L'Amérique a trop de dettes et méritait pour cette négligence d'être sanctionnée comme tout mauvais élève, par une dégradation humiliante de sa note. Et comme pour enfoncer un peu plus le clou, voilà que la Chine, le nouveau trublion de l'économie mondiale, sermonne l'Oncle Sam d'une manière peu courtoise. Le gouvernement chinois s'est saisi de l'occasion pour donner aux Américains une leçon sur la bonne gestion et déplorer les risques que font courir ces Américains à l'économie mondiale. Cette situation embarrasse autant Obama que les autres grands de ce monde, qui ont tous désormais les yeux rivés sur le stylo rouge des trois agences de notation qui comptent. Ils s'appellent au téléphone, font des déclarations de bonnes intentions, affirment que la sortie de crise est pour bientôt. Il faut bien rassurer les marchés et calmer la colère de la déesse Finance. Il faut aussi apaiser des citoyens qui s'indignent, sortent et occupent les places publiques, sur le modèle égyptien. En Espagne, en Grèce, en Israël, les gens protestent contre trop de dettes, trop de chômage, trop de rigueur ou trop d'inflation. Tout, en réalité, vient de cette envie frénétique qu'ont les sociétés modernes à vouloir vivre au dessus de leurs moyens. En ces temps de crise, on rêverait presque à la sagesse des Crètois, dont parlait Fénelon dans ses «aventures de Télémaque», et qui ne cherchaient que «l'abondance des choses nécessaires et le mépris des superflues». Notre société nous a appris à courir derrière un luxe dont nous n'avons pas toujours les moyens, mais qui devient accessible par la magie du surendettement. C'est qu'il est devenu presque indécent d'être pauvre, dans un monde où tout se présente sous les attraits de l'abondance. Une richesse factice et l'illusion d'une abondance que la société de consommation entretient à coups de publicité, maniant avec une efficacité redoutable la tentation. L'envie, qui est bien un péché capital, nous pousse à mesurer notre bonheur à cette aune : plus nous consommons, plus nous existons socialement. Pendant ce mois de ramadan, nos comportements illustrent à merveille l'escalade vers laquelle nous entraîne l'Envie. Peu importe nos moyens financiers ou notre capacité à réellement consommer. L'exagération dans l'achat des «chhiouate» nous amène parfois à nous retrouver anéantis devant des tables trop garnies que notre estomac, parvenu à satiété, refuse d'ingurgiter, nonobstant les eaux pétillantes censées nous aider à digérer le surplus dont nous n'avons pas besoin. Ce désir de consommer malmène autant la raison que la foi. On a fait de la consommation le moteur de la croissance. Cette dernière produit la richesse et crée des emplois. Il faut donc consommer pour faire marcher la machine, quitte à consommer ce que nous ne possédons pas, ou ce que nous ne pourrions jamais rembourser. Nous nous sommes mis tardivement à la société de consommation. Nos premières grandes surfaces ne datent que des années 90. Nous sommes encore dans cette phase euphorique qui associe le bonheur à l'abondance et à la consommation. Malheureusement, avant qu'on ait pu en profiter, comme ceux qui nous ont entraînés vers ce modèle, nous voilà déjà en prise avec une planète qui a commencé à souffrir dès que nous nous sommes mis à table. Il nous faut désormais, et avant d'avoir commis des folies comme les Occidentaux, nous convertir aux vertus d'une consommation raisonnable. Notre seule consolation est qu'il existe bien des plaisirs simples. J'ai remarqué que plusieurs de mes collègues pensaient avoir réussi leur vie quand ils réussissaient à acquérir un logement. Puis, si l'étendue du remboursement de leur crédit le leur permet, ils changent de logement pour un autre plus grand, puis plus luxueux. La réussite sociale porte souvent le nom de marque de leur voiture, qu'ils se pressent d'ailleurs de changer chaque fois que leur crédit est échu. Très peu me parlent du plaisir qu'ils ont à regarder un film ou une pièce théâtrale, ou qui racontent avec émotion le plaisir qu'ils ont eu à faire des randonnées dans des sites préservés ou des voyages où ils ont découvert d'autres cultures et d'autres richesses que celles des lieux convenus et réputés, où il faut bien être pour être bien vu. Le plus grand tort que nous fait la société de consommation est de tuer en nous la simplicité. En passant devant un étalage de fruits de saison tout en couleurs, un vieux monsieur, qui n'avait apparemment pas les moyens de s'offrir tant de bonnes choses, a fait une prière, non pas pour demander à Dieu de lui permettre de goûter à ces fruits, mais simplement pour le remercier de cette abondance. De tous temps, les Marocains ont ainsi été heureux du bienfait divin, peu importe à qui il profite. Les citadins se réjouissaient quand il pleuvait, non par une quelconque «conscience» économique ou par un intérêt immédiat, mais simplement parce qu'il est préférable qu'il pleuve.Cette philosophie de la satiété a souvent été utilisée politiquement pour contenir la grogne sociale. Dès qu'une crise pointait, et que la pluie voulait bien être le complice d'une manipulation, la météo devenait l'instrument efficace pour apaiser les gens. Il suffisait alors de montrer avec insistance des images de la pluie, renforcées par quelques gouttelettes mises opportunément sur l'objectif de la caméra, pour que les gens se sentent bien. Il est difficile de contenter aujourd'hui les jeunes avec si peu de «poésie».