La levée en euros du Trésor a neutralisé l'effet du creusement du déficit budgétaire sur les taux. La situation des finances publiques ne devrait pas s'améliorer en 2011 : une lègère menace de hausse existe. L'Etat reste cependant très prudent pour ne pas enrayer l'économie par une hausse des taux et garde la possibilité de lever des ressources ailleurs. Les taux des bons du Trésor n'ont finalement pas augmenté durant cette année, et la stabilité devrait se poursuivre jusqu'à fin décembre. Les taux primaires (taux des titres nouveaux émis par adjudication) affichent certes des progressions dépassant les 60 points de base (pb) par rapport à fin 2009 (voir graphique en page suivante), mais il ne s'agit en fait que d'un simple ajustement technique suite au retour du Trésor sur les maturités longues (10 ans et plus), après plus de trois ans d'absence dans le but de ne pas impacter à la hausse les taux d'intérêt des crédits immobiliers. Au sujet de ces derniers, il faut rappeler que le taux de référence est devenu depuis mai 2010 le taux moyen pondéré (TMP) interbancaire et non pas le taux des bons du Trésor à 10 et à 15 ans. En revanche, si l'on observe l'évolution des taux secondaires (rendements exigés lors des échanges entre investisseurs sur le marché secondaire), on constate clairement que la tendance est plutôt stable. Certaines maturités ont même perdu quelques points de base (-7 pb pour les titres à 15 ans par exemple), alors que les autres n'affichent que de légères progressions. 18,3 milliards de DH de déficit budgétaire à fin août Pourtant, la situation du Trésor, plus difficile cette année par rapport à 2009, n'est pas de nature à favoriser cette stabilité des taux. A fin août 2010, le solde budgétaire du Trésor affiche en effet un déficit de 18,3 milliards de DH, contre un excédent de 5,1 milliards un an auparavant. Cette dégradation des finances publiques s'explique, selon les analystes de BMCE Capital Markets, par «la hausse des charges de compensation suite à l'envolée des prix du pétrole et ceux de certaines denrées alimentaires, la légère baisse des recettes fiscales et la hausse des charges de fonctionnement de 3,7 milliards de DH». Dans ces conditions, le Trésor a levé, depuis le début de l'année et jusqu'au 26 octobre, 81,7 milliards de DH, soit plus que le double du montant levé durant la même période en 2009 (tableau en page suivante). Cette envolée des besoins du Trésor devait naturellement se traduire par une hausse des taux obligataires. Mais deux facteurs sont venus apaiser la tension sur les taux. Le premier est l'appétit grandissant des investisseurs institutionnels pour les titres du Trésor. «Les grands investisseurs, notamment les caisses de retraite, ont de plus en plus besoin de placer leurs ressources sur le marché de la dette, ce qui a permis une certaine stabilité des taux», explique Karim El Hnot, directeur de la gestion au sein de CDG Capital Gestion. Le second facteur est la réussite de l'émission du Trésor à l'international le 28 septembre dernier. D'un montant d'un milliard d'euros, contractée sur 10 ans au taux facial de 4,50%, soit un spread de 200 pb au-dessus du taux de référence de cette maturité (mieux que plusieurs pays de la zone euro), cette levée permettra au Trésor de boucler l'exercice 2010 avec plus de sérénité. En anticipation à cette rentrée de fonds, les investisseurs ont amélioré leur offre en termes de taux durant le troisième trimestre 2010. Malgré le succès de la levée à l'international, le Trésor devrait rester présent sur le marché de la dette intérieure durant les deux prochains mois. «Le Trésor ne va pas déserter le marché des adjudications, car s'il diffère ses sorties jusqu'en 2011, son retour risquerait de tirer les taux à la hausse», estime un analyste. De plus, la pression sur les finances publiques devrait se poursuivre. «L'Etat devrait procéder à des arbitrages majeurs compte tenu d'une charge additionnelle de compensation de 12 milliards de DH, suite à la poursuite des tensions sur les prix des céréales et de la hausse du prix du baril à plus de 80 dollars, de la baisse des recettes de l'IS de 5,6 milliards de DH et de la hausse des dépenses de fonctionnement de 4 milliards. Le scénario le plus probable est un redéploiement de budget de quelques ministères pour alléger le déficit public», expliquent les analystes de BMCE Capital Markets. Dans ce contexte, les professionnels du marché de la dette estiment que les taux devraient rester stables jusqu'à la fin de l'année. Toutefois, ils précisent que l'attention des investisseurs est portée surtout sur 2011. Un déficit budgétaire de 29,5 milliards de DH prévu en 2011 En termes de déficit budgétaire et de besoins du Trésor, les analystes prévoient que 2011 sera similaire à cette année. Les données du projet de Loi de finances le confirment d'ailleurs. Le solde budgétaire est attendu pour atteindre un déficit de 29,5 milliards de DH, soit un niveau proche des 32 milliards retenus dans la Loi de finances ajustée de l'année 2010. Les recettes ordinaires devraient évoluer, selon le projet de loi, de 8,2% en 2011, à 179,5 milliards de DH, et les dépenses globales de 5,3% pour atteindre 209 milliards de DH. Cette situation budgétaire, combinée à une offre des investisseurs qui devrait rester soutenue, devrait permettre la poursuite de la stabilité des taux obligataires au cours de 2011. Néanmoins, les analystes estiment qu'un léger risque de hausse menace la stabilité prévue. En effet, les hypothèses retenues pour le calcul de certains postes budgétaires dans le projet de Loi de finances pour l'année 2011 sont jugées trop optimistes par certains investisseurs institutionnels et gérants de portefeuilles. Il s'agit notamment des recettes fiscales qui devraient évoluer, selon le projet de loi, de 5,7%, à 158,1 milliards de DH, et de la charge de compensation qui a été fixée pour l'année 2011 à 17 milliards de DH seulement, contre une charge prévue de 25 milliards pour l'année en cours dans la Loi de finances ajustée de 2010. «Si la croissance économique ressort moins forte que ce qui est prévu et si la flambée des prix des matières premières se poursuit au même rythme que cette année à l'international, les recettes fiscales risquent de ne pas atteindre le niveau escompté et la charge de compensation pourrait dépasser l'enveloppe prévue», estime un analyste. Dans ce contexte, le déficit budgétaire pourrait dépasser le seuil des 30 milliards de DH, et le recours du Trésor au marché de la dette pourrait s'accentuer, ce qui risque de tirer à la hausse les taux obligataires. Le Trésor n'exclut pas une seconde levée en devises en 2011 Les professionnels du marché de la dette tiennent toutefois à préciser que même s'il y a une hausse des taux en 2011, elle sera limitée en ampleur, surtout si le Trésor effectue une deuxième levée à l'international, chose que le projet de Loi de finances n'exclut pas, et si l'Etat procède à la cession des 8% du capital de Maroc Telecom, opération devant générer une recette de près de 9 milliards de DH. Mais ces professionnels ne manquent pas non plus d'attirer l'attention sur l'impact potentiel d'une telle hausse sur les secteurs économique et financier. D'une part, une hausse des taux obligataires fait baisser la valeur des anciens bons du Trésor, car ces derniers commencent à rapporter moins que les nouveaux. Cette situation se traduit par la dépréciation des portefeuilles obligataires détenus par les compagnies d'assurance et les caisses de retraite. Elle limite également les performances des Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) investis en obligations. D'autre part, une pression haussière sur les taux des bons du Trésor peut se traduire par un relèvement des taux d'intérêt des crédits à l'économie. En effet, certains types de crédits, notamment à destination des entreprises, sont toujours indexés sur les bons du Trésor, et un relèvement au niveau des taux de ces titres se traduirait mécaniquement par une hausse des taux de ces prêts. Pour les particuliers, même si les taux des crédits immobiliers ne sont plus indexés sur ceux des bons du Trésor, ils peuvent être impactés par simple effet d'éviction. Car si le coût de l'argent prêté au Trésor, qui plus est sans risque, augmente de manière sensible, les banques auront tout intérêt à acheter des bons du Trésor au lieu de distribuer des crédits à une clientèle plus risquée, moyennant un spread (prime de risque) devenu faible. Dans ce cas, les taux appliqués à la clientèle augmenteront, même si leur base, qui est le TMP interbancaire, reste inchangée, car les banques auront revu à la hausse leurs primes de risque.