La situation des stocks disponibles en produits pétroliers fait ressortir un écart important par rapport aux normes réglementaires. Mode de financement défaillant, capacités de stockage insuffisantes... la Cour des comptes pointe plusieurs dysfonctionnements. Le spectre de la rupture de stocks plane-t-il sur les produits pétroliers ? À la lumière des données arrêtées par la Cour des comptes, suite à son rapport sur le «Système de compensation au Maroc», l'on est en droit de répondre par l'affirmative. «La situation des stocks disponibles au ministère chargé de l'Energie montre un écart important par rapport aux normes réglementaires», tranchent les équipes de Driss Jettou. D'après l'enquête de la Cour des comptes, les niveaux réglementaires de stockage ne sont respectés en moyenne qu'à hauteur de 32,2% pour le butane, 36,3% pour le gasoil et 48,3% pour l'essence. On est loin du compte ! (voir tableau). Par rapport aux consommations de 2012, les capacités de stockage existantes ne permettent qu'une couverture potentielle de 47 jours pour le gasoil et de 28 jours pour le butane, alors que pour l'essence, elles dépassent 72 jours. En 2013, cette situation s'est relativement améliorée en enregistrant un accroissement des capacités de stockage ayant permis d'augmenter le taux de couverture potentielle par rapport aux consommations à 42 jours pour le gaz butane, 60 jours pour le gasoil et 107 jours pour l'essence. Garde-fous La constitution des stocks de sécurité des produits pétroliers, mesurée en nombre de jours de réserve, répond à un souci de sécurité et de prévention des situations de crises pouvant affecter l'approvisionnement normal du pays. L'Agence internationale de l'énergie incite les pays à conserver 90 jours d'importations de produits bruts ou de produits raffinés. Quant à l'Union européenne, elle prévoit l'obligation de disposer d'un stock de sécurité de 90 jours de consommation de produits raffinés avec la possibilité de substitution par le brut à hauteur de 40 à 50%. Au Maroc, la constitution et la déclaration des stocks de sécurité sont régies par la loi n° 9-71 du 12 octobre 1971 relative aux stocks de sécurité. L'arrêté du ministre de l'Energie,des mines, de l'eau et de l'environnement n° 393-76 du 17 février 1977, modifié en 2008, fixe les niveaux de stocks de sécurité à détenir par les raffineurs, les distributeurs et les centres emplisseurs. Cet arrêté fait obligation aux raffineurs de détenir un stock de sécurité de pétrole brut équivalent à 30 jours de leurs ventes de produits pétroliers. Quant aux distributeurs, ils doivent détenir un stock de sécurité représentant l'équivalent, par produit, de 60 jours de leurs ventes sur le marché intérieur. Pour les centres emplisseurs, les stocks de sécurité à constituer sont également de 60 jours d'emplissages livrés sur le marché intérieur. La non-constitution de ces stocks est passible d'amendes et d'astreintes prévues par le dahir portant loi n° 1-72-255 du 22 février 1973 sur l'importation, l'exportation, le raffinage, la reprise en raffineries et en centres emplisseurs, le stockage et la distribution des hydrocarbures. Modèle défaillant Concernant le financement des stocks de sécurité, il a été instauré en 1976 une ristourne de 0,7% sur les ventes octroyées aux sociétés qui ont constitué ces stocks. Ce mode de financement n'a jamais fonctionné du fait qu'aucune société n'a constitué le stock de sécurité prévu par la réglementation. Pour cette raison, à partir de 1981, une «marge spéciale pour le financement des stocks» a été mise en place et intégrée au niveau de la structure des prix des produits. Ce mode de financement a été suspendu en 1997 pour les produits pétroliers liquides, alors qu'il continue à fonctionner pour le gaz butane. Les experts de la Cour des comptes pointent du doigt les dysfonctionnements de cette démarche. Selon eux, le système de ristourne n'a pas fonctionné et le système de la «marge spéciale de constitution des stocks» a permis aux sociétés pétrolières de collecter des montants importants qui n'ont pas été investis conformément à leur objet. Depuis son institution, cette prime a permis auxdites sociétés d'accumuler un montant de plus de 3,08 MMDH à fin 2013. Ces fonds restent inutilisés et seraient inscrits dans les bilans des sociétés concernées comme dettes à long terme envers la Caisse de compensation, sans que cette dernière ne puisse les récupérer. Dans tous les cas, le ministère chargé de l'Energie est aussi chargé, par délégation du chef de gouvernement, du contrôle de la constitution des stocks de sécurité par les différents opérateurs (raffineurs, sociétés de distribution et centres emplisseurs). Cette mission doit être effectuée mensuellement par la réalisation d'opérations de jaugeage des stocks auprès des différents opérateurs. Capacités limitées Les capacités de stockage constituent un élément important d'optimisation des conditions d'approvisionnement par les opérateurs qui peuvent saisir les opportunités qui s'offrent sur le marché ou les détentes sur les cours. Avec des capacités relativement limitées, les approvisionnements se font beaucoup plus selon les besoins du marché local. En cas de détente sur les cours mondiaux, cette situation risque de constituer une limite à l'optimisation des achats. L'évolution des capacités de stockage des produits pétroliers révèle qu'elles n'ont pas connu de développement significatif. L'essentiel de ces capacités existe depuis plusieurs années et leur extension reste assez réduite. Pour le butane, l'augmentation relativement importante de la capacité de stockage de près de 67% est due essentiellement à l'entrée en service, en décembre 2013, d'une troisième cavité de 80.000 tonnes de la société Somas. Malgré cet investissement, le niveau des capacités de stockage du butane reste insuffisant. Les données de la Cour des comptes montrent que les différents mécanismes mis en place pour inciter les opérateurs à développer les capacités de stockage et à constituer les stocks réglementaires n'ont pas fonctionné de manière satisfaisante.