une pelleteuse a éventré la bà¢tisse néo-mauresque, sacrifiée pour faire de la place à un projet immobilier. L'association Casamémoire crie au scandale. Au chevet du bâtiment moribond, une centaine de Casablancais se penchent, la gorge serrée. Par terre, un chorégraphe se tord de douleur, sous les yeux stupéfaits des ouvriers. «Baraka ?!» (Ça suffit !), hurlent des affiches placardées sur la clôture du chantier. «Vendredi 15 juillet, un coin de la façade était déjà attaqué au marteau», soupire Abderrahim Kassou, le président de l'association Casamémoire. «En y regardant de plus près, nous avons, à notre grand désespoir, réalisé que la démolition avait commencé en catimini, à l'intérieur de l'édifice, depuis au moins une semaine». Un énième coup dur pour Casamémoire, qui, depuis le saccage il y a seize ans de la Villa Mokri de l'architecte Marius Boyer, s'échine à sauver le patrimoine du XXe siècle. «Et dire que des gens planchent sur un volumineux dossier technique pour qu'un jour Casablanca ait une chance de postuler au patrimoine mondial de l'UNESCO. Un labeur de plusieurs années, peut-être parti en fumée après cette démolition. Les bras m'en tombent», se plaint l'architecte-militant. La colère s'épanche aussi sur Facebook. «C'est une honte, une tragédie. C'est toute l'histoire d'une ville qu'on anéantit», explose Youssef. Mohamed dénonce, lui, des élus inaptes, une gestion publique calamiteuse. Les internautes tirent à boulets rouges sur le maire de Casablanca.  Le maire de Casablanca incriminé Rappelons qu'après avoir été menacé, en janvier 2011, par une décision du tribunal administratif, le Piot-Templier a échappé aux coups de godet grâce à un salutaire arrêté, signé par Khalid Safir, à l'époque gouverneur de la préfecture de Casablanca Anfa. Les amoureux du patrimoine respirent de soulagement, mais l'accalmie ne dure pas bien longtemps. En mars, c'est le coup de massue. Mohamed Sajid valide le permis de démolir exigé par le propriétaire de l'immeuble, au mépris de l'arrêté préfectoral et d'une procédure en cours pour inscrire la bâtisse sur la liste des monuments historiques à protéger. Mardi 19 juillet, Abderrahim Kassou, nous apprend, bulletin officiel à l'appui, que le bâtiment a bel et bien été classé patrimoine national en février 2011, soit quatre mois avant la signature du permis de démolir. «Encore un bel exemple de la cohérence des décisions de justice dans ce pays, de la qualité de la gouvernance locale et de l'efficacité des procédures administratives de protection», ironise l'architecte. Avant la destruction de ce bijou néo-mauresque et Art déco, souvenez-vous, c'est la défunte Villa Cadet, dernier chef-d'œuvre de l'architecture domestique néo-marocaine, qui, en septembre 2010, a succombé sous les coups des pelleteuses, au quartier Oasis. Aujourd'hui, la crainte concerne une bonne partie des immeubles formant l'épine dorsale du boulevard Mohamed V. Outre le Piot-Templier, édifié en 1925 par l'architecte Pierre Ancelle, il y a aussi l'hôtel Lincoln qui part en lambeaux, le petit Bessoneau et les immeubles de la Bourse et de la Vigie marocaine, sans compter le marché central. Les militants exigent un Plan Patrimoine «Le plus dramatique pour le cas de l'immeuble Piot-Templier, tempête l'architecte Adam El Mahfoudi, c'est qu'on ne perd pas seulement un bâtiment d'une valeur inestimable. C'est tout l'ordonnancement architectural du boulevard Mohammed V, si représentatif de l'architecture des années 1920, qui en prend un coup». Le président de Casamémoire acquiesce : «Il est important de sortir du prisme du bâtiment. Ce qui est unique au monde et qu'il faut impérativement préserver, c'est la cohérence urbaine du tissu. C'est l'ensemble d'édifices qu'il faut préserver en tant que tel. J'entends par là que l'on doit, non pas figer ces monuments, mais y intervenir de manière intelligente et responsable». Sur son site Internet, l'ONG de défense du patrimoine propose, entre autres, de créer des zones protégées, d'instaurer un moratoire sur les nouvelles autorisations de construire au centre-ville, et de surveiller les permis de démolir. En somme, la mise en place d'un véritable Plan Patrimoine. «Casamémoire fait de la veille et de la sensibilisation, insiste Abderrahim Kassou. Ce n'est pas à nous de délivrer des permis de démolir ou de construire. Notre rôle n'est pas non plus de mettre en place les outils juridiques de protection du patrimoine. Il faut identifier les responsabilités, de manière à ce que chacun fasse son travail proprement. Ce qui s'est passé le week-end dernier est très grave. Cela dénote d'un important dysfonctionnement».