mouminine. Représentant Suprême de la Nation, Symbole de son unité, Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat, veille au respect de l'Islam et de la Constitution. Il est le protecteur des droits et des libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités. Il garantit l'indépendance de la Nation et l'intégrité territoriale du Royaume dans ses frontières authentiques ».