Les projets immobiliers poussent comme des champignons et menacent parfois de ruine de précieuses bà¢tisses. On ne compte plus les cadavres de monuments qui jonchent le sol de Casablanca, sacrifiés sur l'autel de l'immobilier débridé. Dernier assassinat en date, celui du Piot-Templier, majestueux immeuble Art déco et néo-mauresque signé Pierre Ancelle en 1925, rasé en juillet 2011. Aujourd'hui, c'est un bâtiment banal, du prêt-à-habiter sans âme qui se construit sur ses décombres et qui risque de défigurer tout le quartier. Car détruire ne serait-ce qu'un bâtiment, surtout dans cet arrondissement de Sidi Belyout, revient à saccager un alignement architectural extraordinaire, «avec d'un côté l'immeuble de La Vigie Marocaine de Marius Boyer, de l'autre le petit Bessoneau d'Edmond Brion et l'hôtel Lincoln de Bride. En face, le Marché central de Pierre Bousquet», se désole Abderrahim Kassou, architecte et président de l'association Casamémoire. «Il ne s'agit pas de la perte d'un édifice, mais d'une cassure irréparable de cet ensemble urbain continu et cohérent, unique au monde». Avant le Piot-Templier, des pans du patrimoine architectural moderne de Casablanca ont été anéantis par les pelleteuses. «Théâtre municipal, Arènes, Cinéma Vox, Villa Mokri, Cadet, Benazaref, altérations des quartiers et ensembles Gauthier, Racine, boulevards d'Anfa, Moulay Youssef, Massira Al Khadra…», inventorie le site Internet de Casamémoire, qui conclut par ce navrant état des lieux : «Malheureusement, ces bâtiments n'apparaissant pas encore comme un atout ni pour le développement du tourisme culturel ni pour la mémoire collective des habitants». Pourtant, entre les propriétaires désireux de détruire ces bijoux patrimoniaux pour en faire des projets immobiliers et les Casablancais désireux de les sauvegarder, il devrait y avoir des compromis. «C'est assez souple si c'est fait de manière intelligente par des professionnels compétents et honnêtes, assure Abderrahim Kassou. Une surélévation peut être autorisée, permettant au propriétaire de se retrouver économiquement, et à la ville de garder une cohérence précieuse. C'est certes plus compliqué, mais il y a suffisamment de professionnels compétents au Maroc pour le faire». Moralité ? Un plan patrimoine est nécessaire. Il serait chapeauté, propose Casamémoire, par «un organisme centralisateur des études et des décisions, relayé au niveau communal, piloté par la municipalité et la wilaya, dans lequel on devra trouver comme acteurs principaux : l'Agence urbaine, le ministère de la culture, le ministère du tourisme et la société civile».