La Charte sociale vient de franchir une étape décisive. À l'issue des différentes rencontres avec les partenaires sociaux et droits de l'hommiste pour couvrir tous les aspects devant constituer les ingrédients de base de cette Charte, le Conseil économique et social (CES) devait faire le point et partager les grandes lignes de ces échanges. Hier à Casablanca, Chakib Benmoussa, président du CES, a annoncé la fin de l'étape de concertation. Ce sont ainsi près de 70 organismes et associations représentant le public, le privé et la société civile qui ont apporté leurs avis sur le projet de Charte leur ayant été soumis par le CES. Le document se veut avant tout un appel au respect de la dignité des citoyens marocains, cette fois non pas sur le volet des libertés politiques, mais sur celui de la l'accès aux droits économiques élémentaires. Les recommandations des ONG se croisent avec les priorités établies par le Conseil sur le volet de l'accès aux services de base. «La Charte sociale est basée sur des contrats fondamentaux, qui vont être élaborés selon une feuille de route, avec des objectifs périodiques bien définis et prenant en considération les impératifs à court terme», explique Zahra Zaoui, présidente de la commission des affaires sociales au sein du CES. Une Charte, et après ? C'est donc un nouveau contrat social qui sera passé prenant en compte, dans la foulée, l'avis des syndicats et des associations professionnelles sur bon nombre de questions. Par ailleurs, il est intéressant de relever que les recommandations recueillies, lors de deux séries d'auditions, comportent divers points de convergence. Au-delà des questions relatives à la valorisation des conditions du travail au sein des entreprises du secteur privé, la nouvelle Charte doit offrir des garanties aux partenaires sociaux de faire prévaloir leurs droits dans les moments de crise. Plusieurs modèles adoptés par des pays qui ont une législation sociale similaire à celle du Maroc ont été passés en revue pour mieux identifier l'objet de chaque contrat et son champ d'application. Pour leur part, les exigences du Code du travail ont fini par l'emporter dans le plus gros des demandes des divers organismes mis à contribution. Les questions relatives aux conventions collectives, à l'intervention de la justice pour l'organisation du droit de grève dans le privé et le rôle de l'Etat en matière de contrôle sont les principales questions auquelles la Charte tentera de répondre. Même si aucune demande de constitutionnaliser la future Charte sociale n'a été formulée ni par les syndicats ni par le patronat, la question de la valeur de la Charte et de son efficacité reste posée, même en filigrane. Les craintes de voir la future Charte se transformer en une déclaration d'intention sans effets tangibles sur la réalité de l'application scrupuleuse du Code du travail sont pourtant estompées par les dispositions de la Constitution, qui a exigé la mise en place d'un nouveau statut pour le CES. Le Conseil devrait, par ailleurs, également prendre en charge les orientations de la politique environnementale. Le prochain round du dialogue social pèsera par conséquent de tout son poids sur le climat des échanges durant les prochaines sessions du Conseil, dont la commission chargée de l'analyse de la conjoncture économique et sociale tient une réunion aujourd'hui, pour livrer ses principales conclusions pour ce début de l'année. Droit de regard Sous un autre angle, cette Charte aura une dimension encore plus large du fait que le CES aura un droit de regard très large sur toutes les nouvelles législations qui seront déposés au Secrétariat général du gouvernement. Une mission dans le cadre de laquelle les textes de loi à caractère social - à l'image notamment du projet de loi organique de la grève ou encore de celui sur la création du service social du travail au sein des entreprises, celui relatif à l'allocation pour perte d'emploi ou la loi organisant les syndicats. Les nouveaux dispositifs coïncident avec les préparatifs déjà avancés du patronat, pour mettre en place un nouveau système de responsabilité sociale du tissu productif. Accès aux services essentiels et au bien-être social Promouvoir les droits fondamentaux pour garantir une vie digne et permettre l'amélioration continue du bien-être individuel et collectif. C'est en substance ce que le premier axe de la Charte sociale tend à concrétiser. Le premier de ces droits porte sur le respect du droit à la vie, dans le cadre des objectifs précis de politique publique, il implique également la prohibition des traitements mettant en péril la vie ou la dignité humaine. Le référentiel du CES recommande aussi de travailler à la réduction du nombre d'homicides, de suicides et d'accidents mortels. Dans ce sens, il énumère les droits et les objectifs nécessaires à l'accès de tous aux services essentiels et au bien-être social. Il en appelle par là à la garantie du droit à la santé, du droit au travail dans des conditions justes et favorables, du droit d'entreprendre, à la sécurité alimentaire, à l'accès à des conditions sanitaires favorables. Cela sans oublier le droit à l'éducation de base, l'accès au logement, à la mobilité et aux transports. Dans la lignée du programme gouvernemental, le CES défend également le droit à la protection juridique et à la justice, le droit à la protection sociale et enfin le droit à l'information. Savoirs, formation et développement culturel La formation, très sujette à débat actuellement, est également couverte par les recommandations du CES. De fait, il place dans ses axes de recommandations prioritaires l'accès aux savoirs, à la formation et au développement culturel. Ce référentiel pose la généralisation d'un enseignement de qualité comme élément essentiel tout en recommandant un suivi d'indicateurs relatifs à l'accès à cet enseignement par zones et par catégories. Le Conseil recommande également un contrôle étroit de la qualité de l'enseignement dispensé à tous les niveaux d'études. Dans une mesure complémentaire, le droit à la culture fait également partie des propositions du Conseil qui défend sa diffusion et son accessibilité. Le référentiel identifie la protection du droit de propriété intellectuelle ainsi que la protection des intérêts matériels et moraux des créateurs, largement liés à l'économie de la contrefaçon. Aussi, un indicateur sur le nombre de brevets marocains déposés annuellement au niveau national et au niveau international est également recommandé. Le progrès dans la recherche scientifique et l'innovation s'inscrit également dans ce cadre de réflexions puisque les membres du CES en proposent le bénéfice pour tous. Inclusion et solidarités Protéger les personnes et groupes vulnérables. C'est sur ce point que s'articule le troisième axe de la Charte. Pour ce faire, le Conseil préconise la nécessité de leur assurer l'accès aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi qu'aux libertés civiles et politiques, sans aucune discrimination. Dans cette optique, il propose un travail préalable qui consiste en l'identification et la réduction des causes d'exclusions qu'ils subissent ou qu'ils peuvent subir. Ce point semble également être directement assuré par la nouvelle Constitution et les conventions internationales qui engagent le pays. Aussi, l'inclusion des personnes et des groupes vulnérables doit, selon le CES, s'appuyer sur des politiques actives de solidarité qui garantissent le droit à l'égalité. Afin de garantir l'exécution effective de ce droit, la charte recommande de renforcer le cadre légal de prévention et les sanctions contre les discriminations, notamment afférantes au non respect de la parité hommes/femmes. L'enfant n'est pas non plus en reste, puisque dans cette thématique, ses droits mondialement reconnus sont consacrés dans l'optique de promouvoir son épanouissement dans la société. Dialogue social, dialogue civil et partenariats innovants Si le dialogue social semble être la clé de voute du programme gouvernemental, la Charte sociale proposée par le CES ne s'en éloigne pas moins. Le quatrième axe de cette Charte hisse le dialogue social en priorité indispensable à l'élaboration, au déploiement et au développement des accords collectifs qui pourraient, in fine, structurer le pacte de cohésion sociale. Ainsi, le CES recommande que celui-ci puisse s'exercer à tous les niveaux. En d'autres termes, dans les entreprises, dans les régions et enfin sur l'ensemble du territoire. Dans la forme, ce dialogue social peut, selon les dispositions de la charte, être paritaire entre les organisations d'employeurs et de travailleurs, ou tripartite entre ces organisations et les pouvoirs publics. Ce dernier dans ces deux formes aurait pour objet de garantir de bonnes conditions d'emploi, de travail ainsi que de régir les relations professionnelles, les revenus et la protection sociale et, au sens large, l'ensemble des décisions et des politiques sociales qui affectent les intérêts du monde du travail. Ce référenciel réaffirme par là le caractère fondamental de la liberté syndicale en tant que droit, pour les travailleurs et les employeurs. Dans ce sens, la Charte sociale vise en définitive à améliorer la compréhension des fondements et des implications du droit de grève. Gouvernance, développement économique et démocratie sociale Pour assurer la pertinence des politiques publiques au sens large, le Conseil économique et social pose un préalable. Leur pertinence reste selon les termes du rapport sur la Charte sociale, directement subordonnée à l'effectivité du cadre législatif et réglementaire dans lequel se déploient les objectifs et les politiques en question. Dans cet esprit, le CES affirme comme objectif primordial de toute gouvernance responsable le renforcement du respect de la légalité. Ce principe pourrait être garanti par le renforcement des sanctions visant les infractions relatives aux conflits d'intérêts, les délits d'initiés et toutes les infractions d'ordre financier. Dans le fonctionnement des services publics, ces sanctions pourraient également concerner toutes les formes de délinquance liées à l'activité des administrations et des organismes, à l'usage des fonds publics, à la passation et à la gestion des marchés publics. En outre, le CES propose des indicateurs spécifiques de mesure de la confiance et de la satisfaction en matière d'application des lois, de fiabilité et de transparence de l'administration. La Charte réaffirme aussi l'objectif d'intérêt général et la mise en place de règles opérationnelles dédiées à la déclaration, la prévention des conflits d'intérêts et à la garantie du respect des règles de la saine concurrence. Cet objectif pourrait être contrôlé au moyen d'indicateurs relatifs à l'existence des lois et règlements visant la prévention et la répression des trafics d'influence, des abus de position dominante et de monopole, des atteintes aux règles de la concurrence libre et loyale dans les relations économiques. Enfin dans cette lignée, les propositions du CES rappellent l'urgence de la lutte contre la corruption et la prohibition des abus de pouvoir. Protection de l'environnement Le CES semble vouloir mettre à niveau la question de l'environnement au Maroc avec les exigences internationales. Dans ce sens, la Charte sociale souligne la nécessité de se conformer aux objectifs universels de protection de la nature, en tenant dûment compte à la fois des engagements internationaux du royaume et de ses besoins spécifiques dans la protection de son patrimoine écologique. Aussi, le CES préconise la définition et le respect d'un cadre législatif et réglementaire clair et intégré. Ce dernier s'inscrirait dans le principe de responsabilité et de respect du principe « pollueur-payeur». Pour le suivi de ces directives, le Conseil propose l'établissement d'indicateurs portant sur l'existence et le respect de la législation relative à la protection de l'environnement, sur la volumétrie et la nature des rejets industriels ainsi que sur la sensibilisation de tous les acteurs de la société. Mais la Charte va au-delà de cet aspect, préconisant même le développement de programmes d'actions visant la maîtrise rationnelle et la réduction des émissions atmosphériques polluantes, la mise en place d'une nomenclature nationale de définition et de suivi des indicateurs relatifs aux émissions atmosphériques. Territorialiser l'emploi Tout en reconnaissant que la question de l'emploi des jeunes est «complexe et nécessite des réformes structurelles sur le long terme, en relation avec la dynamique du secteur privé et le modèle de croissance économique, l'adéquation du système d'enseignement et de formation avec le monde du travail, ainsi que la régionalisation des politiques de l'emploi», le CES recommande le lancement d'un programme volontariste de «grande ampleur de promotion de l'emploi». Dix mesures sont proposées pour apporter des réponses qui «même si elles sont partielles, peuvent aider à redonner confiance à de nombreux jeunes», admet le document final remis aux représentants des ONG. Elles concernent d'abord la régulation du marché du travail, l'action sur l'offre et la demande d'emploi et l'ajustement de la réglementation. Le Conseil recommande surtout la révision de la gouvernance du dispositif de promotion de l'emploi, avec une «territorialisation des politiques, l'implication des acteurs et de la responsabilisation des structures d'exécution», souligne le rapport sur la Charte sociale.