Le constat est sans appel et l'année 2011, à ce titre, constitue un tournant historique dans l'ordre économique et social mondial. On dirait que le rêve de Jacques Attali est en train de se réaliser. Les détails ne correspondent pas totalement, mais le scénario est pratiquement le même. Dans son livre «Une brève histoire de l'avenir», l'économiste avait proposé un voyage dans le temps sur la base d'un ensemble de phénomènes économiques cycliques qui lui permettaient de se projeter plusieurs décennies en avant et prédire carrément le déplacement de ce qu'il appelle «le cœur de l'ordre marchand». Cette théorie se confirme aujourd'hui avec ce que l'OCDE, dans son dernier rapport explique comme un «basculement des richesses», désignant un phénomène par lequel le centre de gravité de l'économie mondiale se déplace progressivement d'ouest en Est et du Nord vers le Sud. Pour le moment, transition oblige, ce déplacement des richesses n'est pas forcément accompagné d'un relèvement des niveaux de vie au niveau des populations concernées. C'est d'ailleurs ce même phénomène qui a été à l'origine des soulèvements des peuples du Sud de la Méditerranée et qui a provoqué les orages qui ont alimenté le printemps arabe. Comment en est-on arrivé là et quels ont été les accélérateurs des mutations que plusieurs pays du Sud, dont le Maroc, sont en train de vivre actuellement et qui vont redessiner la carte des flux économiques et sociaux de la planète à partir de 2012 ? Pour le comprendre, il faudrait s'arrêter sur les «exigences» exprimées par ces peuples et qui tournent autour des inégalités sociales, des mutations structurelles, de l'amélioration du niveau de vie, de la santé, de l'éducation, de l'emploi, de la liberté, de la communication... Il y a bien sûr eu la crise économique mondiale, qui a appauvri les pays les plus riches et a fragilisé ceux qui avaient basé leur système financier sur la spéculation. Qui aurait pensé que les Etats-Unis pouvaient un jour perdre leur triple A ou que la Grèce, l'Italie ou encore l'Espagne allaient être au bord de la faillite? Le redressement de la barre ne se fera pas sans casse et pour mettre du carburant dans les réservoirs, ce sont les pays émergents qui doivent monter à la charge avec leur argent (Chine, Japon, Turquie...) ou avec leurs points de croissance économique (Afrique). Quand on sait que pratiquement la moitié des classes moyennes du monde, soit l'équivalent d'un milliard d'individus, appartiennent à des économies de marché émergentes en pleine croissance, la pression sociale prend tout son sens et les gouvernements en place se doivent d'intégrer cette nouvelle donne dans leurs programmes politiques et leurs visions stratégiques. Ajoutez à cela la baisse du taux des naissances et l'allongement de la vie, qui implique un vieillissement de la population mondiale et donc des besoins en soins médicaux, en retraite, en «bien-être» social, qui risquent de prendre de court -et c'est déjà le cas- la trésorerie des Etats. Les flux d'immigration sont également en train de changer d'axe, sous la pression de la crise économique et de l'évolution du taux de chômage dans les pays émetteurs et les pays récepteurs. On verra ainsi plus d'Européens venir chercher de l'emploi dans le Sud que d'Africains en Europe. Mais est-ce que tout cela veut dire que les pays dits du Sud vont prendre la main dans la prochaine décennie ? Ce serait compter sans la détermination des «grands», qui ne se laisseront certainement pas faire. Le sujet a d'ailleurs animé les débats lors des Meday's et les participants en sont arrivés à la conclusion que sans une représentativité dans des groupements aussi influents que le G20 par exemple, les pays du Sud n'ont aucune chance de voir leur rêve de devenir le centre de monde se concrétiser. Ils continueront à être considérés comme le grenier, le souffre-douleur ou encore le pot d'échappement de ceux qui font et défont le monde. Pour prendre réellement la main, il faudra un peu plus que des vœux pieux et des débats. Il faudra activer les réseaux, mobiliser les diplomates et surtout développer un leadership régional reconnu. Pour cela, il y a la voie des alliances stratégiques et des partenariats économiques, qui constituent les vases communicants avec les voies politiques classiques. À ce titre, des duos comme Maroc-Turquie, Maroc-UE ou encore Maroc-USA permettront à notre pays, une fois sa mue réussie, de se transformer en plaque tournante ou encore en pivot du nouvel ordre économique mondial. Les atouts géographiques et le potentiel économique y sont déjà. Il reste à relever le défi de la cohésion sociale, pour que la machine atteigne enfin sa vitesse de croisière. Un premier pas sera franchi ce vendredi 25 novembre, mais ce n'est que le premier, le chemin à parcourir reste encore très long.