S'il y a quelqu'un qui a vraiment envie que ça change pour qu'on puisse enfin passer à autre chose, c'est bien moi. C'est simple : je n'en peux plus ! Vous vous rendez compte ? Je ne peux plus faire mon boulot comme avant. Je suis incapable d'écrire quoi que ce soit de drôle. Ah oui ! Je ne sais pas si vous le savez, mais je suis payé ici pour vous faire «marrer». Je ne suis pas le clown de service, mais je n'en suis pas trop loin. Mais, ce n'est pas grave, je le prends plutôt bien, puisque que c'est pour la bonne cause. Pourtant, comment voulez-vous que je vous fasse rigoler, alors que ça gueule, ça bougonne, ça râle et ça grogne partout. Bien sûr, je ne parle pas de nos amis tunisiens, égyptiens, bahreinis, ni, encore moins des valeureux Libyens, qui sont, tous, en train de donner une grande leçon d'audace, de résistance et de bravoure à tous les peuples du monde, y compris ceux des pays démocratiques ou se prétendant tels. Evidemment, je voulais parler du Maroc, le pays de toutes les exceptions, peut-être, mais aussi et surtout, de toutes les confusions. Avant, tout ça me faisait sérieusement marrer, surtout quand je voyais ou j'entendais tous ces gens si promptes à dégainer dès le moment où on prononçait le mot «changement» car, pour eux, il n'y rien à changer puisque, ici et maintenant, et d'ailleurs depuis la nuit des temps, tout est parfait. Le peuple élu dans le pays béni. Alors que demande le peuple ? Rien, messieurs-dames, puisque, vous l'avez dit, il a tout ! Ce n'est pas rigolo, ça ? De sacrés farceurs, que ces plaisantins-là ! Tout le monde se marrait sur le dos de tout le monde en se tapant sur le ventre. Certains en profitaient pour taper dans la caisse tout en nous racontant des blagues, et les plus austères se cognaient la tête en croyant qu'avec ça, ils finiraient par réveiller les esprits. Et moi, je rigolais sur tout ce monde et sur tout ça, même si, entre nous, je n'en pensais pas moins, mais sans plus. Seulement, voilà, aujourd'hui, on n'en est plus là, loin de là. Les choses auxquelles j'assiste aujourd'hui, comme vous, m'ont carrément sonné. Mieux, elles m'ont donné à réfléchir, ce qui ne m'arrive pas souvent. Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'on a l'impression que l'histoire, à force de somnoler, s'est réveillée soudain en sursaut, et s'est emballée, et personne, du plus malin au plus costaud, ici comme ailleurs, et ici encore plus qu'ailleurs, ne sait comment l'arrêter. Alors, au lieu de faire preuve d'humilité et, pour une fois, de se remettre en cause, nos malins et nos costauds à nous, se sont lancés dans la surenchère la plus stupide et la plus stérile qui soit. Et va que je te défende «la singularité de notre exception», que je te ressorte «la sécularité de nos institutions», que je te tartine sur «la sacralité de nos fondamentaux», qu'on te mette en garde contre «les ennemis de notre intégrité territoriale et de notre stabilité nationale» et j'en passe et des pires. Et tout ça, pourquoi ? Parce que des gamins boutonneux et imberbes ont eu la malicieuse et vicieuse idée de vouloir marcher pour crier, eux aussi, qu'ils ne veulent plus marcher. Jamais, de mémoire de billettiste qui en a vu d'autres, je n'ai vu autant de monde s'élever contre ce qui ne devait être, en définitive, pas plus qu'une petite balade pour faire entendre la voix des jeunes, et pourquoi pas, montrer peut-être la voie aux vieux. Vraiment, je ne comprenais pas pourquoi on était si frileux ! Ouais, c'est vrai, il y a ces «méchants» barbus et ces «voyous» radicaux qui sautent sur tout ce qui bouge et qui profitent de tout ce qui stagne, mais quand même, il ne faut pas exagérer. Et puis, pourquoi nous ressortir encore une fois cette litanie alors que, justement, ce qui vient de se passer ailleurs, leur a démontré par A plus B, que si ennemi il y a, il est là, chez nous, et il va sûrement se reconnaître. Enfin, pour finir, j'aimerais bien savoir qui a eu cette idée malvenue et malsaine de placarder partout toutes ces affiches géantes «Matkich Bladi», juste à la veille de cette fameuse marche pied-de-nez,comme si le pays allait connaître une attaque terroriste imminente. «37.000» (?!?) marcheurs, ça ne devrait quand même pas vous faire peur, messieurs ! Et puis, pourquoi vous déranger pour si peu ? En tout cas, vivement le changement et vivement vendredi prochain ! M.L