Entretien avec Mohamed Bastaoui, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes ALM : Dans quel contexte la Cour des comptes présente-t-elle aujourd'hui ce rapport consacré à la Caisse de compensation ? Mohamed Bastaoui: Nous présentons aujourd'hui ce rapport dans un contexte marqué par une situation économique difficile au Maroc. Les équilibres macroéconomiques ne sont pas dans l'intérêt du budget, de l'économie marocaine et des finances publiques. Et parmi les zones à risque qui pèsent sur ces équilibres, ressort la Caisse de compensation. En effet, la part du budget de l'Etat destinée à couvrir la charge de compensation a augmenté entre 2009 et 2012 de 258%. Elle est passée de 15 milliards DH à 56,3 milliards DH, passant ainsi de 1,7% à 6,8% du produit intérieur brut. Ainsi la Cour des comptes a effectué ce travail suite à la demande du président du Parlement. Mais, avant toutefois d'être saisie par le Parlement, la Cour des comptes avait l'intention de se pencher sur cette question vu son importance. Quels sont les problèmes dont souffre aujourd'hui le système de compensation ? Le système a dévié de sa vocation pour devenir un instrument de soutien à la compétitivité des entreprises, voire un palliatif à leur non-compétitivité, masquant ainsi la vérité des coûts de production de certaines industries ou même un substitut à la révision des tarifs de l'électricité. Ainsi le système souffre d'une défaillance au niveau de la gouvernance, de problèmes au niveau du dispositif juridique et du mode opératoire. Concernant le dispositif juridique, il est vétuste, pas suffisamment coordonné et manque d'intégration et de visibilité. Concernant la gouvernance, on constate une absence de stratégie claire en la matière : est-ce qu'on finance la consommation, ou la production ? Des questions auxquelles le gouvernement doit apporter des réponses. Et il y a un autre point qui pose problème, c'est le fait que chaque intervenant agit de façon isolée, il n'y a pas de coordination de synergies. Et pour ce qui est du mode opératoire, son dysfonctionnement fait supporter à l'Etat énormément de dépenses. Des exemples concrets de ces dysfonctionnements au niveau du mode opératoire ? Prenons par exemple le gaz butane. La majorité de la subvention accordée à ce produit dont la consommation est couverte à 92% par des importations bénéficie au transport et à la distribution. Subventionné, avec une contribution moyenne unitaire de compensation de 224 % en 2012, le gaz butane en raison de son prix a connu une déviation, par rapport à sa destination sociale originelle, vers des usages industriels et professionnels qui profitent de plus en plus de son prix très bas. Ainsi sa consommation est répartie entre les ménages (59%) et l'agriculture (39%). Autre exemple, celui des produits pétroliers : les opérateurs s'approvisionnent sur les marchés internationaux sans toutefois se soucier si c'est bénéfique pour le Trésor ou non, parce qu'ils savent qu'ils sont remboursés quel que soit le prix d'achat, ce qui pose de grands problèmes. Ceci dans la mesure où sur la période de 2009 à 2013, les produits pétroliers ont bénéficié d'un montant de 162,2 milliards DH, soit 83,3%, cumulé de la charge de la compensation.. Quelles son les solutions que vous proposez ? Il faut une révision du système, redéfinir une stratégie, une nouvelle vision de l'Etat dans ce sens et fixer un niveau de financement plafond de la caisse que l'Etat peut supporter. Ainsi concernant les produits pétroliers, il est recommandé de revoir le système d'approvisionnement dans le sens d'une meilleure implication des pouvoirs publics pour amener les sociétés pétrolières à optimiser leur achat en assurant la régularité de l'approvisionnement du marché, en améliorant les capacités d'accueil des ports et en augmentant les capacités de stockage. Il est également recommandé de prévoir, pour le secteur agricole, des programmes de soutien encourageant en particulier l'utilisation de kits fonctionnant à l'énergie solaire. Le rapport propose également de lancer progressivement la filière du gaz naturel et doter le pays d'infrastructures appropriées pour la distribution de ce produit en commençant par les grands centres urbains. Dans quelles conditions ce rapport a-t-il été élaboré ? Ce rapport nous a nécessité environ six mois de travail. Les problèmes auxquels nous avons été confrontés concernent la disponibilité des informations. Parfois les données n'étaient pas à portée, ce qui nous a obligés dans certains cas à faire un travail d'analyse basé sur des projections et des hypothèses. C'était la principale difficulté. La compensation en quelques chiffres Selon le rapport de la Cour des comptes, les ménages les plus aisés sont ceux qui profitent le plus de la Caisse de compensation. Ainsi en 2012, chaque ménage sans véhicule a bénéficié en moyenne de 2.181 DH par an, contre 4.996 DH par an pour un ménage avec véhicule. En 2013, cette subvention a été revue à la baisse. Ainsi chaque ménage sans véhicule a bénéficié en moyenne à 1.880 DH par an, contre 3.943 DH par an pour un ménage avec véhicule. Par ailleurs, le gaz butane représente la part la plus importante des subventions dont bénéficient les ménages sans véhicules avec 63% et 70%, respectivement en 2012 et 2013. Concernant les ménages avec véhicules, le gasoil et l'essence constituent la part prépondérante avec 56% et 52%, respectivement en 2012 et 2013. A noter que les ménages bénéficient à hauteur de 36,2% de la compensation, suivies de l'agriculture et pêche maritime avec 24,3%, le transport (16,2%), l'ONEE (12,3%) et enfin l'Industrie, mines et secteur tertiaire avec 11%.