Casse-tête chinois pour Abbas El Fassi. Le Premier ministre, dans une tentative de calmer les tensions sociales, avait annoncé le recrutement «massif» de diplômés chômeurs. Bonne nouvelle ? Certainement sur le plan social mais pas vraiment pour le budget de l'Etat ni pour la déclinaison de ce plan de crise. Du coup, on peut dire que Abbas El Fassi, dans son élan social, a piégé beaucoup de monde et s'est même piégé lui-même puisque l'effet boomerang peut s'avérer hautement dangereux. Le grand écart d'El Fassi tombe mal vu le contexte particulièrement sensible à la veille de la révision constitutionnelle et du très attendu bilan du gouvernement qui va très certainement devoir tirer sa révérence cet été. Sur ce dossier particulièrement, la décision prise le 24 février dernier d'insérer dans l'administration publique, sans concours, 4.304 cadres diplômés appartenant à 39 groupes, fait des émules. Elle n'est même pas encore totalement exécutée que de nouveaux groupes de diplômés chômeurs réclament déjà leur part du gâteau. C'est ce qu'on appellerait mettre le feu aux poudres si l'on en juge par la tournure que prend la gestion de ce chantier titanesque. Selon les dires de Abdeslam Bekkari, conseiller à la Primature en charge du dossier, il y aurait actuellement, et au total, 97 groupes (soit 58 nouveaux groupes) de diplômés chômeurs, ce qui porte leur nombre à 7.800 cadres soit près du double de ce que El Fassi compte prendre. La plupart de ces groupes, explique-t-on à la Primature, ont été constitués au lendemain de la décision d'insérer directement, sans passer de concours, les chômeurs titulaires de master, doctorat et diplôme d'ingénieur d'Etat. Bekkari explique que les jeunes étaient venus le voir en disant qu'eux aussi sont des diplômés chômeurs et demandent à être recrutés au même titre que les autres. Et, face à cette vague inattendue, la réponse de la Primature a été, au départ, la suivante : «Les recrutements décidés concernent les groupes existants et déjà identifiés», commente notre source. Et d'ajouter, «les 4.304 cadres chômeurs étaient déjà inscrits auprès de nos services, leurs groupes sont connus, nous avons leurs listes, ils étaient repartis dans 39 groupes». Cependant, les jeunes « recalés» n'entendent pas baisser les bras. Mercredi dernier, en effet, à l'annexe de la Primature en charge du dossier d'insertion, ils étaient encore nombreux à monter la garde pour réclamer leur droit à avoir un travail et mettre encore plus la pression sur le premier ministre déjà mis à mal. Impassibles, la mine serrée, ils attendaient depuis le début de la matinée, certains dans les escaliers et d'autres dans le hall d'attente. Finalement, c'est aux alentours de 17h30, après plusieurs réunions de consultation au sein de la Primature que Abdeslam Bekkari a pu s'entretenir avec les contestataires. Interrogé à ce propos, quelques temps avant la rencontre, Bekkari nous a confié qu'au niveau de la Primature, ils sont en train de s'interroger sur les issues possibles. «Nous nous posons la question de savoir comment nous allons gérer la situation. Pour l'instant, nous ne savons pas encore quelle sera la solution. Nous travaillons toujours sur l'insertion déjà annoncée des 4.304 cadres». Ce qui veut dire que l'option de rallonger la liste reste envisageable mais qui dénote surtout de la pression sociale et politique qui pèse sur El Fassi en ce moment. Dans une telle situation, le moindre faux pas peut être «mortel». À contre cœur Même pour l'insertion des 4.304 «heureux élus», les choses se compliquent au risque de virer vers le scénario dramatique de chômage déguisé. À ce stade, les services du Premier ministre a passé commande auprès des établissements publics pour la création des emplois demandés. On apprend ainsi que «tous les ministères et leurs établissements sous tutelle, ont recruté les profils qu'on leur a envoyés et les affectations ont été faites dans la plupart des cas». Le cabinet de Abbas El Fassi affirme également que ces cadres ont été presque tous contactés par les administrations qui doivent les accueillir, afin de réparer leur dossier pour être recrutés. Les responsables de Moustakbal, un des groupes de diplômés chômeurs nous ont, en effet, confirmé avoir reçu leur affectation, mais qu'aucun d'eux n'a encore occupé le poste promis. On pourrait penser de prime abord que tout se passe comme prévu et que ce n'est qu'une question de temps. Sauf que du côté des administrations concernées, les choses ne semblent pas se dérouler comme le décrit le cabinet du Premier ministre. Selon nos informations, beaucoup d'entités administratives sont mal à l'aise avec le procédé consistant à recruter ces profils directement recommandés par la Primature. Certains ont accepté à contre cœur, mais d'autres hésitent encore ou ont carrément rejeté la demande. Au niveau du ministère des Finances, celui de la Défense, celui de l'Industrie ou encore celui de l'Equipement et des Transports, certains de leurs établissements de tutelle, ont en effet refusé de recruter les profils qui leur ont été acheminés. L'argument avancé par les Finances, la Défense et l'ONCF au niveau des transports, qui devraient recruter respectivement 60, 100 et 160 profils, était que les formations des cadres chômeurs ne correspondaient pas à leurs besoins. «Ils doivent avoir une formation spécialisée et adaptée, pour pouvoir occuper les postes qu'on leur a proposés», ont-ils expliqué. Au niveau du ministère de l'Industrie, 184 profils ont été envoyés pour recrutement auprès des chambres de commerce, d'industrie et des services (CCIS) et cela a également créé un malaise. Les CCIS déclarent n'avoir nullement besoin de nouveaux profils, car leur personnel est déjà pléthorique. «Nous ne pouvons pas recruter pour recruter. Il faut avoir le besoin et les moyens», s'est insurgé Driss Houat, président de la Fédération des CCIS. Et d'ajouter, «Nous pouvons consentir ce sacrifice national, mais au moins qu'on nous envoie des profils adaptés ou qu'on les recycle avant de nous les envoyer». A l'heure actuelle en tout cas, dans certaines CCIS notamment celle de Casablanca, Khénifra, Ouarzazate et Kénitra, le débat semble clos sur ce dossier, car celles-ci ont ouvertement annoncé à la Fédération leur refus de recruter, par manque de besoins et de capacité d'accueil. Cependant, s'il y a un lieu «sûr» où les diplômés chômeurs semblent être les bienvenus, c'est au niveau de l'Education nationale. Selon la Primature, le département de l'Education, ayant d'énormes besoins en ressources humaines, suite notamment à la vague des départs volontaires, a accepté 2.150 cadres et en redemande. Mais les cadres chômeurs veulent-ils tous de ce secteur? Pas si sûr. Assurance Au niveau de la Primature, si on ne nie pas la difficulté que représente l'insertion des cadres diplômés chômeurs. On explique cependant que les refus ou les réticences à les recruter signalés du côté des établissements, sont le fruit d'un malentendu. Ce malentendu, explique-t-on, porte sur deux points, à savoir la question de la formation et celle des postes budgétaires. Sur ce dernier point, Bekkari souligne qu'en fait, les recrutements des cadres chômeurs n'engendrent pas de dépenses supplémentaires pour les administrations et établissements qui vont les accueillir. «L'Etat a prévu pour l'année 2011 des postes budgétaires pour 18.800 profils pour toutes les entités publiques et c'est dans ce cadre que sont insérés les diplômés chômeurs», explique le chargé du dossier. Et d'ajouter, «Par exemple, le ministère de la Justice a 1.000 postes budgétaires pour 2011. Nous en avons négocié 200 pour les diplômés chômeurs». Or, s'agissant de la formation de réadaptation, incontournable dans la plupart des cas, c'est à l'administration concernée de faire le nécessaire. Au niveau des entités qui ont déjà planifié les formations (comme c'est le cas du ministère de la Justice), celles-ci vont durer entre 3 à 6 mois. Tout au long de cette phase de réadaptation, les cadres en insertion percevront leurs salaires correspondant à l'échelle 11. Toutefois, malgré ces assurances que tente de donner le chargé du dossier, la question essentielle qui conditionne l'ensemble de la démarche est celle de l'existence de besoins véritables en ressources humaines au sein des entités concernées. Sur ce point, la Primature fait plutôt du forcing. «Les entités ne sont pas obligées d'engager tous les cadres qui leur sont envoyés si cela dépasse leurs capacités, mais elles doivent quand même fournir l'effort nécessaire pour recruter», explique-t-on, en substance. Or, ce forcing peut avoir des conséquences énormes, en générant notamment une sorte de chômage déguisé, dans la mesure où n'ayant pas le choix de ne pas recruter, les entités peuvent se retrouver avec des salariés qui ne sont là que pour faire de la figuration. À ce rythme, le gouvernement de l'après El Fassi se trouvera dans l'obligation de débrayer ou de procéder à nouveau à une opération de départ volontaire pour alléger les charges.