Entre falsification de diplômes et prolifération de lunettes vendues en ligne, le secteur de l'optique sombre dans l'anarchie. Un marché au potentiel immense, miné par des dérives qui compromettent la santé visuelle des citoyens et soulèvent des questions sur l'inaction des autorités. Un clic, une promesse d'économie, et l'illusion d'une vision parfaite. Sur Internet, les sites qui proposent des lunettes à prix cassés pullulent. Et cela ne se limite pas à la vente de montures de différentes gammes, mais ils donnent aussi des solutions qui promettent des lunettes miracles capables de corriger la vue sans consultation médicale ni prescription. Ces promesses attirent de nombreux consommateurs, souvent tentés par des prix attractifs. En réalité, ces articles souvent de qualité douteuse, s'avèrent après coup inefficaces, voire nuisibles, et reflètent, in fine, les dérives dans un secteur gangrené par l'informel. Avec 15% des Marocains équipés de lunettes seulement, le potentiel de croissance du marché demeure immense. Mais derrière ces perspectives, de nombreux dysfonctionnements entravent le développement du secteur de l'optique. En cause, un marché miné par la prolifération de diplômes falsifiés, permettant à des individus sans formation d'exercer une profession qui exige pourtant une expertise technique. Ce phénomène alimente un marché informel où des opticiens peu qualifiés fournissent des produits inadaptés, souvent au détriment de la santé des patients. À cela s'ajoutent, les caravanes médicales qui, bien qu'indispensables dans les régions reculées, sont parfois détournées de leur missions initiales. Certaines associations exploitent la vulnérabilité des populations locales en prétextant des actions de solidarité, tout en leur vendant des lunettes de qualité douteuse sans suivi médical adéquat. Des pratiques qui entretiennent un climat de méfiance envers des initiatives pourtant indispensables. La concurrence accrue des plateformes de vente en ligne complète ce tableau sombre. Notons, par exemple, l'absence de régulation stricte pour les publicités trompeuses en abondance sur les réseaux sociaux, qui expose davantage les usagers à des risques pour leur santé visuelle. Le consommateur, grand perdant Face à ces pratiques frauduleuses, les consommateurs se heurtent à des situations préoccupantes. Des opticiens, souvent dépourvus de formation adéquate, proposent des équipements, notamment des verres inadaptés issus de circuits parallèles. À cela s'ajoutent des erreurs techniques dans le réglage des verres, susceptibles d'aggraver les troubles visuels. Ces dérives mettent en lumière l'ampleur des dysfonctionnements d'un secteur où l'absence de rigueur professionnelle fait peser un risque sérieux sur la santé des usagers. Diplômes falsifiés Derrière ces dérives se cache un phénomène alarmant. Des diplômes d'opticien sont vendus à 40.000 dirhams, parfois négociables, une pratique qui reflète les graves lacunes du cadre réglementaire. Nouâmane Cherkaoui, secrétaire général du Syndicat national professionnel des opticiens au Maroc (SPNOM), souligne que «la loi 13-00 impose une accréditation après trois ans de fonctionnement uniquement pour les écoles qui en font la demande, sans que le ministère dispose des moyens ou de la volonté nécessaires pour contrôler les établissements non accrédités». Une situation qui a permis la prolifération d'instituts de formation échappant à toute régulation. Le secteur compte aujourd'hui environ 5.000 professionnels diplômés, mais cohabite avec quelque 2.000 acteurs non autorisés, mettant en péril la santé visuelle des citoyens. Malgré des campagnes de sensibilisation, l'immobilisme des autorités demeure flagrant. «La loi 45-13 prévoit que les décrets d'application soient publiés dans les deux années suivant son adoption en 2019. Malheureusement, aucune avancée significative n'a été enregistrée depuis», déplore Nouâmane Cherkaoui. Le numérique exacerbe ces problèmes. La vente en ligne de montures et verres optiques prolifère, souvent sans respecter la loi 84-12, qui interdit la publicité pour des dispositifs médicaux. Des pratiques illégales qui échappent largement à la régulation. Sur le plan fiscal, les acteurs de l'informel, enregistrés sous le statut de Contribution professionnelle unique (CPU), bénéficient d'une exonération de TVA, accentuant les inégalités face aux entreprises formelles. Pour le SPNOM, la création d'un Ordre des professions de rééducation et de réhabilitation fonctionnelle, prévu par la loi 45-13, s'avère indispensable. «Cette structure pourrait standardiser les pratiques et réguler le secteur», affirme Cherkaoui. La généralisation de la couverture médicale, effective depuis décembre 2022, offre en ce sens une opportunité unique. En stimulant la demande de services de qualité, cette réforme pourrait redonner du souffle à un secteur en pleine crise. Une régulation tardive Le secteur de l'optique au Maroc, régi initialement par un dahir de 1954, a évolué au fil des décennies. Si les années 1980 ont marqué l'émergence des premiers opticiens marocains formés à l'étranger, il a fallu attendre le début des années 2000 pour que la formation professionnelle soit institutionnalisée. La loi 45-13, adoptée en 2014 mais appliquée en 2019, a représenté une étape majeure. Cependant, la prolifération d'établissements non accédités depuis la libéralisation de la formation continue de peser sur l'équilibre du marché. Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ECO