Les agriculteurs espagnols jubilent. Leur mission «haro sur l'accord agricole Maroc-UE» commence à donner des résultats, au grand dam des intérêts économiques du Maroc. Mardi dernier, l'ensemble des sections d'ASAJA, l'association des jeunes agriculteurs espagnols qui s'active contre l'accord agricole, s'est félicitée, dans un communiqué, «de la bonne nouvelle pour tous les agriculteurs espagnols». La nouvelle en question consiste en la décision de mettre en suspens les démarches conduisant à l'adoption par le Parlement européen de l'accord agricole. Derrière ce rebondissement, le refus du Français José Bové (Verts), vice-président de la commission de l'agriculture et chargé de rédiger le rapport de la commission du commerce extérieur, sur la base duquel s'effectuera le vote du PE, de rédiger ledit texte. Son argument : la Commission européenne n'a pas apporté des éclaircissements sur certaines interrogations juridiques liées à ce traité. José Bové s'appuie sur les conclusions d'un document récemment diffusé par les services juridiques du Parlement européen où l'on exprime des doutes quant aux retombées de l'accord sur les populations des provinces du sud. Aussitôt propagée, la nouvelle a déclenché une cascade de réactions. José Bové est érigé en héros par les organisations agricoles espagnoles. Le secrétaire général de ASAJA Murcie s'est permis de pousser très loin son optimisme, en déclarant «qu'il existe toujours une possibilité de freiner l'accord et d'éviter un nouveau désastre pour le secteur agricole». Bové campe sur sa position Comme à l'accoutumée, quelques eurodéputés espagnols du PP ont saisi au vol cette aubaine pour redorer le blason du parti auprès de ses potentiels électeurs. Ses eurodéputés Gabriel Mato et Esther Herranz ont vite concocté un communiqué où ils applaudissent des deux mains la décision de la commission parlementaire. Si l'obstiné José Bové campe sur sa position, comme tout porte à le croire, l'adoption de l'accord accusera du retard. Les chances de voir l'accord adopté en juin diminuent au fil des jours. L'eurodéputé a fait de ce sujet une affaire personnelle : il ne cache pas son souhait de voir l'accord rejeté par les eurodéputés. Auprès du gouvernement espagnol, silence radio. Il est de plus en plus clair que Madrid cherche à rester en dehors de ce débat. Le PSOE évite que le PP ne casse du sucre sur son dos en l'accusant d'être l'instigateur du malheur des agriculteurs ibères. Et comme l'a montré l'exemple de l'accord de pêche où les Espagnols ont fait des mains et des pieds pour la prorogation de l'accord, le gouvernement espagnol, dans ce cas de figure, se montre désormais discret. Parallèlement à cela, les agriculteurs agitent une autre menace pour mettre toutes les chances de leur côté. Un rapport vient d'être diffusé par ASAJA Valence sur le degré de nocivité des produits en provenance du Maroc. Selon ce document, les alertes alimentaires dans les exportations maraîchères et fruitières marocaines sont six fois supérieures à leurs pairs espagnoles. Sur le site web de l'organisation où l'information est relayée, le texte est illustré par une photo d'une ménagère européenne faisant ses emplettes dans un supermarché. Une manière d'interpeller les associations de défense du consommateur et susciter l'intérêt pour le sujet. La corde sensible de la santé des consommateurs D'ailleurs, leur stratégie s'appuie sur l'implication des citoyens en prétendant que le non-respect par le Maroc des normes sanitaires affecte en premier lieu les consommateurs, «lesquels vont avoir des fruits et légumes plus incertains ». Il s'agit d'une tentative visant à jeter le discrédit sur les produits du terroir et plus précisément à semer le doute auprès du consommateur européen. Selon les dires du président de cette association, le Maroc a fait l'objet de deux alertes entre 2008 et 2010. La première a eu lieu à la frontière avec l'Espagne ; quant à la 2e, elle a eu lieu dans un supermarché suédois. Cette dernière concernait des tomates marocaines, traitées avec un pesticide banni au sein de l'UE, avance le rapport qui n'oublie pas de se jeter des fleurs, en encensant les produits espagnols, au détriment des produits provenant de pays non communautaires. Cette stratégie de communication des associations espagnoles peut s'avérer plus néfaste que celle engagée au niveau du Parlement européen. La santé du consommateur européen est un sujet avec lequel personne n'ose badiner au sein de la communauté européenne. Le dossier commence à prendre des tournures inquiétantes. Il est temps pour le Maroc de faire prévaloir la carte des «amis» au sein du PE. Les institutions marocaines en charge de l'export devraient, elles aussi, se pencher sur une contre-attaque pour venir à la rescousse des produits nationaux de cette campagne de diffamation afin de revaloriser le label marocain.