L'artiste peintre de grande renommée, l'une des figures emblématiques de l'art contemporain au Maroc, «l'artiste moderniste à plusieurs facettes» comme il plaisait aux critiques d'art et esthètes de le qualifier, nous a quitté à Marrakech, dans la nuit du jeudi 26 septembre, à l'âge de 80 ans, suite à une longue maladie qui a eu prise sur son âme. Il a été inhumé, selon ses vœux, dans sa ville natale où il a vécu et qui témoigne de ses derniers moments au rythme de la musique et de la poésie. Belkahia, figure de proue de la création contemporaine, a marqué l'histoire de l'art marocain d'une empreinte profonde grâce à ses œuvres inédites. Il a bien voulu s'installer dans sa ville natale, où il a passé la plus grande partie de son temps, pour se consacrer à sa peinture connotative. Ses œuvres récentes sont placées sous le signe de la continuité et de l'éparpillement dans la forme et la couleur, en donnant libre cours à ses fantasmes et à ses fantaisies. Son empreinte est toujours omniprésente. Sur son parcours artistique, l'écrivain Rajae Benchemsi, son épouse, a écrit : «Né en 1934 à Marrakech, imprégné d'art grâce à son père qui fréquente les milieux artistiques étrangers et se lie aux peintres Antoine, Olek, Jeannine Teslar et Nicolas de Staël. Etudes à l'Ecole des Beaux Arts à Paris en 1959 et à l'Académie de Théâtre à Prague où il étudie la scénographie. De 1962 à 1974, directeur de l'Ecole des Beaux Arts de Casablanca où il rénove le concept de l'art et de son enseignement en s'entourant d'une équipe de pionniers (peintres comme Melehi, Chebaa, Azema, Hamidi, Hafid ; historiens de l'art comme Toni Maraini et Bert Flint). En 1965, un an d'études à Milan, à l'Académie Brera où il côtoie des peintres tels que Castellani, Kounelis, Bonalumi et Fontana. En 1966, il participe à la revue Souffles. En 1969, première expérience de l'art dans la rue: il organise une grande exposition sur la place Jamaa-al-Fna à Marrakech. Il invite à l'Ecole des Beaux Arts des artistes de renom tels que Dimitrienko, César, Lurçat. Il se consacre à partir de 1974 complètement à ses arts en abordant différents matériaux. Le cuivre, qu'il martèle, moule, plisse. La peau, utilisée crue, lavée, traitée, séchée, tirée sur des formes en bois découpées. Utilisation exclusive de colorants naturels tels que le henné, le safran, l'écorce de grenade, le cobalt, la nila, le bleu de méthylène. La sculpture, presque toujours monumentale. La mémoire est l'inspiration transversale de son œuvre : repères historiques et culturels, correspondance de signes graphiques, référence à une symbolique universelle à laquelle se joignent des signes berbères, enjeux des origines identitaires, repères historiques et civilisationnels. Farid Belkahia est un voyageur qui sillonne le monde à la rencontre des cultures et des civilisations. Voyages au Moyen-Orient, dans tous les pays du Sahel, la Chine, l'Amérique latine. En 1980, il décide de construire une maison en terre avec son ami l'architecte Abderrahim Sijelmassi...». De son côté, Abdellatif Zine, Secrétaire général du Syndicat des plasticiens marocains et président de l'Association nationale des Arts plastiques, nous a confié : «Ce peintre contemporain a rendu l'âme. Mais ses toiles demeureront une trace vivante dans notre mémoire collective. Malheureusement, le Maroc contemporain qui a fait de la culture artistique un vecteur de son désenclavement a été moins reconnaissant envers les figures illustres de la création plastique. Il est temps de contribuer activement à la promotion des œuvres picturales conçues et réalisées par les nouveaux talents». Pour sa part, Abderrahmane Rahoule , directeur de l'Ecole supérieure des Beaux arts de Casablanca, nous révèle : «Au nom de tous les acteurs de notre école, j'aimerai bien confirmer que Farid Belkahia nous a légué un immense travail, bien recherché et très créatif. Il est parmi les grandes figures de la peinture marocaine moderne. Son œuvre est partie intégrante du patrimoine national non seulement dans le domaine de la peinture, des arts plastiques mais du point de vue de notre culture visuelle en général également. Je souviens d'un bon directeur de l'Ecole des Beaux arts de Casablanca dans les années 60, discret, toujours vivant et en plein recherches et créativités. Il avait lutté courageusement contre la maladie jusqu'au dernier jour. Il n'était pas seulement un artiste peintre mais un acteur associatif, pédagogue confirmé et un militant de la culture visuelle qui joint l'utile à l'agréable». Sur son acte novateur, Salah Stétié, diplomate libanais, poète et critique d'art a écrit : «Novateur Belkahia ? Oui, avec décision, mais non de la tribu de ceux qui, pour renouveler les choses, commencent par casser la tradition dont, le voulussent-ils ou non, ils sont issus. Belkahia est trop sûr de la nature et de la qualité de sa tradition, arabe et amazighe, islamique et méditerranéenne, immémoriale et tournée vers le futur, chevauchant l'Orient et l'Occident sur le même cheval - avec sensibilité, mais aussi, et très souvent, avec autorité. Non l'autorité de la volonté, mais celle, énigmatique, de la fascination. Métier d'aveugle est la peinture. Et sur le fond de l'œil du peintre, au point dit précisément «aveugle», ce sont les images qui naissent, toutes les icônes, nourries de la substance noire insubstantielle, écran paradoxal et combien ambigu, philosophiquement parlant, de l'étrange machine à rêver que chacun est.». Par rapport à sa contribution à l'art contemporain, Brahim Alaoui, ex-directeur des Expositions à l'Institut du monde arabe, témoigne : «En 1965, Belkahia abandonne la pratique de la peinture de chevalet pour travailler le cuivre. Matériau nouveau pour lui, qu'il martèle, brûle, oxyde, découpe et froisse jusqu'à délivrance, jusqu'à en faire jaillir d'emblématiques empreintes, des compositions en bas-reliefs, ondulés, souples et rythmés. Une fois le cuivre maîtrisé, et estimant qu'il en avait épuisé les possibilités d'expression, l'artiste se tourne vers d'autres matériaux. Ainsi, en 1974, Belkahia opte pour le travail sur la peau d'agneau. Il la tanne, l'assouplit, l'affine jusqu'au diaphane, au terme d'un processus purificateur, nécessaire à ses yeux, car il permet, pense-t-il, de libérer une énergie qui, retenue, serait néfaste. La peau, tel un parchemin, est étirée sur des fonds de bois aux découpes totémiques. Elle devient le réceptacle où vient s'inscrire «la mémoire tatouée»».