Quatre affaires dans lesquelles sont cités ou impliqués des parlementaires sont actuellement en cours d'instruction ou de jugement. En 2010, une trentaine de parlementaires ont été cités dans des affaires en justice. Depuis 1962, un seul cas de levée de l'immunité a été validé par le Parlement. Jeudi 28 avril, la Cour d'appel de Salé devrait entamer l'examen, en appel, l'une des affaires qui a suscité le plus de débat ces dernières années, celle de la MGPAP (Mutuelle générale du personnel de l'administration publique). Cet intérêt réside principalement dans la qualité de parlementaire de l'un des principaux mis en cause, le président de son conseil d'administration. Ce dernier, Mohamad El Farraâ, a été condamné, début avril, en première instance, à une peine de prison de 4 ans dont 30 mois avec sursis. Pourtant, le député d'Essaouira n'en continue pas moins de mener ses activités de parlementaire et de membre de la commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme. A l'instar de ses pairs, il apporte son avis et propose des amendements aux textes de loi présentés devant la commission. Pour le citoyen lambda, il s'agit là d'une provocation. Légalement pourtant, la position du concerné ne constitue en rien une infraction à la loi. Et pour cause, explique Abdelwahed El Ansari, juriste et député istiqlalien et vice-président de la commission, «le député reste innocent tant que sa condamnation n'est pas déclarée définitive et irrévocable. En d'autres termes, il faudra attendre la décision de la cour d'appel, saisie par la défense de l'accusé et, ensuite, le jugement en cassation -si pourvoi il y a- avant que ne soit levée cette ambiguïté». L'affaire, quoique n'ayant pas de lien directe avec le concept de l'immunité parlementaire, remet à l'ordre du jour le débat sur la question. Le député d'Essaouira, Mohammad El Farraâ, élu sous la bannière de l'alliance de la gauche démocratique et qui a «flirté» un certain temps avec l'Istiqlal avant de rejoindre le parti libéral, n'est d'ailleurs pas le seul élu à être mêlé à une affaire en justice. Deux autres députés et un conseiller de la deuxième Chambre sont cités dans des affaires liées à la dilapidation des deniers publics et de détournement de fonds, actuellement en cours d'instruction. Il s'agit des députés de Salé, Noureddine Lazrak (RNI) et Driss Sentissi (MP) et de Mohamed Karimine, conseiller de l' Istiqlal, qu'il a quitté il y a quelques mois, et actuel président de la commission des finances à la deuxième Chambre. Une protection, oui, mais pas un privilège En 2010 et selon des statistiques non officielles, des parlementaires ont été cités dans plus d'une trentaine d'affaires en justice. Des sources du ministère de la justice parlent de 36 cas liés principalement à l'émission de chèques sans provision et à la dilapidation des deniers publics. Dans l'ensemble de ces cas, la direction des affaires pénales du ministère de la justice aurait, selon les mêmes sources, reçu des demandes du parquet d'activer la procédure de levée de l'immunité, mais rien n'a encore été fait. Pour le cas d'El Farraâ et des trois parlementaires concernés à l'heure actuelle, bien que la presse en ait fait état, la procédure n'a pas non plus, officiellement, été engagée. C'est du moins ce que précisent des sources auprès des bureaux des deux Chambres du Parlement. «A ma connaissance, aucune demande de levée d'immunité concernant Mohammad El Farraâ n'a été soumise au Parlement à ce jour», confirme Abdelwahed El Ansari, vice-président de la commission de la justice au Parlement. Plus encore, l'intéressé qui ne cesse de clamer son innocence n'a pas non plus invoqué son immunité pour, éventuellement, se soustraire à la poursuite judiciaire. «La levée de l'immunité est un faux débat, car les textes sont clairs. Mais aussi bien les parlementaire eux-mêmes qu'une partie de l'opinion publique continuent à maintenir l'ambiguïté», précise Abdellatif Ouammou, conseiller PPS et membre de la commission de la justice de la deuxième Chambre. «D'abord, explique-t-il, l'immunité n'est pas un privilège personnel que s'octroient les parlementaires. Elle est limitée à l'exercice de leur mandat de représentants de la nation, c'est-à-dire à leur liberté d'expression». Pour ce parlementaire, la loi est claire, ou bien un député ou conseiller est mis en cause et le parquet doit suivre la procédure où il est innocent et, dans ce cas, il ne doit pas être inquiété. «Il faut appliquer la loi», affirme-t-il. Une question de procédure ou de manque de volonté de l'Etat ? Dans les faits, il existe deux types d'immunité, celle objective qui couvre les opinions des parlementaires et leurs actes dans le cadre de l'exercice de leur mandat et celle d'ordre procédurale. Cette dernière empêche l'arrestation et la détention d'un parlementaire même s'il est impliqué dans un délit ou crise tant qu'il n'est pas pris en flagrant délit. Il faut dire que, dans les deux cas et même si elle est engagée, il n'est pas aisé de faire aboutir une procédure aussi complexe et lente qu'est celle de la levée de l'immunité parlementaire. Depuis 1962, date à laquelle le Parlement moderne marocain a vu le jour au Maroc, une seule procédure du genre a été engagée et menée à terme. C'était en 1999 et concerne un certain Mohamed Seghir, ancien député MDS (Mouvement démocratique et social) de Taroudant impliqué dans une affaire d'émission de chèques sans provision. Le Parlement a voté la levée de l'immunité. Depuis cette date, d'autres demandes de levée de l'immunité ont bien été adressées au Parlement, mais elles sont restées sans suite. Toutes ces autres initiatives, et elles se comptent par dizaines, ont buté sur le solide rocher de la «solidarité parlementaire». Car ce sont, avant tout, les parlementaires qui décident, au nom d'une interprétation biaisée de l'article 39 de la Constitution, si l'un de leur collègue va être poursuivi ou non en justice, durant son mandat. Or, aujourd'hui, la situation est autre. Alors que la majorité des slogans scandés dans la rue appellent à en finir définitivement avec la corruption, le détournement de biens publics et l'impunité, une telle situation est pour le moins incongrue. «Dans le cadre de la lutte contre l'impunité, il faut faciliter les procédures de poursuite contre les parlementaires impliqués dans des affaires en justice. Il est inadmissible, surtout en ces moments que traverse le pays, que des représentants de la nation qui légifèrent au nom de celle-ci soient mêlés à des affaires en justice. Le parlementaire devrait être irréprochable», affirme Abdelwahed El Ansari. Et ce ne sont pas les affaires dans lesquelles ces derniers sont impliqués qui manquent : créances non honorées, faux et usage de faux, chèques sans provision et malversations. Les dernières commissions d'inspection de l'IGAT (Inspection générale de l'administration territoriale) et de la Cour des comptes viennent alourdir cette liste avec la mise au jour des affaires de détournement de fonds et de corruption. Si aucune procédure de levée de l'immunité n'a été engagée, du moins pour les quatre parlementaires cités , «c'est que le gouvernement, et principalement le ministère de la justice, n'a pas fait son travail», estime El Habib Choubani, député PJD et ancien président de la commission de la justice. «C'est une question de volonté du gouvernement de lutter contre la corruption», affirme-t-il. Ainsi, pour le député islamiste, à chaque fois qu'il y a flagrant délit ou qu'un député est impliqué dans une affaire qui débouche sur une poursuite judiciaire, il faut que la procédure soit engagée et que la commission chargée de statuer sur la demande de levée d'immunité se réunisse et accomplisse son travail. Pour ce député, ce n'est pas une question de textes ou de leur interprétation. En ce sens, la loi 17.01 qui encadre l'exercice de ce droit contenu dans l'article 39 de la Constitution est claire. Abdelwahed El Ansari estime, lui, qu'il faudrait, par contre, amender ce texte dans le sens d'une plus grande facilité et fluidité de la procédure. «La situation que traverse le Maroc actuellement l'exige», affirme-t-il. Chose qui ne semble pas aisée, sachant que le débat de cette loi a mis quatre années pour sortir du Parlement. Et pour cela, il a été accompagné par une forte campagne de pression du gouvernement, initiateur du projet. Un article dans la Constitution et une loi et pourtant le flou demeure Le ministère de la justice, chapeauté alors par Omar Azziman, est allé jusqu'à rendre publics des chiffres pour le moins choquants qui avaient été publiés à l'époque par La Vie éco (www.lavieeco.com). Ainsi, entre 1998 et 2002, une centaine de cas dans lesquels sont impliqués les parlementaires des deux Chambres ont été répertoriés. Il a été fait état de 48 enquêtes préliminaires dans lesquelles des parlementaires ont été mis en cause. Cela, en plus des 51 dossiers qui ont été déférés devant les tribunaux et dans lesquels des élus de la nation ont été impliqués. La loi a fini par être adoptée en 2004 et promulguée après un passage devant le Conseil constitutionnel. Pendant les six années qui ont suivi sa mise en œuvre, elle n'a jamais été invoquée. Abdellatif Ouammou estime que «c'est un problème global de défaillance dans le système de gouvernance. Le parquet ne peut pas engager la procédure de levée de l'immunité contre un parlementaire sans en avoir reçu les instructions». Ce n'est donc, a priori, pas une question de textes. Certains partis politiques estiment néanmoins qu'il faudrait trancher la question une fois pour toutes, en clarifiant le texte de la Constitution. C'est ainsi que des formations comme le PAM, le Mouvement populaire ou le RNI sont revenues sur cette question dans les propositions qu'elles ont soumises à la commission chargée de la réforme de la Constitution. Le MP demande de définir d'une manière claire et précise le concept de l'immunité alors que le RNI exige que soit spécifié dans la Constitution que celle-ci ne vaut pas pour les affaires de droit commun. Le PAM, quant à lui, propose que soit clairement notifié dans la loi suprême que l'immunité parlementaire soit limitée aux opinions exprimées par les parlementaires lors de l'exercice de leur mandat. Encore une fois, et dans principalement tous les domaines, c'est la mise en œuvre des textes qui pose problème. Mais, cette fois, le ton est donné, tous les Marocains sont égaux devant la justice et la prévarication, la dilapidation et le détournement des biens publics ne resteront plus impunis. En tout cas pas dans ce Maroc d'après le 9 mars 2011. L'Etat s'y engage.