Ma précédente tribune a essayé de montrer à quel point les fonctions économiques de l'impôt d'Etat sont très imparfaitement assumées au Maroc. Ce dévoiement du système fiscal abîme le contrat social liant les citoyens à l'Etat et justifie aujourd'hui la nécessité d'une grande réforme fiscale. Il s'agit, bien entendu, de rompre avec les pratiques du passé où les gouvernements successifs, quels que soient leurs couleurs politiques, ont privilégié, en l'absence de vision stratégique mais aussi, sans doute, par manque d'audace, une politique «d'homéopathie fiscale», qui consiste à réformer par petites touches, plutôt qu'à procéder à des réformes globales et cohérentes de l'architecture des prélèvements obligatoires du royaume. Porter une réforme fiscale d'envergure suppose de conduire une nouvelle politique fiscale mise au service de trois objectifs stratégiques. Le premier objectif stratégique consiste à introduire plus de justice fiscale. Au travers d'une redistribution des richesses par l'impôt, l'Etat doit chercher à réduire les inégalités de revenus. La progressivité et la personnalisation de l'impôt sont le fondement de cette optique et l'impôt sur le revenu des personnes physiques en est l'application par excellence. Les mesures susceptibles de traduire dans les faits cette recherche d'équité, sont les suivantes : Revoir le barème de l'IR en relevant le seuil de la première tranche d'imposition, en allégeant les taux des tranches intermédiaires, en augmentant ceux des tranches élevées et en créant un taux de 60% pour les très hauts revenus. Décider de la neutralité de l'impôt par rapport aux sources de revenus en supprimant les systèmes de retenue à la source, libératoires à taux réduits et en alignant les taux d'imposition des revenus non salariaux sur ceux des revenus salariaux : appliquer le même barème aux revenus et profits du capital aux revenus et profits agricoles, aux profits réalisés sur les œuvres d'art, aux revenus et profits provenant de placements bancaires ou en produits d'assurance-vie ou en valeurs mobilières, aux revenus et profits immobiliers, aux revenus professionnels et aux bénéfices des sociétés soumises à l'IS,... Instituer un impôt sur la fortune prévoyant une éxonération de l'habitation principale dans certaines limites et alourdir les droits de succession et de mutation. Renforcer les prélèvements dits sociaux pour améliorer le financement des dépenses de solidarité nationale (santé, retraite, chômage). Le deuxième objectif stratégique est l'accroissement des recettes fiscales sans augmentation de la pression fiscale. Dans un contexte de morosité économique et face au creusement des déficits publics, l'Etat est tenu, dans un cadre fiscal normalisé, d'accroître le rendement de la fiscalité sans hausse des taux d'imposition et sans création de nouveaux impôts, afin de sauvegarder le pouvoir d'achat des ménages et de préserver la compétitivité des entreprises. La solution à cette équation consiste à élargir les bases d'imposition. Deux moyens permettent d'y parvenir. D'une part, lutter efficacement contre l'évasion et la fraude fiscales ; la performance de l'administration dans cette lutte étant le gage de sa crédibilité et de sa capacité à faire respecter le principe d'égalité devant l'impôt. Lutte contre l'économie souterraine, les fausses factures, les ventes sans facture, les déductions abusives, les pratiques de fraude internationale liées aux prix de transfert.., constituent des pistes prioritaires d'investigation pour le fisc. D'autre part, supprimer progressivement l'ensemble des dépenses fiscales, du moins celles dont l'efficacité socio-économique n'est pas avérée ou insuffisante au regard de leur coût pour les finances publiques. Faut-il rappeler que les niches fiscales représentent en 2010 un volume de 384 mesures dérogatoires et obérent les ressources de l'Etat de 29.8 milliards DH soit 20% des recettes fiscales ! Le troisième objectif stratégique réside dans la transformation des rapports entre l'administration fiscale et les contribuables. L'Etat doit tout faire pour permettre l'éclosion d'un nouveau civisme fiscal, en prenant conscience que le consentement à l'impôt est essentiel à sa légitimité. Tout l'enjeu est de construire des rapports de confiance mutuelle entre les contribuables et l'administration, après avoir réussi au préalable, à relever un défi d'une toute autre envergure, celui de gagner la confiance du contribuable dans le processus politique de décision. La perception de l'impôt par le citoyen marocain a considérablement évolué, sous l'impulsion de la montée de ses éxigences démocratiques. Considérant désormais l'impôt comme le prix d'un service rendu par l'administration, le contribuable est beaucoup plus soucieux qu'autrefois de l'utilisation qui est faite de l'argent public et exige de l'administration fiscale qu'elle se comporte en entreprise de services face à des usagers. Le code général des impôts adopté en 2007 s'inscrit dans le cadre d'une politique de proximité, par la transparence et la lisibilité qu'il induit. D'autres mesures doivent suivre en vue d'améliorer la qualité des services rendus par l'administration fiscale et de mettre en place des cadres juridiques et administratifs facilitant l'accomplissement des obligations fiscales : simplification des procédures, discussion préalable des circulaires d'application avec les fiscalistes, fusion des services de la Direction générale des impôts et de la Trésorerie générale du royaume, création de guichets fiscaux uniques, nomination de médiateurs fiscaux régionaux, utilisation des nouvelles technologies de l'information pour accéder à la situation fiscale des contribuables, effectuer des déclarations ou obtenir des informations personnalisées, constitutionnalisation des droits du contribuable et renforcement de la charge de la preuve incombant au fisc, ... Pour bâtir un Maroc moderne, politiquement démocratique, économiquement prospère, socialement apaisé et culturellement épanoui, l'Etat a cruellement besoin de ressources financières puissantes, qui ne seront accessibles qu'au prix d'une grande réforme fiscale.