Le taux débiteur global est à plus ou moins 6%, alors que l'inflation dépasse à peine 1% sur les cinq dernières années. Le chômage stagne à 9% depuis 2009. Le Maroc, un des rares pays parmi ceux en développement à avoir une faible inflation. La Banque centrale, qui tient son conseil de politique monétaire la semaine prochaine, décidera-t-elle d'abaisser son taux directeur, actuellement fixé à 3% ? Oui, elle devrait le faire si l'on part du principe que le taux de refinancement des banques est principalement déterminé par le niveau de l'inflation. Car l'indice des prix à la consommation, comme le montrent les statistiques du Haut commissariat au plan (HCP), a très faiblement varié : +0,3% sur les sept premiers mois de l'année, au lieu de 1,9% sur la même période de 2013. L'inflation alimentaire, qui représente l'essentiel de la hausse de l'indice depuis 2011, est même redevenue négative : -1,2%, contre +2,4% sur les sept premiers mois de 2013. Sur l'ensemble de l'année 2014, l'inflation, selon Bank Al-Maghrib (BAM), devrait s'établir à 0,9% et en 2015 à 1,3%. D'aucuns, beaucoup même, pourraient contester ces chiffres en mettant en avant, comme toujours, leurs situations particulières (l'inflation ressentie), mais c'est une autre histoire. Jusqu'à preuve du contraire, les statistiques officielles sur ce sujet sont celles produites par le HCP. Plus généralement, et comme chacun a pu le constater, la crainte de déflation en Europe, principal partenaire commercial du Maroc, est telle que la Banque centrale européenne (BCE), malgré quelques hésitations, a dû opérer deux baisses de son taux directeur en l'espace de trois mois : à 0,15% en juin, puis à 0,05% à partir du 4 septembre. Au Maroc, on ne peut pas parler de déflation pour au moins une raison simple: pour en parler, il faudrait connaître l'inflation cible, ou l'objectif (chiffré) d'inflation cherchée. Or, ceci n'existe pas. BAM estime que les prix sont stables quand ceux-ci varient de 0,9%, de 1,3% ou de 1,5%… Si un objectif de 2% ou de 3% d'inflation avait été fixé, on pourrait à ce moment-là apprécier le rythme de variation des prix ; et vu la situation actuelle, et même passée, on parlerait alors au minimum de désinflation. L'argent coûte plus cher que les biens et services Il faut tout de même rappeler que ces cinq dernières années (2009-2013), l'inflation en moyenne dépasse à peine 1%, au lieu de 2,4% les cinq années précédentes (2004-2008). Et jusqu'à la fin de 2015, cette valeur (1,1%) devrait se maintenir à son niveau actuel. Est-ce une situation de désinflation? La question, curieusement, rares sont ceux qui se la posent. Et si on la pose ici, c'est pour observer qu'entre le taux directeur (3%) et le taux d'inflation depuis cinq ans, il y a tout de même une sacrée différence. Et en réalité, l'écart est encore plus grand quand on sait que les banques ne se refinancent pas en totalité à hauteur de 3%, puisque une bonne partie de leurs ressources (près de 60%) est gratuite. On peut interpréter cette situation comme étant celle où, toutes proportions gardées, l'argent coûte plus cher que les produits et services commercialisés. Cela semble d'ailleurs corroborer l'idée qu'au Maroc l'inflation d'origine monétaire n'existe pas. Et le fait que le dirham reste une monnaie forte, indépendamment des évolutions que connaissent les autres agrégats macroéconomiques, est un autre indicateur d'une inflation plus que maîtrisée. Il ne faut cependant pas se méprendre : l'inflation au-delà d'un certain seuil (lequel?) est ruineuse, et il ne s'agit pas ici de prêcher pour cette orientation. Seulement voilà : quand ceux qui «vendent» de l'argent gagnent infiniment plus que ceux qui vendent des biens et des services, la conclusion coule de source : il vaut mieux être épargnant, donc rentier, plutôt que producteur. Car, c'est bien connu, une inflation faible profite davantage aux prêteurs qu'aux emprunteurs, donc aux investisseurs (productifs, bien entendu). Le fait que le taux de chômage stagne à plus ou moins 9% depuis cinq ans maintenant est probablement une des conséquences de cette situation ; les entreprises n'anticipant pas une forte demande qui résulterait d'une hausse des prix, donc de l'inflation, et par conséquent ne recrutent pas assez. BAM, qui n'ignore rien de cette relation inflation/chômage, se décidera-t-elle à réviser à la baisse son taux directeur, sachant que celui-ci influence les taux d'intérêt pratiqués par les banques ? Car, pourquoi celles-ci continueraient-t-elles de prêter à 6% (taux global) quand l'inflation est inférieure à 1% ? On pourra valablement rétorquer que si les taux baissaient, les crédits repartiraient à la hausse, la demande augmenterait, le dirham se déprécierait, et bonjour l'inflation. L'expérience (celle dite des «Trente glorieuses» en particulier) a montré que, jusqu'à un certain point, un tel scénario n'est pas forcément mauvais. C'est donc finalement une affaire de dosage, mais il est bien vrai que c'est plus facile à dire qu'à faire. Il est néanmoins assez curieux de constater que dans pratiquement l'ensemble des pays comparables au Maroc, l'inflation est supérieure à celle du Royaume. On ne peut pas dire pour autant que l'économie marocaine est la plus compétitive de toutes; elle perd même des parts de marché à l'international.Reste une inconnue : si la Banque centrale ramenait son taux directeur à 2,75% ou à 2,50% par exemple, est-ce que les banques suivraient le mouvement ? Notons simplement qu'ici comme ailleurs, les banques éprouvent généralement de l'aversion pour l'inflation et, suivant leur logique propre, elles n'ont pas tort !