Bousculés par les importations, les industriels se livrent à une guerre des prix pour conserver leurs volumes. Acier, plastique, aluminium, les matières premières flambent et les marges se réduisent. La consommation est en recul en raison de la mauvaise campagne agricole. Le plastique, les IMME, la confiserie et l'électroménager souffrent. Dans l'industrie, les opérateurs économiques sont inquiets. L'exercice 2005 semble avoir très mal démarré. De sources concordantes, le tissu industriel baigne dans la morosité depuis janvier. Des banquiers confirment ce constat. En l'absence de chiffres définitifs concernant le 1er trimestre, les analyses des uns et des autres, telles que les a recueillies La Vie éco, laissent en effet transparaître une réelle fébrilité. Les raisons évoquées vont de la baisse de la demande, sur le marché local notamment, à la hausse des coûts des intrants, dont les matières premières, en passant par la concurrence féroce de produits étrangers et la contrebande. Sur le marché intérieur, l'heure est assurément à la guerre des prix. Les entreprises de divers secteurs ont dû revoir à la baisse leurs ambitions pour pouvoir continuer à faire du volume. Résultat : la croissance en termes de chiffre d'affaires est à peine maintenue, celle du volume étant atténuée par la baisse des prix. L'industrie de l'emballage et du carton étant en amont des autres industries est, à ce titre, un excellent indicateur. Hicham Kadiri, membre du directoire du groupe CMCP, leader dans la production de carton et papier, résume ainsi la situation : «Selon les chefs d'entreprises avec lesquels nous sommes en contact, il y a une baisse de prix, motivée par la nécessité de continuer à faire du volume. Globalement, on peut dire que le premier trimestre est très moyen». Sans parler du textile dont les ventes ont baissé de 33% en janvier, M. Kadiri évoque également le secteur de la chaussure qui a réduit ses commandes d'emballage de 40% ou encore, plus révélateur, celui des fabricants de produits de grande consommation, qui se plaignent d'un marché de plus en plus «difficile». La baisse des prix n'est donc pas étonnante. Le directeur marketing d'une grande entreprise spécialisée dans la fabrication d'articles et appareils électriques révèle que son entreprise, qui bénéficie pourtant d'une grande notoriété sur la place, a dû, elle aussi, baisser ses prix pour s'aligner sur la concurrence étrangère. «2005 s'annonce dure», conclut-il. Le quatuor infernal : Chine, Emirats, Turquie et Egypte Cette guerre des prix s'explique, selon la majorité de nos interlocuteurs, par deux facteurs qui ont agi concomitamment. Le premier, d'ordre structurel, est que le marché local est très étroit. Par conséquent, l'entreprise n'a le choix que d'agir sur le prix pour maintenir ses parts de marché. Cela est d'autant plus vrai quand de nouveaux concurrents, et pas n'importe lesquels, arrivent. Outre les produits asiatiques, ceux de pays comme l'Egypte et la Turquie déferlent sur le marché à des prix défiant toute concurrence. «Quand un produit se vend 40% moins cher que le vôtre, comment s'en sortir ?», lance, dépité, un industriel de la chocolaterie. Avec la biscuiterie, cette activité a subi de plein fouet le contrecoup des importations. Obligés de comprimer au maximum leurs marges pour ne pas sombrer, les industriels multiplient les lancements de petits bonbons et chocolats à 20 centimes. Le problème de la concurrence des produits étrangers à bas prix est également souligné dans les IMME, notamment la coutellerie et la fabrication des ustensiles de cuisine. Taoufik Bouzoubaâ, DG de la société Pechiney-MMA, s'attend à une année 2005 encore plus difficile que 2004, sachant que, pour cette dernière, «les ventes avaient déjà chuté de 10% par rapport à 2003». Entre autres explications avancées par M. Bouzoubaâ, l'impact d'une mauvaise année agricole, certes, mais également, et à l'image de ses confrères, la concurrence de produits importés de Chine et d'Egypte et le phénomène de la sous-facturation. Cela dit, si les produits étrangers, chinois notamment, affichent des prix «cassés», ils ne sont pas toujours de mauvaise qualité. Abdeljalil Lahlou, DG de Radelec, fabricant des produits Sierra, est convaincu que «contrairement à ce que l'on pense, les Chinois fabriquent de plus en plus de produits de qualité mais à des prix défiant toute logique économique, puisque les composants sont souvent achetés chez les mêmes fournisseurs». Conséquence : même si l'électroménager est un marché en pleine expansion au Maroc, les prix sont résolument orientés à la baisse. «Depuis le début du démantèlement douanier, cette baisse a été de 15 % en moyenne et n'est pas près de s'arrêter», estime le DG de Radelec. Le prix du plastique a augmenté de 70% Cette politique de baisse des prix n'est pas toujours possible puisque, en dépit de la réduction des marges, il faut faire un effort sur les coûts de production, ce qui n'est pas toujours possible, surtout quand on achète des matières premières sur les marchés internationaux. L'aluminium, l'acier ou encore le plastique ont flambé, poussant les industries à se serrer davantage la ceinture. Abdellatif El Hardouzi, directeur commercial de la société Ifplast (produits en plastique destinés au marché de l'automobile, dont les pare-chocs et les pièces esthétiques, caisses, jerrycans, emballages…), affirme à ce titre que son entreprise a subi de plein fouet la hausse des prix de la matière première en 2004. Une hausse estimée à 70 % par Mamoun Marrakchi, président de l'Association marocaine de la plasturgie (AMP). Les fabricants d'ustensiles de cuisine, quant à eux, ont eu à faire face à une hausse de 8 à 9 % des cours internationaux de l'aluminium, leur principale matière première. Pourtant, les produits concurrents provenant de Chine, d'Egypte ou de Turquie subissent aussi cette hausse des prix des matières premières. Pourquoi alors sont-ils plus compétitifs que les produits marocains ? Le président de l'Association des biscuitiers, chocolatiers et confiseurs (AB2C), Hakim Marrakchi, apporte une réponse toute simple. «Notre secteur, explique-t-il, importe une bonne partie de ses intrants en payant des droits de douane élevés afin de protéger la production locale, alors que, par exemple, des produits en provenance des Emirats Arabes Unis sont fabriqués à partir d'intrants détaxés et exportés vers le Maroc sans droits de douane». Huile de table, dentifrice, shampoing… ne sont pas épargnés Le patron d'une autre entreprise, spécialisée dans la fabrication de chocolat, va plus loin, dénonçant les aberrations du système. «Les matières comme le sucre, les graisses végétales, le lait en poudre, explique-t-il, sont taxées à des taux allant jusqu'à 200%, alors que les produits finis importés le sont avec des droits de douane nuls, ou en sous-facturation. Résultat, ils sont moins chers de 40 %. Et même si les accords de libre-échange ne sont pas encore entrés en vigueur, beaucoup de produits aujourd'hui importés sont totalement exonérés de droits de douane dans le cadre des contingents accordés par le Maroc». Cela dit, la morosité ne semble pas généralisée puisque, outre l'agroalimentaire, certains secteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu. C'est le cas des BTP et, plus généralement, des industries liées au bâtiment et à la promotion immobilière. Il n'empêche que, même dans ce secteur, la menace étrangère est réelle puisque les entreprises marocaines de BTP sont, de plus en plus, concurrencées par des sociétés turques, chinoises et même italiennes. On l'a vu récemment avec les grands chantiers autoroutiers ou encore avec le grand chantier de la Sonasid à Jorf Lasfar, remporté par une entreprise italienne qui, pour la réalisation du projet, a fait venir près de 500 ouvriers de Thaïlande ! Faut-il pour autant mettre tous les déboires de l'industrie sur le compte de la concurrence étrangère ? Certes non, le manque de compétitivité est aussi le résultat de l'échec de la mise à niveau, mais il y a d'autres facteurs aggravants.Les importations en sont un, mais la baisse conjoncturelle de la consommation aggrave encore la morosité. Dans de nombreux secteurs, les opérateurs font état d'une stagnation sinon d'un recul de la demande des ménages durant ce premier trimestre 2005. Cette situation est d'autant plus inquiétante qu'elle touche même les produits de grande consommation comme les huiles de table, les cosmétiques, les shampoings, les appareils électroménagers et même les chocolats et la confiserie. Selon le DG d'une des plus grosses huileries du Maroc, la demande n'est pas en baisse, mais la hausse est très modérée. «Alors que nous tablions sur une bonne année, le premier trimestre n'a pas été bon. D'habitude, quand la production d'huile d'olive est faible, nous profitons de l'effet de substitution, mais là… Il y a une baisse de la consommation et non pas une redistribution des parts de marché», détaille-t-il. Le responsable merchandising d'une société de produits d'hygiène corporelle affirme avoir de plus en plus de mal à placer ses produits, pourtant de marques très connues. «D'habitude, la hausse moyenne des ventes selon les produits se situe entre 5 et 10%, explique-t-il, mais cette année, elle atteint à peine les 3% et touche aussi bien les dentifrices que les shampooings ou encore le savon». Pour Abdellatif El Hardouzi, directeur commercial de la société Ifplast, elle aussi affectée par une baisse des commandes d'emballages plastiques émanant de ses clients, «les entreprises consommatrices d'emballages sont elles-mêmes touchées par la baisse de la consommation des ménages». Les anticipations d'une mauvaise année agricole sont patentes ! Avis de tempête donc sur l'industrie. Tout le problème est de savoir si le mauvais temps est conjoncturel ou pas ? Plusieurs chefs d'entreprises estiment qu'il s'agit de tendances de fond. Khalil Azzouzi, cadre supérieur d'une banque de la place spécialisée dans le marché des entreprises, pense pour sa part que le marché intérieur est trop étroit et ne peut, par conséquent, supporter un nombre indéfini de compétiteurs. La croissance de la demande ne dépassant guère 3 % par an, dans le meilleur des cas, l'arrivée de tout nouveau concurrent se fait inévitablement au détriment des autres. Et c'est ce qui explique, d'après lui, l'actuelle guerre des prix. Un sentiment que beaucoup partagent. Ils n'hésitent pas à parler de disparition pure et simple de certaines industries comme l'électroménager, l'imprimerie ou encore d'une sélection naturelle dans d'autres. Des banquiers contactés par La Vie éco citent pour leur part d'autres secteurs auxquels ils font de plus en plus attention comme le textile (toutes filières confondues), le bois, la chaudronnerie, la carrosserie surtout pour les poids lourds, la plasturgie, le papier et le carton… L'ajustement a commencé et les années à venir ne seront pas de tout repos.