C'est une (petite) révolution dans le régime des retraites au Maroc. Le Conseil du gouvernement, réuni mardi à Rabat, a adopté un projet de loi complétant le dahir relatif au régime de sécurité sociale.Ce texte apporte un changement de taille: les retraités n'ayant pas cumulé les 3240 jours déclarés, condition jusque-là sin qua non pour prétendre à une pension de retraite de la CNSS, peuvent désormais se faire rembourser en fonction de leur contribution. Le calcul de la pension prendra en compte l'ensemble des cotisations, indexées au taux d'intérêt des dépôts de la Caisse. Pour en bénéficier, les concernés disposent d'un délai de 5 ans pour déposer leurs demande, à compter de la date de départ à la retraite. «Le texte de loi fait suite à de longues négociations avec les partenaires sociaux, et vient rendre justice aux salariés du privé», se félicite Abdelouahed Souhail, ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle. La mesure, tant attendue, intervient en effet dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l'accord du 10 avril 2011 sur le dialogue social, et en application à la décision du 10 avril 2012 de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), prévoyant un remboursement au profit de cette catégorie. Justice rendue Selon les dirigeants de la CNSS, quelque 42.500 personnes, après de bons et loyaux services, partent à l'âge de retraite chaque année sans avoir droit à une pension de vieillesse. Cela équivaut à près de 70% des cotisants qui arrivent à l'âge de la retraite chaque année. Enorme ! «C'est une aberration qui remet en question tout le système de la sécurité sociale. Depuis plusieurs années, la Caisse planche sur ce dossier, ce qui a donné lieu à plusieurs scénarios. Celui adopté finalement a fait l'unanimité», explique un cadre de la CNSS. Il faut dire que l'aboutissement de cette mesure n'a pas été un long fleuve tranquille. Après l'adhésion des centrales syndicales, il fallait en effet passer au montage financier de cette opération, une mission loin d'être de tout repos. Un service de pensions supplémentaires ou un remboursement de cotisations se traduirait automatiquement par un surcoût qui ne manquerait pas de plomber les comptes de la CNSS. Avec des indicateurs déjà dans le rouge (premier déficit prévu en 2026 et surtout une faillite en 2037), les équipes de la Commission technique devait s'adonner à une véritable acrobatie financière : «nous avons effectué plusieurs études d'impact pour estimer le coût de cette opération sur les finances de la Caisse. Les bases de calcul ont changé plusieurs fois, jusqu'à ce qu'un accord soit conclu avec les parties prenantes, le patronat et les syndicats en l'occurrence, sur l'approche à adopter», explique notre interlocuteur à la CNSS. Ce dernier apporte une précision de taille : «il faut savoir que si des salariés n'arrivent pas à accumuler les 3240 jours (soit 10 ans et 3 mois de travail !), ce n'est pas à cause d'une défaillance du système. La raison est à rechercher auprès des entreprises qui ne payent pas leurs cotisations», dénonce-t-il. C'est là que réside la véritable bataille de la CNSS. Haro sur la sous-déclaration La Caisse, dirigée par Saïd Ahmidouch, doit en effet mettre les bouchées doubles afin d'assurer un contrôle et une inspection continus des entreprises. Sur ce registre, les descentes des inspecteurs de la Caisse ne retournent (presque) jamais bredouille. Les opérations effectuées au premier semestre 2012 dévoilent des chiffres révélateurs : 272,4 MDH de cotisations, 1,13 MMDH de masse salariale régularisée, 19.920 salaires redressés et 20.685 salariés régularisés, c'est dire l'étendue de la fraude à la sécurité sociale. Cette pratique qui a un double impact: d'un côté, elle porte un coup dur au régime de sécurité sociale, de l'autre, elle constitue une concurrence déloyale aux entreprises qui se conforment à la loi. Selon les statistiques de la CNSS, tous les secteurs sont concernés. La palme d'or est attribuée aux BTP, à l'immobilier, à l'industrie manufacturière et à l'éducation (comprenez les écoles privées). Des secteurs pourvoyeurs d'emplois, certes, mais représentant 80% de la masse salariale et des cotisations dissimulées. Sur les trois dernières années, le niveau de la masse salariale régularisée est au-dessus de la barre des 2 milliards de dirhams par an. Il est à noter que des entreprises n'hésitent pas à se procurer de fausses factures, et à falsifier les écritures comptables pour ne pas s'acquitter des charges sociales. Q/R Abdelouahed Souhail Ministre de l'Emploi et de la formation professionnelle La mesure rend justice aux retraités du privé Les ECO : Le Conseil de gouvernement vient d'adopter un projet de loi permettant aux retraités n'ayant pas cumulé les 3240 jours de bénéficier d'une pension de retraite. Comment se déclinera cette mesure ? Abdelouahed Souhail : La mesure vient d'abord rendre justice à une large catégorie des salariés du privé qui, après de longues années de travail, se retrouvent sans pension de retraite à cause d'un nombre insuffisant de journées de cotisation. Désormais, ce sera possible d'avoir une pension de retraite en fonction d'un calcul des cotisations indexées sur le taux de rendement des réserves de la CNSS. Mieux encore, la mesure aura un effet rétroactif, car même les salariés qui sont partis à la retraite depuis 2000 auront droit d'en bénéficier. Ils ont d'ailleurs un délai de 2 ans pour déposer leurs demandes. Mais si les salariés n'arrivaient pas à cumuler les 3240 jours, c'est à cause de la sous-déclaration qui reste une pratique courante... Il est vrai que le phénomène de la sous-déclaration existe bel et bien au sein des entreprises du privé. Sur ce registre, la CNSS a mené un vrai combat contre les fraudeurs en multipliant les inspections et en renforçant les sanctions. Un travail qui commence à donner ses fruits. Durant les six dernières années, nous avons pu en effet régulariser la situation de pas moins d'un million de salariés vis-à-vis de le la sécurité sociale. Et ce n'est pas fini, nous allons continuer à mener la vie dure aux entreprises qui ne respectent pas leurs engagements. Cette opération a aussi un coût financier pour la CNSS. N'aura-telle pas un impact négatif sur la trésorerie de la Caisse, déjà sous tension ? La commission technique de la CNSS a déjà fait ses calculs. Evidemment, cette mesure est accompagnée par des études d'impact afin de préserver l'équilibre financier de la Caisse. De notre coté, nous veillerons à la mettre en œuvre dans les meilleurs conditions. l