Lors de la première édition du Semin'art du Musée Mohammed VI de Rabat jeudi dernier, le public a eu le droit à une belle et émouvante intervention de Rajae Benchemsi, épouse de Farid Belkahia pour revenir sur le travail de l'artiste. Zoom sur un parcours vu du coeur. Elle est écrivaine, critique d'art et elle a partagé la vie de Farid Belkahia. Elle, c'est Rajae Benchemsi. Jeudi dernier, dans l'auditorium du musée, elle retrace le parcours d'un artiste et d'un homme à travers ses yeux de critique et de passionnée d'art, mais surtout à travers des yeux d'une femme amoureuse.«J'ai eu la chance d'appartenir à cette famille. Son père était très lié au monde de la peinture et Farid a pose très jeune pour des peintres, dès l'âge de 3-4 ans», confie Rajae Benchemsi. «Je pense que toute cette proximité dans son milieu d'origine a très certainement contribué à tracer son destin». C'est dans le cadre de cette première conférence sous le thème des «fondateurs de la modernité artistique marocaine», en prenant l'exemple de Belkahia, que Rajae Benchemsi raconte l'artiste. «Très tôt, je crois que les premières oeuvres déjà exposées de Farid se distinguent alors qu'il n'avait que 15 ans. Il entame ensuite une longue période expressionniste et je prends ce terme au sens strictement littéral de la définition même de l'expressionnisme, c'est-à-dire «je peins ce que je ressens», explique la critique qui précise qu'il s'agit exactement de ce que le peintre a entrepris comme démarche artistique avant même d'avoir éte en contact avec l'expressionnisme en Europe. «Sa période expressionniste sera le moteur de son engagement en tant qu'artiste». On comprend donc que le peintre visionnaire, qui a su mêler subtilement dans son travail l'Occident et l'Orient est un artiste de son temps et libre. Malgré un père qui souhaitait le voir évoluer «différement» dans un milieu plus carré comme l'ingénurie par exemple, Farid Belkahia était determiné à faire de sa passion un métier. «Il s'est finalement et même presque violemment opposé à son père et il a assumé sa décision en décidant très jeune de ne pas passer son baccalauréat et en disant à son père : je veux être peintre, c'est ça que j'ai choisi et c'est ça que je vais faire». Une décision qui va l'amener à aller enseigner à Ouarzazate pour récolter de l'argent et financer ses années à Paris pour intégrer l'Ecole des beaux-arts. «Lorsqu'il arrive à l'Ecole des beaux-arts de Paris, Ibrahim Alaoui disait de lui qu'il avait toujours été contre les choses uniformes, ça s'est manifesté tout de suite ne serait-ce qu'en tant qu'étudiant, quand il est arrivé dans le premier atelier, il y avait des obligations et donc tous les peintres avaient des chevalets, ils devaient peindre en gris des choses que le maître de l'atelier leur imposait», confie la critique d'art qui avoue que c'est à ce moment-là que Farid Belkahia se rend compte de sa différence par rapport à l'art occidental. Celui qui ne voulait pas peindre sur un chevalet puisqu'il estimait que ce n'était pas de l'art avait déjà, dès les premières années d'école, un tempérament bien trempé et une empreinte artistique à lui, mais l'Occident ne lui suffit plus et il avouera : «Je suis comme un poisson dans l'eau dans cette culture occidentale, pourtant je suis conscient que ce n'est pas la même et donc je vais faire un voyage pour aller là où se trouve l'origine de ma culture, c'est-à-dire dans le monde arabe». Il ira donc à Jérusalem et à Bagdad en 1955. «Il va vers le monde arabe et il écrit à ce moment-là à son père la nécessité de toujours savoir retourner vers ses propres traditions», ajoute Rajae Benchemsi. Après Prague qui lui a beaucoup apporté et où «il prenait position par son travail et non par du militantisme au sein d'un parti», il revient à Casablanca pour prendre la direction des beaux-arts en 1962. C'est là qu'il découvre les matières et le cuivre pour rompre avec ce qui se faisait jusqu'à present et avec la tradition occidentale.Il prouve que l'on peut être Marocain, appartenir à une certaine tradition et continuer à être le symbole de la modernité tout en s'inscrivant dans la contemporanéité. C'est ainsi qu'il rompt avec la peinture à chevalet et à l'huile et opte pour le cuivre, les formes, les reliefs tout en continuant sa quête sur l'exploration de la matière. «Il va faire la même chose avec la peau. Il va sauver la peau de la défection, pour l'amener vers l'oeuvre d'art».C'est ainsi que pendant des heures, on comprend comment Farid Belkahia a créé une nouvelle page de l'histoire de l'art. Le précurseur de l'école casablancaise, devenu un véritable courant, avait puisé dans les traditions pour être moderne, en allant toujours au-delà de l'esthétique. Esthétique qu'il maîtrisait parfaitement puisqu'il avait la technique. Un modèle dans la peinture mais pas seulement. Un modèle dans l'art puisque les artistes marocains aujourd'hui coincé entre l'Orient et l'Occident, entre la modernité et les traditions peuvent s'inspirer de lui. Farid Belkahia leur a montré le chemin...