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«Je titille les consciences»
Publié dans Les ECO le 23 - 01 - 2013


Saïd Naciri : Comédien et humoriste
Rencontré à Assa , dans la région de Guelmim, en pleines festivités culturelles, le comique et comédien Said Naciri apporte bonne humeur à l'évènement. En tournée pour son spectacle qui fait du bruit «Gouvernement Show», le comédien n'en a pas fini de surprendre, puisqu'il tourne à Agadir à la fin du mois, un film inspiré des séries turques. Entre deux festivités et trois repérages, il tient à s'exprimer sur son spectacle, fruit d'un mécontentement par rapport au nouveau gouvernement prêcheur de belles promesses. Preuve en interview...
Les ECO : Dans votre nouveau show, vous vous attaquez au gouvernement de la manière que vous maîtrisez le plus : la comédie. Que reprochez-vous au nouveau gouvernement ?
Saïd Naciri : Deux raisons majeures m'ont poussé à écrire ce spectacle. Je ne me considère même pas comme celui qui l'a écrit, puisque le spectacle est la voix du peuple. Il a été écrit par lui, en vérité. Je n'ai fait que le structurer. Je suis parti du constat que nous avons un gouvernement très spécial, qui nous a nourri de promesses au départ et qui est arrivé à un moment où le Maroc avait besoin d'un nouveau souffle sur le plan économique, social et politique. Ces gens-là sont arrivés avec de belles promesses, un programme, des idées et une proximité avec le peuple. Moi qui n'avais jamais voté auparavant, j'ai voté PJD, tellement j'ai été convaincu. Un an plus tard, nous sommes confrontés à des augmentations, des discours contradictoires, des décisions qui changent du jour au lendemain, allant même jusqu'à perturber les étudiants des écoles privées lorsqu'ils ont menacé un temps de les fermer. Ils ont également parlé des agréments et de trouver une justice à tous ces gens qui s'enrichissaient mais il n'en est rien. La santé, l'éducation, la culture, tout va mal dans ce pays. Pourquoi ce gouvernement prend-il une décision aujourd'hui et se met à réfléchir le lendemain ? Figurez-vous que nous, les artistes, nous n'avons pas travaillé depuis plus d'un an. Avec tout ce qui se passe dans les médias et les changements de cahiers de charges, il nous est difficile d'avoir des contrats parce que personne ne sait sur quel pied danser.
Comment avez-vous eut l'idée d'écrire le spectacle ?
En partant du constat justement que tout va mal et que je me suis fait avoir. C'est un sentiment que les Marocains ont aussi. Cela a commencé à cogiter dans ma tête quand, pendant un an, la télévision était inondée de passages du gouvernement. Les séances parlementaires font un taux d'audience remarquable et j'ai senti que quelque part, ce gouvernement avait pris notre place, à nous les artistes, à la télévision. 25 agences de production ont fermé depuis le nouveau gouvernement, parce que les artistes ne travaillent plus. J'ai donc décidé de faire un spectacle à leur manière et un show comme ils le font si bien. Je ne fais que dire tout haut ce que les gens pensent tout bas.
Est-ce qu'il y a eu réactions du gouvernement ?
Il y a eu une réaction très forte de la part d'un parlementaire qui a écrit un article paru sur les réseaux sociaux où il m'insultait et m'injuriait. Les journalistes ont très fortement réagi d'ailleurs et m'ont soutenu. Je n'ai pas attaqué le PJD spécialement avec mon spectacle. Je demande à ce que le gouvernement en général rende des comptes, cela n'a rien à voir avec un parti, mais tous sont concernés. Benkirane aurait fait une déclaration en pleine réunion en disant : « Si Said dit cela de lui-même, je n'ai rien à redire, mais s'il y a quelqu'un derrière tout cela, alors je ne suis pas d'accord». Il aurait également dit à des actrices consœurs qu'il fallait que je fasse attention à ce que je disais parce que ce que je faisais n'étais pas innocent. D'ailleurs dans mon spectacle, je rajoute une voix off qui fait allusion à cela, la voix off me demande l'autorisation de parler de ceci ou de cela. Je m'amuse à actualiser mon spectacle, il n'est jamais le même puisque je suis les actualités politiques.
La provocation est votre arme, vous n'hésitez pas à aller loin et puisez dans les sujets sensibles et qui fâchent. N'avez-vous pas peur des répercussions ?
Je réponds avec mon art et peu importe la réaction, à partir du moment où ce que je dis est vérifié, a été dit et les preuves sont là et surtout j'assume tout cela. S'ils réagissent autant c'est que quelque part, la vérité a blessé et la liberté d'expression est mon arme. Si c'est un gouvernement qui veut réellement avancer comme il l'a prétendu, il ne doit pas avoir peur de la parole du peuple. Parallèlement à cela, il y a beaucoup de personnes qui font plein de choses pour ce pays et qui le défendent, comparé à ce que je fais, ce n'est rien. Je titille les consciences, je tourne en auto-dérision les sujets qui fâchent justement. Je n'ai rien contre Benkirane, bien au contraire, je l'aime et le respecte beaucoup, mais je lui rappelle les fractures sociales de son pays et mon malaise à moi tout d'abord, en tant qu'artiste. Cela fait un an que je n'ai pas touché un micro, j'ai du mal avec la publicité de mon spectacle, les chaînes de télévision ne sachant pas quoi faire. Dans ce spectacle, je ne fais que reprendre les paroles qui ont été prononcées, quand Madame la ministre reproche à un citoyen de ne pas être assez religieux. Qui est-elle pour juger? Est-ce le fait de porter le voile qui lui permet d'avoir un avis sur qui est religieux ou pas ? Le chef de gouvernement parle de démons et de choses qui, pour beaucoup, n'existent pas. Ce sont là des choses qu'ils ont dites et qui sont drôles. Pourquoi aurai-je peur puisque cela a été dit ? Je tourne en dérision des choses qui font tout sauf rire, comme quand j'étais jeune et pauvre (rires).
Vous êtes un peu le précurseur du one man show au Maroc. Comment vous est venue l'envie de faire ce métier ?
Je ne sais pas ! Depuis ma plus tendre enfance, je fais le pitre, je fais rire, j'imite. Je ne sais pas d'où c'est venu, je sais juste que pour oublier la misère dans laquelle on vivait, je tournais tout à la dérision. Quand je rentrais et que je ne trouvais rien à manger, je faisais une blague pour détendre l'atmosphère, quand mes vêtements étaient déchirés, j'en rigolais pour faire passer la pilule, quand les gamins de l'école me frappaient, je m'amusais avec cela et je les faisais rire. À un moment, je me suis retrouvé à faire des sketchs et monter des petits spectacles par moi-même, avec moi-même. À l'âge de 9 ans, mon professeur m'a proposé un rôle dramatique que j'ai tourné en comédie et cela a été le fou rire général. C'est à ce moment-là que le directeur de l'école m'a donné un conseil : continuer dans ce métier, faire une formation d'acteur. Toutefois, j'ai toujours fait primer mes études et quand j'ai réussi à continuer mes cours de business administration aux Etats-Unis, les professeurs et mon entourage m'ont poussé à faire une formation d'acteur et d'humoriste, ce que j'ai fait. J'ai découvert le one man show et j'en suis tombé amoureux. En 1989, j'ai joué au théâtre du Maârif, le stand up n'existait pas au Maroc, il y avait 50 personnes, 25 que j'avais invités et 25 qui sont entrés sans payer (rires). J'ai donc décidé de continuer à travailler à la banque jusqu'au jour où le directeur de 2M m'a contacté pour me voir. Il avait vu une vidéo de ce fameux spectacle. Je suis resté 1h30 dans son bureau alors que je n'avais que 5 minutes pour le convaincre. C'est comme cela que tout a commencé, à 2M et ensuite les tournées, etc...
Vous avez eu la chance de vous faire remarquer, mais qu'en est-il de la nouvelle scène marocaine et des émissions comme Comédia qui dénichent les talents. Est-ce suffisant à votre avis pour créer des carrières ?
Non, ce n'est pas suffisant, c'est loin d'être suffisant. Ce sont des émissions capitalistes, dans le but de gagner de l'argent. On ne forme pas ces jeunes, on ne les encadre pas, on leur donne des thèmes et ils se débrouillent. On ne leur apprend rien et le jury n'est pas formé pour cela. L'idéal serait de créer une académie où ces jeunes seraient accompagnés, formés et guidés vers ce qu'ils maîtrisent le mieux. Le talent est là. Il faut le trouver et pour cela, on a besoin d'une structure. J'ai eu la chance de faire des études, j'ai côtoyé des comédiens qui m'ont conseillé. Ces émissions ne donnent pas l'occasion d'apprendre. Les jeunes artistes doivent compter sur eux-mêmes et sur leurs propres ressources. L'émission de Ruquier est un bon exemple, avec une vraie commission, un vrai jury de stars et de gens du métier, des candidats orientés, accompagnés. Ça, c'est une émission! Comédia existe depuis combien d'années déjà ? Où sont ces jeunes talents ? Que font-ils ?
Vous tournez avec votre nouveau spectacle au Maroc et bientôt au palais des congrès à Paris. Vous faites toujours les choses en grand ?
Oui, j'adore me donner les moyens de satisfaire mon public. Il y a une grande demande à Paris, de la communauté marocaine en Europe en général, mais le Palais des Congrès est en négociation, il faut 75.000 euros pour la location de la salle et il me faut des sponsors. Vous savez, au Maroc, on a un gros souci de salle. J'ai joué à Marrakech les 17 et 18 janvier dernier, je joue au Mégarama le 25 et à Agadir vers la mi-février. Mais les salles coûtent cher et cela m'oblige à demander un prix de ticket élevé à l'entrée. Cela me tue ! Je ne suis pas Gad El Maleh qui parle de téléphones et a un public qui peut se le permettre, je ne suis pas Jamel qui parle de banlieue, je parle des maux du peuple et j'ai besoin que le peuple vienne m'écouter. L'idéal pour moi est de faire des entrées à 50 DH, même moins. D'ailleurs, je travaille sur le projet de monter le spectacle au niveau du stade où les entrées seraient à 20 DH. Ce serait fabuleux.
Et vos projets pour 2013 ?
La tournée bien sûr et un film que je commence à tourner à la fin du mois et qui s'intitule «Sarah». Il sera tourné à Agadir, avec mes propres moyens, donc les moyens du bord, comme on dit ! (rires). Ce sera 20 jours de tournage et c'est un film qui m'a été inspiré par l'engouement des films et séries turques au Maroc. Le Marocain en a marre de la misère et de la dure réalité des films marocains en général. Il aime le rêve, le beau, les belles histoires, les beaux visages et les images travaillées. Il s'agit d'une histoire américaine, qui m'a touché et que j'adapte. Une histoire très spéciale. Sinon, j'organise une soirée caritative le 20 mars prochain pour le centre de dialyse de Guelmim, car il y a un réel manque. Je demande d'ailleurs la mobilisation de tous les artistes pour faire de cette soirée une réussite et permettre d'acheter le plus possible de machines.


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