Miriem Bensalah, Présidente de la CGEM Les Ecos : Quel bilan d'étape faites-vous de votre première année à la tête de la CGEM ? Miriem Bensalah : Cela fait précisément tout juste huit mois que Salaheddine Kadmiri et moi-même avons été élus à la CGEM. Ces mois passés à la présidence de la Confédération ont été très intenses, tout d'abord parce que la conjoncture économique est particulièrement tendue, que le cadre institutionnel national est au cœur d'importantes réformes qui impliquent plus de démocratie et de transparence et enfin parce que nous avons voulu imposer à la CGEM un nouveau rythme, plus dense, à la hauteur des attentes du tissu économique. Cette activité est soutenue par 30 fédérations représentant tous les secteurs de l'économie, 22 commissions, 10 représentations régionales et 32 conseils d'affaires internationaux. La CGEM siège également dans une soixantaine de Conseils d'administrations et d'institutions publiques, telles que la CNSS, la CIMR, l'OFPPT, le Conseil économique, social et environnemental, 5 organisations internationales du travail et bien d'autres encore. Des personnalités remarquables et bénévoles sont à la tête des 22 commissions que comprend actuellement la CGEM. Chacune de ces commissions a identifié les chantiers qui nous attendent et les plans d'action à mettre en œuvre. Les dossiers les plus importants au cours de ces derniers mois ont été le climat des affaires, la compétitivité de l'entreprise marocaine, l'offre Maroc, les délais de paiement, le dialogue social et enfin, nos accords avec l'Union-européenne, l'Espagne, la France et les USA. La réorganisation de la structure permanente de la CGEM est aussi un chantier important que nous avons lancé et qui est toujours en cours d'ailleurs. La structure permanente doit être plus organisée et mieux outillée pour relever les défis et s'inscrire dans une perspective de développement. Nous avons promis une CGEM forte et un patronat engagé. La communication joue aussi un rôle essentiel dans ce sens. Nous avons entrepris les actions nécessaires pour que la CGEM et les valeurs qu'elle défend, soient plus connues du grand public, qui doit avoir toutes les clés pour comprendre le rôle et le message des entrepreneurs, pour que le patronat ne soit plus étiqueté comme un club fermé. Il s'agit là d'une question essentielle, surtout lorsque des débats aussi importants que ceux que nous vivons actuellement sont posés. Quid de votre plan d'action 2013 ? Notre plan d'action 2013 est clair : faire de la politique entrepreneuriale un sujet central et novateur, avec tous les débats, les analyses et les nombreux programmes que cela nécessite. Notre cap est celui de la compétitivité de l'offre Maroc et de son offre exportable, de l'emploi, de la PME, de la relance de l'industrie, de la réforme de la fiscalité et de la lutte contre l'informel organisé, la lutte contre les lourdeurs bureaucratiques, le népotisme, le clientélisme et la corruption. Les perspectives de 2013 s'annoncent complexes, malgré une croissance qui se maintient et une stabilité politique à la base même de toute confiance, dont celle renouvelée aujourd'hui par les grandes institutions internationales. Mais cela nécessite d'autant plus de vigilance, car ce n'est pas encore la sortie du tunnel. La Caisse de compensation est un sujet brulant auquel nous comptons prendre part activement car, si tout le monde s'accorde à dire que la décompensation est nécessaire, la méthode et la maîtrise des effets secondaires de cette décompensation sont la clé du succès de cette réforme. Une réforme qui ne doit en aucun cas déstabiliser les politiques sectorielles ou aboutir a une inflation non maîtrisée. Ceci aurait pour résultante, l'alourdissement des coûts de production qui vont gréver la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat de la classe moyenne marocaine. C'est donc un sujet fondamental, qui mérite toute notre attention. Il faut fournir d'énormes efforts économiques et politiques concertés, pour que chacun puisse jouer le rôle qui lui incombe et maintenir le pays dans une vision partagée et cohérente, qui sont à la base de la stabilité économique et surtout sociale. Beaucoup d'encre a coulé sur la nature des rapports qu'entretient la CGEM avec le gouvernement. Qu'en est-il concrètement ? Nos rapports et nos échanges sont réguliers et continus, basés sur le franc-parler, la cordialité et la concertation, sans jamais perdre de vue l'objectif prioritaire : la performance de notre économie, la création d'emplois et de richesses et le renforcement des équilibres sociaux. En parallèle, nous avons mis en place une plateforme de travail avec le gouvernement, dont l'objectif est la réalisation à court terme, de mesures concrètes sur des problématiques liées à la compétitivité des PME, la PME, l'environnement des affaires, le social et la formation, ainsi que le développement international. 5 groupes de travail, co-présidés par un ministre et un représentant de la CGEM, sont opérationnels, tiennent des réunions régulières et feront l'objet d'une évaluation tous les 3 mois. Les rapports de la CGEM avec le gouvernement ont fait couler beaucoup d'encre simplement, car faut-il le rappeler ? le contexte politique et institutionnel est lui même nouveau depuis l'adoption de la nouvelle Constitution, l'espace de débat s'est élargi tout comme celui des observateurs et des commentateurs. Où en est aujourd'hui le chantier relatif à la représentation constitutionnalisée du patronat à la 2e Chambre du Parlement ? Ce chantier est tributaire du vote de la loi organique relative à la régionalisation avancée. Pour l'instant, nous n'avons pas de visibilité précise quant à cet échéancier. Nous avons pris nos dispositions en modifiant nos statuts en 2012, afin de nous préparer à cette nouvelle donne et un groupe de travail planche actuellement sur ce sujet. Que pouvez-vous nous dire du dialogue direct avec les syndicats ? N'est-ce pas une manière de prendre de court l'Exécutif ? Au contraire, nous avons toujours annoncé notre démarche sur cette question. Rappelez-vous, dès le jour de mon élection à la CGEM, dans mon allocution, j'ai évoqué la nécessité du dialogue direct et d'une paix sociale. C'est une manière de préparer le terrain au dialogue social national. Si le patronat et les syndicats s'accordent en amont sur des sujets communs, cela ne peut qu'aller dans le sens de la volonté du gouvernement. Notre «Pacte social pour une compétitivité durable» veut initier un nouveau départ avec les syndicats, montrer notre volonté en nous engageant à faire prévaloir le droit à un emploi digne, à promouvoir la résolution des conflits en amont, à mettre en place des mécanismes de médiation et en réfléchissant ensemble à une réglementation du droit de grève, cité dans la Constitution, qui ne compromettrait ni l'entrepreneuriat et la liberté de travail, ni la liberté syndicale. Aujourd'hui, nous ne pouvons parler de compétitivité sans parler de stabilité du champ social, de flexibilité ou de flexi-sécurité et sans prévenir les conflits. Et c'est ce que nous essayons de faire. Les syndicats l'ont bien compris, qu'il s'agisse de l'UMT, de l'UGTM ou de l'UNMT et certainement de la CDT et de la FDT avec lesquels nous continuons de dialoguer de façon continue. J'estime qu'il s'agit là d'une avancée citoyenne et d'un acquis fondamental. Le patronat et les syndicats ont fait preuve par ces signatures de responsabilité historique. Qu'a préparé la CGEM pour sa participation aux prochaines assises de la fiscalité ? Concrètement, quelles sont vos attentes ? Tout d'abord, je tiens à préciser que nous avons fait savoir qu'il n'est pas question pour nous de faire de la figuration. La question qui se pose est quelle fiscalité voulons-nous, et pour quoi faire ? Tout le monde est d'accord aujourd'hui que notre fiscalité ne répond plus aux exigences d'une économie moderne et ouverte. La mise en application des différents accords de libre-échange ont provoqué une quasi disparition des recettes tarifaires. Ces recettes par exemple représentaient en 2006 environ 10% des recettes fiscales de l'Etat. Pour pallier à ce manque à gagner, les gouvernements de l'époque ont mis en place une transition fiscale, mais cette transition s'est effectuée en dehors du bon sens et de manière atypique, à travers la contribution de l'impôt sur les sociétés et non pas de la TVA qui reste un impôt d'une grande complexité avec quatre taux plus le taux zéro et une assiette très étroite. Comme vous le savez, plusieurs produits échappent aux mécanismes de la TVA et beaucoup d'opérateurs souffrent des distorsions actuelles. Donc, la réforme de la TVA est un volet essentiel de la réforme de la fiscalité et pour réussir, cette réforme doit établir un diagnostic complet, à la fois sur les impôts directs et indirects, définir une méthode, mettre en place un calendrier et surtout fixer les objectifs de cette réforme. À la CGEM, nous nous battons pour une fiscalité visible, incitative, juste et efficace. Nous attendons également que le gouvernement prenne à bras le corps le problème de l'informel. Le levier fiscal est nécessaire mais demeure insuffisant pour combattre ce fléau. Nous avons besoin d'une action forte et volontariste pour protéger nos entreprises travaillant dans le cadre légal, contre ceux et celles qui travaillent en marge de la loi. Car ceux là font de la concurrence déloyale, ne payent pas leurs impôts et n'assurent pas de couverture sociale à leurs employés. Les Assises nationales de la fiscalité doivent venir avec des mesures de contrôle et de répression allant dans le sens de la lutte contre l'informel. Vous avez érigé les PME en priorité de votre mandat, quels sont les besoins de cette catégorie d'entreprises dans le contexte actuel ? Et quel rôle peut jouer la CGEM dans le sens de leur satisfaction ? La PME est au cœur de la stratégie de ce mandat. Deux commissions lui sont dédiées au sein de la CGEM, la commission PME et la commission PME-Grandes entreprises. Dans la plateforme de travail CGEM/Gouvernement, un groupe de travail est également dédié à la PME. La création d'un observatoire de la PME a été approuvé et nous finalisons actuellement son plan de réalisation et le travail engagé impliquera l'ensemble des partenaires, à savoir les ministères, l'ANPME, la CCG, la CDG, BAM, le GPBM, etc... Nous savons tous que les problèmes actuels de la PME sont surtout liés à des difficultés de trésorerie et d'accès aux financements. Les délais de paiement sont également au cœur des discussions, surtout la loi 32-10 dont l'exécution doit être accompagnée, facilitée, vulgarisée, car il s'agit d'une approche nouvelle qui bouscule les mentalités et les habitudes. Ces questions, ainsi que l'accès aux marchés publics et l'accompagnement des PME (statut de l'auto-entrepreneur, guichet unique, l'amorçage, les programmes d'appui existants, l'accès aux marchés publics, la diplomatie économique...), constituent les priorités du groupe de travail mixte avec le gouvernement. Nous devons lever toutes les barrières et faire émerger une nouvelle génération d'entrepreneurs. Quel est votre plan pour hisser le niveau de rayonnement à l'international de la CGEM ? Comme je l'ai précisé au début de notre entretien, ces 8 derniers mois ont connu 4 événements majeurs avec nos partenaires étrangers : une rencontre avec le patronat espagnol en octobre, qui a réuni près de 350 patrons marocains et espagnols, une visite en novembre du Commissaire européen pour l'entrepreneuriat accompagné de près de 200 entreprises européennes et un événement avec le Medef international, qui a réuni 400 hommes d'affaires des deux bords. Par ailleurs, dans le cadre du dialogue stratégique, la CGEM a participé à la «Business Development Conference» en décembre à Washington. Cette rencontre a permis de renforcer les partenariats commerciaux entre les entreprises marocaines et américaines opérant dans les secteurs de l'aéronautique, de l'agriculture, de l'automobile, des énergies renouvelables et des infrastructures. Nos conseils d'affaires sont de véritables vecteurs de lobbying et de défense des intérêts économiques de nos entreprises à l'étranger. À travers ces conseils d'affaires, la CGEM œuvre pour faire du Maroc une plateforme financière, économique et industrielle de premier niveau pour ses différents partenaires économiques. En 2013, nous mettrons particulièrement l'accent sur des actions en direction de pays africains et arabes. L'Afrique est un véritable pôle de croissance et d'opportunités, de nombreuses entreprises marocaines se tournent vers cette région et le Maroc jouit d'un partenariat stratégique avec les pays du Golfe, un partenariat sur lequel nous devons construire et capitaliser. Beaucoup de choses ont été faites pour l'amélioration du climat des affaires, mais ce point représente toujours un handicap pour l'attractivité du Maroc ? Que peut-on faire pour remédier à cela ? Nous avons deux plateformes d'échange importantes entre la CGEM et le gouvernement : le groupe de travail dédié au climat des affaires au sein de la plateforme gouvernement-CGEM et la Commission nationale de l'environnement des affaires-CNEA. Cette commission, mise en place en 2009, est chargée de proposer des mesures susceptibles d'améliorer l'environnement et le cadre juridique des affaires, d'en coordonner la mise en œuvre et d'en évaluer l'impact sur les secteurs concernés. Le climat des affaires reste un chantier transverse qui touche à plusieurs départements de l'Etat. Pour les deux prochaines années, l'accent est mis sur la modernisation de l'environnement juridique des affaires, l'amélioration de l'accès au foncier et la facilitation de l'accès au financement afin d'encourager l'entrepreneuriat. Par ailleurs, les ambitions du Maroc avec ses partenaires internationaux et le degré d'inter-connectivité de l'économie mondiale, que ce soit par le jeu des échanges commerciaux ou celui des mouvements de capitaux, nous imposent de faire du climat des affaires une priorité. Lorsque l'on parle de colocalisation avec nos partenaires étrangers ou de faire du Maroc un hub pour aller avec ces mêmes partenaires à la conquête de nouveaux marchés, on saisit là encore l'importance du chantier du climat des affaires. La régionalisation serait le grand chantier du royaume en 2013. Peut-on dire que la CGEM est fin prête pour accompagner ce chantier ? La CGEM est intimement convaincue de la valeur ajoutée économique du projet de régionalisation avancée. Elle a toujours affiché sa volonté d'engager une politique de développement régional, axée sur l'investissement productif et dans une optique d'évolution intégrée et pérenne. Lors de la création de la Commission consultative pour la régionalisation, la CGEM avait été fortement impliquée à travers ses membres et par le biais de recommandations de la Confédération, notamment pour repositionner la région au cœur du processus des infrastructures, d'adaptation des aspects juridiques et fiscaux au climat des affaires et de développement des ressources humaines et de la formation. Pour accompagner cette politique, la CGEM a mis en place une Commission dédiée à la dynamisation des régions, dont la mission entre autres, est d'orienter, suggérer et recommander en fonction des besoins spécifiques du développement économique de la région concernée. Ainsi, la Confédération compte 10 antennes régionales qui sont réparties de par le royaume, déclinant la politique nationale de la Confédération dans les régions. Par ailleurs, toutes les instances de gouvernance régionale ont été renouvelées. La réactivation de la CGEM Sud couvrant l'ensemble des régions du Sud est en cours de réalisation, ainsi que l'antenne couvrant la région Abda Doukkala. Quelle est finalement la touche de Miriem Bensalah à la tête du patronat ? Je crois que chaque président parmi ceux qui se sont succédé à la tête de la CGEM a apporté de son expérience, de son vécu, de son dynamisme et de sa personnalité à la Confédération. Elle est l'agrégat de tous ces apports successifs. Pour ma part, ce que je souhaiterai au cours de mon mandat, c'est que la CGEM se renforce en tant qu'institution porteuse de valeur ajoutée réelle au débat économique et entrepreneurial de notre pays et de valeurs authentiques de responsabilité sociale. Et puis 3 ans, c'est court et long à la fois. La tâche est sérieuse et pour avancer sereinement, j'applique donc la méthode qui dit qu'il faut «entendre et ne pas entendre, voir et ne pas voir». Qu'est-ce que le fait qu'une femme soit patronne des patrons a changé dans les relations de la CGEM avec ses partenaires ? Je vous invite à leur poser la question ! C'est peut être la force de caractère imprimée au débat qui crée cette perception. Croyez moi, on ne se refait pas ! Cela dit, je suis consciente que l'on attend plus de la CGEM aujourd'hui. Être une femme ou un homme importe peu pourvu que la CGEM soit une force de proposition à la fois utile au pays et à ses entreprises.