La plus grande réforme du système fiscal marocain remonte au milieu de la décennie 1980, lorsque les trois impôts majeurs ont été créés : la TVA en 1986, l'IS en 1988 et l'IGR en 1990. Depuis cette réforme, les lois de finances se sont succédé pour consacrer une politique fiscale visant une baisse régulière des taux, un relatif renforcement des droits des contribuables, un encouragement à l'investissement, à travers une charte, aujourd'hui abrogée, et, plus récemment, une simplification du système fiscal, notamment par une réduction du nombre de taux et d'exonérations en matière de TVA, ainsi que par l'élargissement de la portée des remboursements de crédits de TVA. Parallèlement, les droits de douane ont été réduits de façon drastique dans un contexte de mondialisation des échanges commerciaux et d'intégration du Royaume dans des espaces régionaux ou stratégiques, avec la signature de trois accords de libre-échange (UE, USA et pays arabes signataires des accords d'Agadir). Aujourd'hui, il est de bon ton d'appeler à une grande réforme de la fiscalité marocaine. Ce thème figure au centre de l'agenda politique du gouvernement comme des partis d'opposition ; sans toutefois parvenir pour l'un, à bâtir un système fiscal moderne, transparent, équitable et économiquement efficace, et pour les autres, à proposer une alternative crédible et réaliste. La pression fiscale reste très inégalitaire, tandis que les contribuables ne sont pas imposés sur leur capacité contributive réelle. Deux causes à cette injustice fiscale : d'une part, une économie souterraine d'une vitalité surprenante, ainsi qu'une évasion et une fraude fiscales endémiques favorisées par des pratiques de corruption généralisées et, d'autre part, la capacité de lobbys influents à maintenir une exonération totale ou partielle du patrimoine et de certaines catégories de revenus. La détention du capital, les profits et revenus agricoles, les profits sur les œuvres d'art ..., échappent totalement à l'impôt, tandis que les revenus du capital, les revenus et profits provenant de placements bancaires ou en produits d'assurance-vie ou en valeurs mobilières, les profits immobiliers, les droits de succession ... , bénéficient de taux d'imposition particulièrement cléments. La réforme du système fiscal marocain implique préalablement au choix des mesures de modification de l'impôt, relatives à son champ d'application, sa base d'imposition ou son taux, de s'interroger sur les objectifs économiques recherchés à travers ces mesures. Quelle finalité assigne-t-on à la réforme fiscale ? Quels en sont les objectifs économiques ? Est-ce de financer les dépenses publiques et de réduire le déficit du Trésor ? De redistribuer les revenus et d'améliorer la justice sociale ? Ou d'orienter les comportements économiques pour favoriser la croissance ? Ou est-ce les trois objectifs précités à la fois et selon quelle hiérarchie ? Initiés par le gouvernement mais fixés par le Parlement, dans le cadre des lois de finances conformément aux dispositions de l'article 50 de la Constitution, les impôts servent en premier lieu à fournir aux administrations publiques les moyens de fonctionner et d'investir. Impôts directs, impôts indirects et cotisations sociales, constituent l'enveloppe des prélèvements obligatoires opérés sur les agents économiques et représentent le socle du contrat social liant les citoyens à l'Etat. À court terme, les recettes fiscales sont sensibles au rythme de l'activité économique. Portées par la hausse de la production, de la consommation, des revenus ou des profits, parce que l'assiette des prélèvements croît, les rentrées fiscales sont inversement affectées lors des périodes de ralentissement économique. Après une hausse de 19% en 2007 et de 24% en 2008 (167.3 MMDH), les ressources fiscales de l'Etat chutent de 9% en 2009 et de 2% en 2010 (149.6 MMDH). Sur la décennie 2000 à 2009, on constate trois grandes tendances: une élasticité de 0,8% au cours de la période 2000-2004, illustrant une évolution en ligne des recettes fiscales avec celle du PIB; une élasticité de 2,1% à partir de 2005 jusqu'en 2008, puis une élasticité négative de -1,4% en 2009 en rapport avec le recul constaté au niveau des recettes fiscales.Dans ce contexte difficile, la rationalisation de la dépense publique devient un enjeu majeur de la politique économique du gouvernement.Les impôts dits progressifs sont également un moyen de réduire les inégalités de revenus. Ce principe d'équité fiscale trouve sa source dans l'article 17 de la Constitution, qui dispose que «Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir». Mais dans les faits, ce principe est battu en brèche pour trois raisons. D'abord, le poids exorbitant de la TVA dans le système fiscal marocain (30% des ressources fiscales de l'Etat), qui est un impôt indirect proportionnel à la consommation et donc dégressif par rapport au revenu. Ensuite, le traitement fiscal privilégié qui est réservé aux revenus du capital (revenu principal des plus fortunés) et qui est basé sur des taux d'imposition faibles et sur une multitude de niches fiscales (384 mesures dérogatoires en 2010 générant 29,8 MMDH de dépenses fiscales dont 4,2 MMDH au titre de l'impôt sur le revenu). Enfin, l'absence totale d'impôts sur le patrimoine, privant ainsi le système fiscal marocain de toute ambition de redistribution. Les impôts sont également utilisés pour orienter les comportements économiques, considérant que le coût fiscal constitue une variable d'ajustement des agents économiques. Cette inclinaison dissuasive ou incitative de la politique fiscale est généralement observée en matière de régulation de la consommation des «biens tutélaires» tels que le tabac, l'alcool ou le jeu, en matière de politique publique favorable à la recherche, à l'investissement, à la culture, à la formation ou à l'emploi et, sous d'autres cieux, en matière de fiscalité écologique. La multiplication des mesures dérogatoires rend le système fiscal illisible et aboutit à une contradiction entre la nécessité d'une efficacité économique de l'impôt et le souci de l'équité fiscale.