une cité coquette, petite mais mieux pavée que la métropole et dont la propreté est à faire rougir cette dernière. Au-delà de la blancheur des murs, ce qui retient l'attention, c'est l'extrême civilité de ses habitants dont l'hospitalité n'est pas un slogan mais une culture, l'art de recevoir y étant une tradition Je l'avoue en toute humilité, je ne connaissais pas Bejaad. Je ne connaissais rien de la cité, rien de la richesse de son histoire qui lui a valu d'être prénommée la ville aux mille et un saints. Quand il m'a fallu m'y rendre pour la 4e édition de l'évènement culturel Come to my home organisé par la Fondation cultures du monde (FCM), ce fut sans grande conviction. Drôle d'idée que ce choix ai-je pensé. Car, pour l'ignorante que j'étais, Bejaad apparaissait comme un bourg dénué d'intérêt, brûlé par le soleil et gorgé de poussière. Aussi, quelle n'a été ma surprise en découvrant une cité coquette, petite mais mieux pavée que la métropole et dont la propreté est à faire rougir cette dernière. Au-delà de la blancheur des murs, ce qui retient l'attention, c'est l'extrême civilité de ses habitants dont l'hospitalité n'est pas un slogan mais une culture, l'art de recevoir y étant une tradition. Alors, bien sûr, après ce passage éclair, j'ai lu, appris, découvert le passé de cette petite bourgade de 40 000 habitants, son passé de centre spirituel majeur, prisé par les voyageurs en quête d'enseignement religieux. Sa tradition de haut lieu de culture avec des étudiants plus doués qu'ailleurs, certaines des plus éminentes personnalités du pays, parmi lesquelles les oulémas, en étant issues. Du coup, le choix de Come to my home prenait tout son sens. Surtout, il était de ceux qui permettaient de renouer avec un Maroc encore fidèle à lui-même et qu'une modernité mal comprise n'aurait pas trop amoché. C'est cela, en effet, le sentiment premier éprouvé en arrivant dans cette ville. Le calme et la sérénité ambiante, la disponibilité et l'attention de vos hôtes que l'on sent heureux des échanges proposés, tout cela fait un bien fou. Le concept de Come to my home, celui de recevoir l'autre chez soi pour produire ensemble des fulgurances artistiques s'adapte comme un gant au lieu. D'où des moments de partage magnifiques, de ces instants parfaits qui vous apaisent et vous réconcilient avec la vie. Ainsi de ce spectacle «Poèmes du monde», clou de l'édition auquel ont pris part une quinzaine d'artistes de tous les continents et qui se tint à Dar Chabab, face à un public composé de familles et de jeunes. Des Bejaadis pour l'immense majorité car Bejaad n'ayant ni la notoriété de Marrakech ni celle de Fès ou même d'Essaouira, peu de festivaliers d'ailleurs ont jugé bon de faire le déplacement. Pourtant, ce qui fut donné de voir et à entendre au cours de cette escale à Bejaad a été de toute beauté. Surtout ce vendredi, sur la scène de Dar Chabab où, magistralement déclamés par Driss Alaoui Mdaghri, le président de la FCM, des textes indous, d'autres tirés de la Kabbale, du Cantique des Cantiques, de la Divine Comédie de Dante, de poèmes soufis de Hallaj, Roumi et Ibn Arabi sans oublier l'incomparable Khalil Jabrane ont transporté le public au cœur de la plus belle des humanités. Il faut dire qu'outre la manière dont ils étaient dits, ces poèmes étaient merveilleusement servis par la musique, le chant et la danse. Sous la direction du complice de Driss Alaoui Mdaghri, le chanteur sénégalais Badara Seck, incroyable personnage dont la voix et la «pêche» tireraient les morts de leur sommeil éternel, une quinzaine d'artistes de tous les continents se sont donné sans compter. Qu'il s'agisse de Jasmine, la danseuse indienne, de Farzaneh Joorabchi, la chanteuse iranienne, de Thomas Vahle, le flutiste américain, de Rashmi, le percussionniste indien, d'Erika Scorza, la chanteuse italienne ou encore de la Malaisienne Jacelyn Parry, chaque prestation était une offrande. Et c'est ainsi qu'elle était reçue par un public transporté et surtout heureux, de cette joie qui allège les cœurs et irradie les visages. Alors, bien sûr, il y eut des déçus, tous ces jeunes bloqués à la porte et qui ne purent pas rentrer dans la salle faute de place. Car, sans doute parce que celle-ci est inscrite dans les gènes, on est assoiffé de culture à Bejaad. Revenez, nous ont-ils dit, revenez encore. Et, surtout, s'il vous plaît, dites que nous n'avons pas de théâtre, pas un seul dans toute la ville. Et que nous en voulons un.