Sur les quelque 6 millions de déchets ménagers produits annuellement au Maroc, près de 70% des 6 millions de déchets ménagers sont collectés. Un ratio que l'on pourrait qualifier de «normal» pour un pays en voie de développement. Sauf que sur ces 6 millions, moins de 10% des déchets collectés atterrissent en décharge contrôlée, le reliquat étant dispersé sur les 300 décharges anarchiques réparties à travers le Royaume. Au-delà de l'impact environnemental et social, c'est la non-valorisation de ces déchets ménagers qui constitue un véritable manque à gagner pour l'économie nationale. Pourtant, il existe des techniques qui ont fait leurs preuves à l'étranger et qui pourraient être appliquées au Maroc, d'autant plus que la nature de nos déchets se prête parfaitement à une valorisation énergétique. Produire du méthane grâce aux déchets «Contrairement à l'Europe, les déchets ménagers marocains sont composés à hauteur de 65% de matières organiques», témoigne Samir Yousri, spécialiste en gestion des déchets auprès du département de l'Environnement. Cette caractéristique qui découle directement de notre mode de consommation rend possible sa transformation de ces déchets en énergie grâce à la méthanisation. Un procédé qui consiste en la récupération du biogaz généré par la fermentation sous terre des déchets ménagers. En effet, ce biogaz comporte une teneur en méthane (CH4) variant entre 60 et 70%. Sur le plan énergétique, une tonne de déchets méthanisés peut produire 300 kW d'énergie thermique, et presque autant en énergie électrique. Par comparaison aux combustibles fossiles, une installation qui traiterait 110.000 tonnes de déchets ménagers permet de produire 10.000 mètres cubes de biogaz par jour, soit l'équivalent de 2,4 millions de litres de fuel par an. Pour avantageuse qu'elle soit sur le plan énergétique, la réalisation d'une installation de ce type se heurte au problème du financement. Un tel projet nécessite un investissement de près de 200 millions de DH. Un obstacle de taille qui n'encourage pas les collectivités locales à franchir le pas. Pourtant, une alternative existe. La méthanisation est, en effet, un processus naturel, que l'on peut constater même au niveau des décharges sauvages. La récupération de cette énergie potentielle est possible moyennant un investissement plus «raisonnable», allant de 13 à 20 millions de DH en fonction de la taille de la décharge. Au lieu de mettre en place une installation complète pour accélérer le processus, il suffit d'enfouir les déchets ménagers dans des fosses parcourues de canalisations, qui permettent de drainer le biogaz au bout de 2 à 3 semaines. D'un point de vue environnemental, il est de toute façon nécessaire de récupérer ce gaz, ne serait-ce que pour rester conforme à l'orientation du Maroc en faveur du développement durable. Car le méthane qui se dégage de ces décharges est un gaz à effet de serre très nuisible. Son pouvoir réchauffant est en effet 21 fois supérieur à celui du CO2, à tel point qu'il vaut mieux le brûler que le laisser s'évaporer dans la nature. C'est le procédé qui a été mis en place dans la décharge d'El Oulja (Salé), qui permettra, à terme d'économiser 36.000 t (équivalent) CO2 par an grâce à la récupération et au torchage (combustion) du biogaz. Une bonne action pour l'environnement, mais qui aurait aussi été bénéfique pour notre économie, si le terreau était propice à la valorisation des déchets ménagers en énergie. Mais il semblerait que les choses vont dans ce sens, notamment grâce au Programme national de gestion des déchets ménagers (PNGDM), qui s'inscrit directement dans la logique de la loi 28-00 réglementant la gestion des déchets. 37 milliards de DH pour un Maroc propre Ce programme dont l'exécution s'étale jusqu'à 2023, part d'un constat simple mais réaliste. La croissance que connaît le Maroc et l'augmentation de la consommation par habitant que cela induit fait que les déchets ménagers ne peuvent que qu'être une niche considérable pour servir les besoins énergétiques. Des prévisions tablent sur un volume de plus de 7 millions de tonnes à l'horizon 2020. Dans ce contexte, il est clair qu'une politique de gestion de ces déchets est une nécessité, compte tenu des conséquences en termes de qualité de vie, de santé publique, de ressources naturelles et de développement socioéconomique. Premier objectif du PNGDM : l'éradication des décharges sauvages. «Les quelque 300 qui existent actuellement vont être soit définitivement fermées, soit réhabilitées. À terme, des décharges sauvages feront place à 150 autres contrôlées», atteste Ouafa Bouchouata, ingénieur au département de l'Environnement. En complément de cet objectif, ce programme qui nécessite une enveloppe totale de 37 milliards de DH vise également à optimiser et professionnaliser la collecte des déchets ménagers pour atteindre un taux de 90%, ainsi qu'au développement de la filière de valorisation et de recyclage des déchets. Etant donné l'importance de ces ambitions et des investissements nécessaires à leur concrétisation, un partenariat entre l'Etat, les collectivités locales a été instauré en ce sens. Ainsi, ces dernières supporteront la majeure partie du budget, à hauteur de 73%. Quant à l'Etat, sa participation est d'environ 12,9%, dont le tiers est mobilisé grâce à la coopération internationale ou à des prêts internationaux. La Banque mondiale a d'ailleurs accordé au Maroc un prêt de 1,12 milliard de DH dans le cadre de son programme d'appui au PNGDM. Pour boucler le financement, des taxes et redevances seront instaurées dans le cadre de la loi 28-00, et qui contribueront à hauteur de 11,6% au budget du programme. Pour finir, les projets de décharges contrôlées seront intégrés dans le cadre des MDP (mécanismes de développement propre), qui découlent directement du protocole de Kyoto. Un tour de table qui témoigne de la hauteur des attentes, mais aussi des défis à relever pour permettre la réussite du PNGDM en 2023. Le facteur humain n'est pas en reste, puisque ce programme permettra de créer 18.000 emplois, avec pour ambition d'intégrer les récupérateurs dans le secteur formel. Bien que marginalisées, le rôle de ces petites mains n'est plus à démontrer. À titre d'exemple, une étude réalisée à Rabat-Salé avait révélé que ces personnes contribuaient à récupérer 10% des déchets ménagers de la ville. Ce qui représente tout de même 1.300 tonnes par mois, et donc une économie pour les services de collecte évaluée à plus de 16.000 DH par mois ! Le coût de la gestion déléguée Au Maroc, près de 50% de la population urbaine dispose d'un service de collecte des déchets ménagers dans le cadre d'une gestion déléguée. Si le gain qualitatif n'est pas négligeable comparé à une gestion communale, cette qualité se répercute directement sur le coût du service de collecte. En effet, ce dernier est passé d'une moyenne de 200 DH la tonne dans le cas d'une gestion directe à près de 400 DH par tonne en mode gestion déléguée. Ce coût est calculé de la façon suivante : 100 DH la tonne pour la partie investissement, et 300 DH pour l'exploitation. Le coût de la mise en décharge est quant à lui estimé à 100 DH la tonne (40 DH pour l'investissement et 60 DH pour l'exploitation). Concernant la réhabilitation des décharges, l'approche est différente, car elle touche l'intégralité de la population urbaine, estimée à 18 millions d'habitants. De plus, le coût de la réhabilitation est forfaitaire, mais il dépend du nombre d'habitants. Il est de 6 millions de DH pour une ville de moins de 100.000 habitants, et de 10 millions de DH si la population est comprise entre 100.000 et 300.000 habitants. Quant aux villes de plus de 300.000 habitants, le coût forfaitaire de la réhabilitation d'une décharge est estimé à 12 millions de DH. Dans la continuité de cette logique, le développement de la filière de valorisation des déchets ménagers bénéficie d'une enveloppe de 680 millions de DH, ce qui constitue 2% du budget total du PNGDM. «Le blocage des communes persiste»Hassan El Bari : Président de l'Association marocaine des déchets solides. Les Echos quotidien : Pourquoi est-il si difficile d'éradiquer les décharges anarchiques ? Hassan El Bari : Ces décharges sont censées être fermées ou regroupées. Or, nous constatons au Maroc le développement d'un véritable phénomène, plus connu à l'étranger sous le nom de «not in my backyard» (pas dans mon jardin, ndlr). En effet, il a été constaté que de nombreuses communes refusaient que de telles décharges soient établies sur leur territoire. Cela démontre l'existence de lacunes d'ordres organisationnel, institutionnel et de gestion, notamment en raison du chevauchement des rôles et responsabilités entre différents organismes. Ceci dit, le gros problème provient du volet RH. Il y a un manque de cadres techniques et de gestionnaires au sein de ces collectivités. Ce qui rend la situation d'autant plus urgente, c'est que ces cadres sont justement censés suivre et contrôler le travail des sociétés de gestion déléguée, et appliquer des pénalités en cas de nécessité. Que proposez-vous dans ce sens ? Compte tenu de cette carence, il serait judicieux d'impliquer des ONG ainsi que des universitaires dans ce contrôle, en leur qualité de représentants de la société civile. Pourtant la mise en place de processus de méthanisation reste encore chère... Oui et c'est le principal frein à leur développement, en plus de leur complexité. La méthanisation suppose un tri préalable des déchets ménagers, leur broyage et leur fermentation en anaérobie (absence d'oxygène). Pour compléter ce dispositif, il est nécessaire de mettre en place un filet de protection pour empêcher le lixiviat de pénétrer les nappes phréatiques, ainsi que des sondes pour aspirer le biogaz. Tout ceci est très coûteux. En fonction de sa taille, une installation de valorisation nécessite un investissement pouvant aller jusqu'à 20 millions de DH. Ainsi, pour qu'un projet de valorisation des déchets ménagers soit rentable, il faut que la décharge contrôlée accueille un minimum de 200 tonnes par jour. Ce qui nous renvoie à la même problématique de regroupement des décharges. Y a-t-il une alternative pour valoriser ces déchets à moindre coût ? Bien entendu, il y a le compostage des déchets ménagers. Au Maroc, les 20 dernières années ont vu un certain nombre de projets naître pour répondre à ce besoin. Pratiquement tous n'ont pas fait long feu en raison de l'hétérogénéité des déchets ménagers, encore une fois en l'absence de tri à la source.