À Rabat ou à Casablanca, au niveau des intersections des grandes avenues, de jeunes hommes et femmes (souvent bébés dans les bras), profitent de l'heure de pointe pour quémander un sou aux automobilistes. Les généreux leur donnent une pièce, tandis que les autres restent cloués à leur volant, ne sachant que faire face à ces nouveau-venus dans l'espace urbain marocain. Ces jeunes «mendiants» auraient pu se trouver sur les côtes libyennes à bord de pateras qui les acheminent vers l'île de Lampedusa au sud de l'Italie ou vers une mort certaine, noyés au large de la Méditerranée. Heureusement pour les uns, malheureusement pour les autres, ils se sont retrouvés au Maroc, mendiant dans les villes ou vivant cachés dans les forêts du Rif, rêvant de traversée vers l'Europe. La ruée vers l'Eldorado européen est devenu le seul recours de ces jeunes venant d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale. Leurs familles auraient vendu leurs terres, leur bétail et ce qu'ils possédaient pour financer le voyage coûteux vers l'Europe. Bravant forêts tropicales, savanes, désert saharien et voyageant dans des conditions affreuses sans nourriture ni médicament, affrontant les risques de viol, de violence et de racisme dans les pays de transit, ces jeunes constituent des proies faciles pour les mafias de la drogue ou des groupes terroristes agissant au Golfe de Guinée et au Sahel. Le mirage européen est le rêve de toute une jeunesse désenchantée face à l'échec du système scolaire, à l'absence d'opportunités de travail stable, au déracinement, au manque de moyens de subsistance dû à la sécheresse, aux inondations et à la désertification (les changements climatiques étant une réalité dure et amère en Afrique), et bien sûr aux guerres civiles et à l'instabilité politique. Certes, il y a des pays africains qui investissent dans les secteur des services, des TIC et du tourisme, ainsi que dans d'autres domaines créateurs d'emplois. Des pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, la Zambie, le Kenya et le Nigeria sont en train de réussir la transition vers une économie à plus haute valeur ajoutée, dépendant moins de l'export des matières premières et créatrice d'emplois. Par ailleurs, des pays pourvoyeurs de fonds comme le Maroc, l'Afrique du Sud, la France et la Chine financent des projets d'investissement dans les domaines de l'eau, de l'énergie, des transports et des BTP susceptibles de créer de la valeur et de l'emploi. Mais l'Afrique a besoin de plus d'engagement réel de la part des grands comme les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, les pays scandinaves, la Russie et les pays du Golfe. Sans l'implication forte des pays riches et développés, les efforts louables des autres pays déjà sur le terrain comme le Maroc, la Chine et la France ne seront pas suffisants pour venir à bout des problèmes de chômage, de pauvreté, de désenchantement de la jeunesse et de désillusion des populations. L'approche du roi du Maroc, Mohammed VI, est un exemple à suivre. Depuis quelques années, il a pris le lead dans la mise en place de quelque 200 projets de développement en Afrique, dont la valeur avoisine les 10 milliards de dollars. Les entreprises publiques et le secteur privé travaillent main dans la main pour faire aboutir ces projets et contribuer au développement de l'Afrique. Le président américain élu, Donald Trump, doit comprendre que la meilleure façon de combattre l'immigration illégale est d'investir dans l'amélioration des moyens de subsistance, la capacitation de la toute petite et moyenne entreprise, l'emploi et l'employabilité des jeunes dans les pays pourvoyeurs d'immigration. Les murs, les barbelés, les états forteresses, le durcissement des mesures d'octrois de visas créent un sentiment de sécurité dans les pays d'accueil mais ne résolvent pas le problème. L'Europe est passée par là, mais sans grand succès. La notion d'«Europe forteresse» n'a pas empêché les jeunes Africains de risquer leur vie en Méditerranée ou de mener une vie de clandestinité dans la villes marocaines, algériennes ou tunisiennes. L'Afrique ne peut décoller et profiter de son grand potentiel qu'en s'appuyant sur sa jeunesse. En investissant dans l'emploi et l'employabilité des jeunes, en améliorant le système de gouvernance, en stabilisant la situation politique et sociale, en atténuant l'impact des changements climatiques, l'Afrique, avec l'aide de leaders africains comme le Maroc et l'Afrique du Sud, mais aussi d'acteurs mondiaux comme les Etats-Unis, l'Union européenne, le Japon ou encore la Chine, peut réaliser son rêve, le rêve d'une Afrique libre, forte, prospère et juste, une Afrique pour tous : jeunes et moins jeunes. Lahcen Haddad Ex-ministre