L'Etat n'a budgétisé que 2,1 milliards alors que la Caisse de compensation devra en supporter 7,5. Le pétrole était à plus de 53 dollars le baril le 24 avril, et il n'a pas dit son dernier mot. C'est du moins l'avis de nombreux experts qui n'excluent pas de voir le baril atteindre ou même dépasser les 100 dollars. Il s'agit, disent-ils, d'un phénomène structurel dont les déterminants sont désormais plus ou moins bien connus. Il y a la forte croissance mondiale (+ 5 % en 2004, ce qui n'est pas arrivé depuis 30 ans), les coûts d'exploration production de plus en plus élevés en raison de l'épuisement progressif des gisements faciles à exploiter et les incertitudes géopolitiques persistantes (au Moyen-Orient particulièrement). Conséquence de tout cela, une spéculation croissante qui fait que le « pétrole papier» en circulation représente sept fois plus que le « pétrole nature». Quid du Maroc ? Dépendant de l'extérieur pour ses approvisionnements à hauteur de 97 %, le pays se trouve dans une situation de plus en plus intenable. En 2004, la facture pétrolière se montait à 14,5 milliards de DH, contre 9,2 milliards en 2003. Sur les deux premiers mois de 2005, la valeur des importations de pétrole brut s'est élevée à 2,2 milliards de dirhams contre 1,5 milliard à la même période de 2004. Certes, il y a une hausse de 20,3 % en volume, mais elle est de 46,6 % en valeur ! A ce rythme, et sur la base d'un baril à 51 dollars seulement, le gap par rapport au prix de référence de 35 dollars retenu dans la Loi de finances 2005 serait de 16 dollars le baril, soit un déficit mensuel de 448 MDH. Sur l'année, le différentiel, pour la seule rubrique pétrole, se monterait donc à 5,4 milliards de DH. Et ce n'est pas fini : la hausse du cours du brut, il faut le savoir, produit un effet multiplicateur sur les autres sources d'énergie, comme le gaz par exemple, dont le prix est indexé sur celui du pétrole. C'est ainsi que de 230 dollars en 2003, la tonne de gaz atteint aujourd'hui quelque 400 dollars, soit un différentiel annuel de 2 milliards de DH, à raison de 170 MDH par mois. Entre le pétrole et le gaz, le montant à supporter est donc de 7,4 milliards de DH. Comme ces hausses ne sont pas répercutées sur le consommateur, c'est donc à l'Etat, à travers la Caisse de compensation, de les prendre en charge. Or, l'Etat n'a budgétisé que 2,1 milliards de DH au titre de la compensation des produits pétroliers. Mais ces 2,1 milliards suffisent à peine à payer les arriérés dus aux sociétés pétrolières au titre de 2004. Que faire ? Répercuter les prix à la consommation ? La conjoncture s'y prête mal, très mal même. L'agriculture est sinistrée et l'industrie minée par la concurrence étrangère. L'augmentation des prix aurait un impact non seulement sur les charges des entreprises (fuel, carburant pour le transport), mais ralentirait à coup sûr la consommation. Car il faudrait alors augmenter le gasoil de 1,42 DH le litre et l'essence de 0,60 DH, selon des calculs établis par les services du ministère des Finances. «Une augmentation est à mon sens exclue, du moins dans le court terme», assure un responsable gouvernemental. Quant au gaz butane, il vaut mieux ne pas en parler : s'il fallait instaurer la vérité des prix, la bouteille de 12 kg, cédée à 40 DH aujourd'hui, en coûterait 30 de plus ! Energies renouvelables et économie d'énergie, une nécessité Mais le constat ne suffit pas ; encore faut-il s'en servir pour réfléchir à des solutions alternatives. Experts indépendants, hauts fonctionnaires et chefs d'entreprises s'étonnent en tout cas que la hausse des prix du pétrole n'ait pas été saisie pour enclencher un grand débat sur la problématique de l'énergie au Maroc. «Il est absolument indispensable aujourd'hui de marquer une halte pour faire le bilan de ce qui a été réalisé et en tirer les conséquences, afin de mettre en place une stratégie énergétique au service de la croissance économique et, plus encore, du développement du pays», suggère un haut fonctionnaire. Tout en admettant que des efforts ont été réalisés dans le domaine des énergies renouvelables, notre interlocuteur ne comprend pas que le Maroc fasse moins, sur ce plan, que la Tunisie par exemple (qui dispose pourtant de ressources pétrolières, certes modestes) ou que les autres pays du pourtour méditerranéen. Ce qui irrite encore plus les connaisseurs des problèmes énergétiques, c'est l'absence d'organisme dédié à l'économie d'énergie, dans un pays importateur à presque 100 %. «Lors d'une rencontre à Athènes, il y a déjà dix ans, tout le monde s'étonnait que le Maroc soit le seul pays, parmi les présents, à ne pas disposer d'une structure d'économie d'énergie», raconte un participant. «Quand on sait que la cogénération, pour ne parler que de cela, permet des rendements qui dépassent parfois les 80 %, alors que la production d'électricité, seule, a un rendement qui n'est généralement pas supérieur à 50 %, il y a de quoi se poser des questions sur l'absence d'encouragement pour cette technique, pourtant largement éprouvée ailleurs», tonne un industriel. Plus généralement, il est aujourd'hui prouvé – et admis par beaucoup – que les solutions aux problèmes auxquels fait face le Maroc sur ce plan, sont à rechercher à la fois dans les énergies renouvelables, les économies d'énergies et, c'est incontournable, dans l'intégration régionale .