L'accord de libre-échange transatlantique entre l'UE et les USA pourrait constituer à la fois une opportunité et une menace pour le pays. L'harmonisation des normes entre les deux blocs pourrait désavantager les pays tiers qui sont moins équipés pour y faire face. L'onde de choc du traité transatlantique épargnera-t-elle le Maroc ? Pas si sûr ! L'accord de libre-échange actuellement en négociation entre l'Union européenne et les Etats-Unis, appelé Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) ou encore TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement), n'a pas manqué de susciter les craintes des professionnels. L'accord concerne les deux blocs commerciaux les plus importants au monde, générant à eux seuls pas moins de 50% du PIB mondial, des exportations et des IDE. Deux blocs commerciaux qui se trouvent par la même occasion être deux partenaires de libre-échange pour le Maroc. Deux accords de libre-échange lient le Maroc à l'UE et aux USA depuis respectivement 2000 et 2006. Le royaume, qui n'a pas montré récemment de grands signes d'anticipation des politiques commerciales de ses partenaires, en particulier celles de l'UE (voir l'affaire de la nouvelle réglementation imposée par la politique agricole commune PAC sur (leseco.ma), a tout intérêt à suivre de près ces négociations. Et pour cause, cet accord pourrait constituer une opportunité comme une menace pour le pays. Déjà en Europe, le traité suscite une opposition de plus en plus virulente de la part des ONG et des partis politiques. Sont notamment mis en cause l'opacité des pourparlers ainsi que les avantages que pourrait accorder cet accord aux multinationales américaines en matière de recours juridictionnel. Pour le cas des pays tiers, ce sont surtout les négociations sur les barrières non tarifaires et la convergence réglementaire qui sont pointées du doigt. Des normes plus rigoureuses Dans une récente publication, le think tank OCP Policy Center a soulevé cette question. Pour les experts du think tank, tout dépendra des standards qui seront fixés par ce nouvel accord. «Des normes plus rigoureuses pourraient désavantager les pays tiers qui sont moins équipés pour y faire face», souligne Peter Sparding, auteur d'un article sur le commerce transatlantique. Le Maroc, qui est lui-même en négociation sur ce genre de normes avec l'Union européenne dans le cadre de l'ALECA, devrait prendre en compte ces risques. Selon plusieurs observateurs, le mieux est encore d'attendre de voir les normes qui seront négociées entre les deux pays en vue de s'aligner dessus. Mieux vaut ne pas se précipiter pour s'aligner sur les normes européennes tout en négligeant celles américaines. Ce point a été soulevé par la société civile marocaine dans le cadre des consultations avec l'UE durant ces derniers mois. «La convergence vers l'Europe ne posera pas problème pour la convergence vers d'autres marchés. Une fois que le Maroc aura convergé vers l'UE, il sera en harmonie avec les standards internationaux, il pourra ensuite aller tout autant vers les USA que vers la Russie ou tout autre pays», souligne Marta Moya Diaz, chef de la section commerciale à la délégation de l'Union européenne au Maroc. En tout cas, le Maroc a plus que jamais besoin de visibilité sur la nature des normes harmonisées par les USA et l'UE en vue de mieux appréhender ses négociations dans le cadre de l'ALECA. L'harmonisation de certaines normes, notamment les règles d'origine, pourrait même être avantageuse pour le Maroc. Les standards actuels de l'Europe diffèrent de ceux des USA. Conséquence: «le système productif marocain doit être suffisamment souple pour s'adapter aux règles d'origine des deux partenaires, ce qui est extrêmement difficile», explique Nabil Boubrahimi, professeur d'économie à l'Université Ibnou Toufail à Kénitra. Un rapprochement normatif entre les deux simplifiera la tâche aux entreprises marocaines exportatrices qui produiront un même produit pour les deux marchés. La menace de l'Europe de l'Est Un autre risque tient à l'effet de taille qu'une intégration de la sorte suscitera pour le commerce extérieur marocain. Déjà que le Maroc trouve des difficultés à accéder aux marchés européens et américains par manque de compétitivité, un élargissement de la zone d'intégration risque d'amoindrir les termes d'échange du Maroc. «En outre, les pays de l'Est de l'Europe comme la Roumanie pourront voir les flux d'investissement américains s'orienter de plus en plus vers eux», prévient Boubrahimi. À ce titre, le Maroc est tenu de prévoir dès maintenant des mesures d'accompagnement pour renforcer la compétitivité de l'économie marocaine. La maîtrise de la langue anglaise deviendra de plus en plus incontournable et les stratégies sectorielles n'auront pas droit à l'échec. «Il faut faire en sorte que les USA et l'UE considèrent le Maroc comme une plateforme d'exportation». C'est dire que l'anticipation est de mise dans toutes les actions entreprises par le Maroc. Selon plusieurs spécialistes, l'impact économique réel et immédiat sur les pays de l'Atlantique dépend de la nature des obstacles au commerce qui seront abordés dans ces négociations. Cela ne devrait pas empêcher des pays comme le Maroc d'ajuster leurs politiques commerciales afin de se conformer au niveau de l'ouverture et les normes élevées des Etats-Unis et en Europe. Aujourd'hui, plusieurs pays partenaires de l'Europe et des Etats-Unis n'ont pas caché leur intérêt de se joindre aux négociations du TAFTA. «Si pour le moment, aucune adhésion n'est prévue, à long terme, il semble réaliste que des pays comme le Mexique et le Canada, qui ont tous deux déjà conclu des accords de libre-échange avec l'Union européenne et les Etats-Unis, feront partie d'une zone de libre-échange transatlantique plus large», prédit Sparding dans son étude sur le commerce transatlantique.