La traduction obligatoire en arabe de tous les documents présentés à la justice risque de «retarder la machine judiciaire». Le texte vise à éviter l'hypertrophie actuelle et veut créer des juridictions spécialisées en fonction du besoin. Adopté par la première Chambre, le projet de loi relatif à la réforme de l'organisation judiciaire risque de provoquer beaucoup de remous en cas d'adoption finale. En effet, différentes dispositions font l'objet d'une levée de boucliers, notamment de la part des avocats et autres huissiers de justice. La disposition la plus controversée est celle exigeant la traduction officielle en arabe de tous les documents présentés à la justice: documents comptables, états de synthèses... Si les traducteurs assermentés se frottent déjà les mains, les juristes spécialisés en droit des affaires ne voient pas la chose du même œil. Ils sont unanimes : les manœuvres dilatoires se multiplieront, et le nombre actuel de traducteurs (ainsi que leurs compétences) ne suffira pas à couvrir la demande colossale qui fera suite à l'adoption de la disposition. D'autant que la jurisprudence ne va pas dans ce sens. Si l'utilisation de la langue arabe est obligatoire dans la rédaction des plaidoiries et des requêtes délivrées au juge, les documents rédigés en langues étrangères peuvent être étudiés sans traduction si les juridictions disposent de la capacité de le faire. Le texte vise à faire du tribunal de première instance la pierre angulaire de l'édifice judiciaire Selon Mustapha Ramid, le texte vise à «mettre en place les fondements d'une organisation judiciaire fondée sur la spécialisation dans le cadre de l'unité de la justice, avec, au sommet, la Cour de cassation». Ainsi, le texte vise à faire du tribunal de première instance la pierre angulaire et éviter l'hypertrophie actuelle, qui se manifeste par la création de juridictions spécialisées dans des circonscriptions qui n'en ont pas réellement besoin. Il sera créé des sections de commerce spécialisées dans certains tribunaux de première instance en vue de connaître des affaires commerciales qui relèvent de la compétence des tribunaux de commerce. Les autres tribunaux de première instance demeurent compétents pour les affaires commerciales qui ne relèvent pas de la compétence exclusive des tribunaux de commerce. Des Chambres d'appel de commerce spécialisées seront créées dans les Cours d'appel en vue de statuer sur l'appel formé contre les jugements rendus par les tribunaux de commerce, autres que celui de Casablanca, et par les sections commerciales des tribunaux de première instance précités. La création des tribunaux administratifs dans les circonscriptions judiciaires sera elle aussi subordonnée au volume du contentieux administratif. Si ce dernier ne justifie pas la création de ces juridictions, des sections administratives spécialisées dans les tribunaux de première instance et des Chambres administratives spécialisées dans les Cours d'appel seront compétentes à connaître du contentieux administratif, outre les deux Cours administratives d'appel de Rabat et de Marrakech L'idée de subordonner la création des tribunaux spécialisés aux flux d'affaires ne fait pas l'unanimité Seulement, l'idée de subordonner la création des tribunaux spécialisés aux flux d'affaires ne fait pas l'unanimité. Les huissiers de justice, par la voie du Syndicat démocratique de la justice (SDJ) affilié à la Fédération démocratique du travail (FDT) et l'Association des barreaux du Maroc (ABM), s'inquiètent d'une «justice à plusieurs vitesses». Le bâtonnier de Casablanca explique la position de l'ABM: «Cette mesure peut avoir l'air d'une optimisation des ressources du ministère. Seulement, l'existence d'un tribunal de commerce et d'une juridiction administrative dans une région s'avère souvent indispensable, même si le nombre de procès est faible». Il prend ainsi comme exemple les registres de commerce ou encore les demandes de revalorisation des indemnités versées dans le cadre d'une expropriation. En effet, en l'espèce, la loi donne l'exclusivité aux tribunaux administratifs et commerciaux dans les deux procédures précitées. «Il s'agira donc de revoir également le projet de loi sur le code de procédure civile», conclut-il. Face à un tel scepticisme, une partie des parlementaires de la deuxième Chambre votera pour le renvoi du texte pour une deuxième lecture afin de le modifier. En effet, il ne faut pas oublier que la profession d'avocat est la mieux introduite dans les arcanes du Parlement, et le travail de lobbying a déjà commencé pour amender le projet de loi...