«Il faut lutter jusqu'à la fin contre l'accord d'association avec le Maroc», c'est le mot d'ordre lancé et suivi par les organisations agraires espagnoles. Les agriculteurs ibères s'affairent pour dénoncer la ratification de l'accord agricole entre le Maroc et l'Union européenne. Quatre régions autonomes ont adhéré à ce mouvement dont la mission principale est de jeter l'opprobre sur la mouture actuelle dudit document. À Almeria, la région considérée comme le chef de file de cette grogne, la COAG, une puissante confédération regroupant les agriculteurs et les éleveurs, est sur tous les fronts. Objectif : diaboliser le texte. Pour mettre toutes les chances de son côté, l'organisation a fait appel à ses partenaires des autres régions de l'Espagne. Les conférences de presse et les sorties médiatiques se multiplient : branches de tomates à la main, syndicalistes et producteurs se succèdent à la tribune, le verbe virulent. Du côté des institutionnels, les conseillers chargés de l'agriculture des régions de Murcie, d'Andalousie, des Iles Canaries et de la communauté valencienne se sont réunis récemment pour étudier les retombées de l'accord sur le secteur de la tomate et les éventuelles mesures à prendre. À l'issue de cette rencontre, ces partenaires ont diffusé un document où il est question de resserrer les rangs. Selon le texte, ils n'épargneront aucun effort pour protéger la tomate espagnole et défendre les intérêts des producteurs ibères. La déclaration a été élaborée et signée par les représentants des quatre régions dites affectées par cet accord. Les rédacteurs du document envisagent de le transmettre au gouvernement espagnol ainsi qu'aux instances de la Commission européenne. Quant au contenu, rien de nouveau, puisque le texte reprend, presque à la lettre, les doléances transmises en mars dernier au ministre de tutelle. En revanche, ces responsables régionaux se veulent de plus en plus virulents vis-à-vis du gouvernement central, accusé de n'avoir pas su saisir l'occasion de la présidence tournante de l'UE (durant le premier semestre de 2010) pour remodeler le texte, en faveur des Espagnols. Le gouvernement de Zapatero est même accusé de ne pas veiller sur les intérêts du secteur et de ne pas prendre en considération les emplois de quelques milliers d'agriculteurs. Danger surévalué La conseillère de Valence a même réclamé que la notion de la préférence communautaire soit imposée dans n'importe quel accord, surtout ceux liant l'UE au Maroc. «Autrement, cela serait une discrimination à l'égard des producteurs espagnols», se défend la responsable valencienne. Concrètement, les conseillers régionaux réclament d'une part une révision du prix d'entrée et d'autre part que le quota ne dépasse pas les 256.000 tonnes actuelles au lieu des 285.000 tonnes prévues en 2014. Mais pas seulement la tomate qui préoccupe les producteurs. Les légumes et fruits marocains donnent aussi des sueurs froides aux Espagnols. Ces derniers craignent que le marché européen ne soit inondé par des produits marocains à bas prix. Auprès des associations et organisations du secteur, chacune y va de ses estimations pour mettre en garde contre le prétendu danger venant du sud. À Valence par exemple, à en croire les statistiques avancées, l'accord met en péril plus de 1.100 emplois dans le secteur de la production de la tomate valencienne. À cela s'ajoute la production fruitière et maraîchère, laquelle serait gravement affectée une fois l'accord ratifié, selon Martina Hernandez, la conseillère de l'agriculture à Valence. Aux yeux des producteurs, «il est urgent de réformer le régime du prix d'entrée et améliorer sa gestion dans l'objectif d'assurer une bonne application de l'accord et éviter des distorsions du marché espagnol». Zapatero au banc des accusés Pour sa part, le collectif Asaja, une association agraire des jeunes agriculteurs, appelle à une forte implication du gouvernement et du ministère de l'Agriculture afin que la voix des producteurs se fasse entendre au sein de la Commission européenne et par conséquent arriver à freiner la ratification de l'accord dans sa version actuelle. Dans un communiqué, Asaja brosse un tableau apocalyptique en cas d'entrée en masse des produits provenant du Royaume. Pertes d'emplois en chaîne, secteur ruiné et familles abandonnées à un triste sort, les représentants du secteur surfent sur la vague sociale pour s'attirer la sympathie des élus européens. Les agriculteurs espagnols et leurs représentants recourent à tous les arguments, fondés ou non, pour dramatiser la situation et déprécier la tomate marocaine au sein du marché européen. C'est ce qui fait dire au haut responsable d'Asaja en Murcie qu'il est impossible de concurrencer un pays qui utilise des produits phytosanitaires interdits en Espagne, avec des coûts salariaux dix fois plus bas que ceux pratiqués en Espagne et, qui plus est, ne respecte pas la charte environnementale. «La seule voie qui nous reste est celle de freiner l'arrivée des produits marocains aux marchés européens à travers l'usage de contrôles garantissant l'égalité des conditions pour tous les produits commercialisés sur le marché européen», a déclaré lundi ce responsable syndical. Contactée par Les Echos quotidien, l'association n'a pas voulu nous donner le détail de ses actions prévues. Mais tout porte à croire, devant cette mobilisation bien concertée, qu'un scénario de blocage des marchandises marocaines pourrait bien se reproduire comme le laisse entendre cette source au sein d'Asaja. Du côté du Parlement européen cette mobilisation n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Le président du groupe socialiste espagnol a manifesté son accord pour l'élimination de tous les risques engendrés par l'accord d'association. D'autres réactions du genre ne sont pas à écarter.