Vous allez me trouver sans doute aujourd'hui bougon, effronté et cynique, mais, comme disait l'autre, on ne se refait pas. C'est vrai que je peux vous paraître parfois gentil, doucereux, «modéré» comme me le reprochent de temps en temps mes proches, mais, en vérité, je cache mon jeu. Au fond, je suis un vrai méchant. Mais pas le méchant-méchant qui n'aime personne et qui trouve un malin plaisir à taper sur tout le monde et, pour faire l'intéressant, à jeter son fiel sur tel et tel, d'une manière personnelle, surtout sur les gens de là-haut. Non, moi, je ne suis pas comme ça. D'abord, moi, j'aime tout le monde. Sauf, bien sûr, les gens que je n'aime pas, mais ils sont si petits, qu'ils ne comptent pas. Ensuite, les gens d'en haut qu'il m'arrive de chahuter, je pense qu'ils le méritent. De plus, il paraît qu'ils adorent ça. Ça doit flatter leur ego de gens pas «égaux» avec les autres. En d'autres mots, si on leur tape dessus, c'est parce qu'on leur en veut, et si on leur en veut, c'est par ce qu'on les envie. Et j'en viens – quelle astucieuse transition ! - à mon propos d'aujourd'hui. Justement, ces mêmes gens qui adoreraient se faire tabasser, sémantiquement parlant, par des petits coquins comme moi qui font les malins, ou par des plumitifs plus agressifs dont certains, me raconte-t-on, le font pour les plumer, ces hauts gens-là raffolent qu'on leur jette des fleurs, et qu'on dise, qu'on écrive, et même si on peut, qu'on chante, qu'ils sont les plus beaux, les plus intelligents, les plus riches, les plus élégants, les plus puissants, bref, les meilleurs. Et là, je veux dire ici, dans ce si beau et si gentil pays : ils sont servis. Il n'y a pas un jour, oui, j'exagère, bon, je vais dire, une semaine, où on ne voit pas dans des journaux et pas seulement les plus frileux, ou des magazines, et pas toujours les plus mielleux, qui consacrent des Unes et des couvertures entières à ce type d'étalage adulateur et de discours obséquieux. Que ces confrères me pardonnent ce lavage de crasse en public, mais je leur jure que mon but n'est pas de les vexer, ni, encore moins, de les blesser. Je voudrais juste, s'ils me le permettent - et même s'ils ne me le permettent pas, je vais le faire quand même – attirer leur attention sur le côté indécent et offensant de leur démarche. Car, franchement, quand on se permet, en toute présomption et en toute outrecuidance, de décréter, en toute impunité, qu'il n'y aurait que 100, 50, ou seulement 10 Marocains dans tout cet immense bled béni et maudit à la fois qui - c'est juste un exemple - «font bouger le Maroc». Et que ce sont ces 100, 50, ou seulement 10, rien que ceux-là, qui le font, et pas d'autres. Pas les autres ! Parfois, ils sont un peu plus précis sur le pedigree des heureux élus : «Les Fassis qui dirigent l'économie», «Les Berbères qui nous gouvernent» ou bien, la toute dernière, « Les Rbatis qui comptent». Et les autres ? Ceux qui ne sont ni Fassis, ni Berbères, ni R'batis, ni même riches, ils ne comptent pas ? Eux, les damnés, les condamnés à ne jamais être cités, sauf à comparaître, ils comptent pour du beurre ? Sincèrement, je préfère penser et j'ose espérer que derrière ces accroches redondantes et qui sont, à mon humble avis, sémantiquement stupides et moralement inacceptables, il n'y a aucune velléité sectaire ni tendance tribale chez ceux qui les balancent, mais seulement de la fumisterie intellectuelle pour ne pas dire professionnelle. Je peux comprendre qu'on veuille vendre à tout prix, mais qu'on soit, au moins, un peu plus imaginatifs. Tiens ! Pourquoi pas, la prochaine fois, un titre comme ça : «Les 30 millions de Marocains qui ne disent rien». À demain.