L e printemps arabe, tout fleuri qu'il est, a un coût économique considérable. La Tunisie et l'Egypte ont ainsi vu leur industrie touristique sombrer dans une profonde crise. Un tantinet opportunistes, nous avions caressé à un moment l'espoir de voir les touristes quittant ces deux pays venir se dorer à notre soleil bien plus clément. Nous avions pour cela l'argument de notre «exception marocaine» et la réactivité du pouvoir, qui a anticipé et répondu rapidement aux revendications de la rue. Mais le bon sens et l'analyse objective restent l'apanage des congrès scientifiques. Le touriste que nous attendons chez nous ne s'embarrasse pas trop des nuances et des spécificités de chaque pays. Le réveil printanier des peuples arabes perturbe donc fortement notre saison estivale. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà que le ramadan tombe en plein mois d'août. Ce n'est pas une surprise et on pouvait bien entendu le prévoir. Mais cela tombe mal, parce qu'on comptait sur le tourisme interne pour colmater les brèches du tourisme «externe». C'est souvent ainsi chez nous, quand on a préparé un grand festin et que les invités ne viennent pas, on transforme notre déconvenue en générosité en invitant nos voisins. Dans le domaine du tourisme, c'est devenu presque une règle. Dès qu'on voit fleurir des offres sympathiques, on se rend compte que le secteur souffre de ses «vrais» clients. On commence alors à lorgner du côté des nationaux en les implorant de bien vouloir se montrer patriotes et venir en aide à un secteur qui fait tourner la machine économique. Pourtant, tous les projets touristiques avancent, sauf celui du tourisme interne, qui piétine depuis plus d'une décennie. Le tourisme est une industrie d'autant plus fragile qu'elle dépend de l'extérieur. Il suffit qu'une crise économique se déclare, qu'une pandémie, même imaginaire, menace, ou même que le moral des supposés touristes ne soit pas au beau fixe pour que nos hôtels se vident. La force de cette industrie génératrice de devises, se transforme rapidement en faiblesse. Or, notre stratégie dans ce secteur est orientée vers les touristes qui comptent, c'est-à-dire ceux qui paient en devises. C'est pour eux que nous avons construit nos infrastructures touristiques. Mais il se trouve que nous ne sommes pas seulement un pays qui offre son histoire millénaire et son soleil radieux, nous sommes également un pays musulman et arabe et à ce titre, nous souffrons dès que la côte du terrorisme augmente ou que des images de troubles occupent les devants de la scène des médias occidentaux. On commence alors à évoquer la solidarité culturelle et on se rappelle nos «frères» du Golfe, qui partagent nos valeurs culturelles, tout en payant en devises. Toutefois, ces derniers ne manquent pas de soleil chez eux et ce n'est malheureusement pas pour nos monuments historiques qu'ils nous rendent visite de temps en temps. Ils nous préfèrent encore la fraîcheur du Nord. Dépités, nous nous tournons en dernier recours vers les nationaux. Le directeur général de l'ONMT a déclaré dernièrement à la presse que le tourisme interne est le deuxième marché après celui des Français en termes de nuitées. Et il a ajouté que ce type de tourisme «est d'une extrême importance pour l'équilibre du secteur». Le tourisme intérieur sert donc à équilibrer le tourisme tout court. Le directeur général reconnaît par la même occasion que le produit hôtelier actuel n'est pas adapté et que c'est pour cette raison qu' il faut se résoudre à offrir le produit actuel à des prix compétitifs. Quel malheur ! C'est en temps de crise qu'on se rappelle qu'il y a des Marocains qui préfèrent passer leurs vacances en Turquie, en Espagne ou en Egypte. Ces pays leur offrent un petit dépaysement, mais surtout des prix nettement moins chers que ceux pratiqués chez eux. Un ami m'a dit un jour qu'on ne baisse pas les prix sur nos autoroutes pour en augmenter la fréquentation, parce qu'il est préférable d'avoir peu de gens qui paient plus que beaucoup de gens qui paient moins. C'est beaucoup plus rentable, si on prend en considération la pression sur les infrastructures et le coût de la maintenance. Cet argument m'avait choqué, parce que je pense qu'il ne faudrait pas tout mesurer à l'aune de la rentabilité. Il est probable que ce soit cette logique qui rend les réceptionnistes des grands hôtels tellement condescendants devant la famille marocaine et obséquieux lorsqu'ils s'adressent à des clients qui paient en devises. Nos hôtels n'ont pas été conçus pour des bourses démunies, et les hôteliers, en bons gestionnaires, préfèrent encore quelques mois de maigre pitance à une clientèle non adaptée au standing offert et à l'investissement consenti. Parfois, cela frise le ridicule. Le produit Kounouz Biladi, qui porte bien son nom, puisque peu d'aventuriers sont tombés sur ce trésor bien enfoui, n'est qu'une réalité publicitaire. Pas étonnant après cela que nos citoyens préfèrent aller respirer l'air ibérique. Si c'est pour être traités comme des étrangers, autant l'être dans un pays étranger. Il suffirait pourtant d'inverser la logique et au lieu de construire des hôtels pour des étrangers et en faire profiter les nationaux quand les étrangers nous boudent, on devrait penser plus sérieusement et plus honnêtement au consommateur local. Bien évidemment, nos amis étrangers pourront en profiter aussi.