Les vieilles habitudes ont la peau dure. Les gouvernement et les ministres se succèdent mais la méthode reste la même quand il s'agit de Budget et d'hypothèses. Sans sourciller ou presque, Nizar Baraka a avancé, hier, ses hypothèses. Et le moins que l'on puisse en dire, c'est qu'elles sont loin de coller à la réalité. Pire, il en est une qui, d'emblée, se dresse en contradiction avec la réalité des marchés internationaux. En effet, le cours du baril de pétrole fluctue en ce moment autour des 125 dollars alors que le projet de loi de finances présenté hier devant le Parlement, table sur une moyenne de 100 dollars. Est-ce dire que le gouvernement pronostique une chute des cours mondiaux du brut ? Pas si sûr, car si l'on peut concevoir que les prix du pétrole pourraient baisser légèrement d'ici la fin de l'année dans le sillage de la baisse de la croissance mondiale, les tensions sur le détroit d'Ormuz plaident au contraire, selon les experts internationaux, pour un maintien des tensions sur les prix du brut. En clair, si ces tensions se maintiennent, les prix pourraient même croître encore. Conclusion : en tablant sur un baril à 100 dollars, Baraka se voile la face et court un grand risque. Il ne sera ni le premier ni le dernier ministre de l'Economie et des finances à le faire. Son prédécesseurs, Salaheddine Mezouar avait aussi tablé sur un baril à 75 dollars, quand tout laissait présager une flambée imminente des prix du pétrole, qui se révéla effective quelques mois plus tard, et qui est encore vivace à ce jour. Toutefois, l'ancien ministre des Finances avait à sa décharge un élément de poids. Son projet de loi de finances, Mezouar l'élaborait en septembre de l'année précédant la date d'échéance de l'hypothèse, ce qui réduisait de manière significative la visibilité qu'il pouvait avoir sur l'évolution des indicateurs économiques. Une meilleure visibilité La loi de finances 2012 ne suit pas la même logique puisqu'elle est présentée en cours d'exercice. Logiquement, donc, le gouvernement a eu le temps de s'enquérir de ces évolutions au moins pour une partie du premier trimestre. Il jouit, de facto, d'une meilleure visibilité. D'ailleurs, l'Exécutif avait expliqué une partie du retard de l'adoption du projet de loi de finances, par la volonté de mettre à jour les données à la lumière des indicateurs publiés en début d'année. Il est donc encore plus difficile de comprendre l'écart entre les hypothèses du projet de loi de finances de cette année et la réalité. Or, cet écart ne se limite pas au prix du baril de pétrole. Il concerne aussi l'hypothèse de la croissance du PIB que le projet de loi de finances 2012 fixe à 4,2%. Un pronostic présomptueux au regard des dernières publications statistiques nationales et internationales, surtout au regard de la saison agricole difficile qui s'annonce et de la conjoncture internationale qui s'enlise de plus en plus dans la morosité. Sur ce dernier point, il convient de souligner que la présentation du projet de loi de finances n'a fait qu'effleurer le sujet sans en déflorer les impacts éventuels. Rectifiera, rectifiera pas ? «Le présent projet de loi de finances s'inscrit, par ailleurs, dans un environnement international caractérisé par la persistance d'incertitudes sur la croissance mondiale, du fait essentiellement des tensions inflationnistes liées aux cours mondiaux élevés du pétrole et des matières premières, de l'aggravation des déséquilibres budgétaires dans la zone euro et aux Etats-Unis et des tensions socio-politiques dans la région MENA», se contente de relever la note de présentation de la loi de finances sans vraiment évoquer ce que cela induit sur les agrégats macroéconomiques, déjà fragilisés du Royaume. Autre hypothèse avancée, un taux d'inflation à 2,5%. Là au moins, on reprend fidèlement les chiffres de Bank Al-Maghrib dont le wali lui-même avait évoqué la possibilité de révision, dans le sillage d'une évolution plus marquée de la conjoncture internationale et nationale. In fine, ce ne sont là que des hypothèses de travail, mais elles risquent d'inscrire l'exécution de cette loi de finances dans une schizophrénie latente. Un certain temps, la possibilité que le gouvernement sortant fasse passer sa loi de finances en laissant à son successeur le loisir de réajuster le tir, via une loi de finances rectificative, a été évoquée. Cette idée avait été vite abandonnée sous prétexte de laisser au prochain gouvernement la latence de la conduite de sa politique. Quelques mois plus tard, on se rend compte que ce n'était pas une si mauvaise idée, au vu du retard enregistré dans l'élaboration de la loi de finances 2012 et surtout des hypothèses avancées au titre de celle-ci.