La Caisse, qui gère l'Amo pour le public, dépense 450 MDH par an pour sa pharmacie dont 70% en princeps. Les princeps seront désormais achetés uniquement en cas d'inexistence du générique. Marges des pharmaciens trop élevées, formule de fixation des prix biaisées…, ce que dit le directeur de la CNOPS. Trois ans après son entrée en vigueur effective, l'assurance maladie obligatoire commence à peser sur le mode de fonctionnement des organismes gestionnaires, obligés de rationaliser leurs charges pour assurer la pérennité d'un régime qui devrait connaître ses premiers déficits en 2013. Des débats qui, naturellement, opposent les gestionnaires du régime d'un côté, en l'occurrence la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS) pour les salariés du privé et la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) pour ceux du public, d'un côté, et les prestataires de soins de l'autre, notamment les médecins du secteur privé et les cliniques. D'ailleurs le blocage sur la révision de tarification nationale illustre bien cet antagonisme. Mais il n'y a pas que cela. A côté du coût des prestations, celui des médicaments est également un enjeu dont il faudra tenir compte. C'est dans cette optique que la Cnops a décidé d'ailleurs de mettre en application des mesures drastiques, et notamment sa pharmacie, qui fournit aux assurés atteints de pathologie lourdes (cancers, hépatites, sclérose en plaques… ) des médicaments à titre gratuit figurant sur une liste qui en compte environ 150. 1,3 milliard de DH pour la pharmacie de la Cnops depuis le démarrage de l'Amo En 2009, le budget alloué à cette pharmacie est de 452 MDH dont près de 70% est consacré à l'achat de médicaments élaborés par les laboratoires qui ont eux-mêmes développé les molécules en question. Ces médicaments sont appelés princeps et trois multinationales pharmaceutiques fournissent, en valeur, 83% des approvisionnements de la Cnops. Et la facture ne cesse de s'alourdir. Depuis l'entrée en vigueur de l'Amo, la Cnops a déboursé près de 1,3 milliard DH rien que pour son poste pharmacie, sans compter les médicaments achetés par les autres assurés auprès des officines et remboursés ensuite. Toutes catégories de maladies confondues, le poste médicament représente, en moyenne, 47% de la facture. Ce qui, pour le directeur de la Cnops, Adelaziz Adnane, est «inadmissible car dans des pays où l'assurance maladie est développée, le médicament ne représente pas plus de 20% de la facture». Pour ce qui est des soins ambulatoires, le médicament pèse encore plus lourd avec une proportion qui peut aller jusqu'à 60 à 70% pour un dossier moyen. Pour le directeur de la Cnops, «la pérennité de l'Amo passera inévitablement par une réforme globale de la politique de médicament». Pour lui, si le médicament pèse aussi lourd c'est principalement pour deux raisons majeures. La première tient au fait que le médicament générique a aujourd'hui un faible taux de pénétration dans le système de santé marocain : à peine 29% des produits utilisés sont des génériques, le reste étant des princeps qui, eux, sont bien entendu les plus chers. Et c'est la raison pour laquelle les responsables de la Cnops ont décidé de ne plus acheter dorénavant que des médicaments génériques pour la pharmacie de la caisse. Bien entendu, en cas d'absence du générique pour une molécule donnée, l'achat de princeps sera incontournable, mais on assure que la plupart des produits figurant dans la liste disposent déjà de «copies». Une décision qui ne fera certainement pas plaisir aux multinationales mais que le directeur de la Cnops entend appliquer fermement. Dans la foulée, ce dernier multiplie depuis quelques semaines les rencontres avec les collèges de certaines spécialités notamment les plus gros prescripteurs comme les oncologues, les néphrologues, les gastro-entérologues et les médecins internes. L'objet de ces réunions est de «sensibiliser les médecins à la nécessité de prescrire autant que faire se peut les médicaments génériques qui sont moins chers», explique M. Adnane qui indique d'ailleurs que «les médecins ont été très réceptifs à la démarche». Pour les convaincre, le patron de la Cnops n'y est pas allé par quatre chemins : «Nous leur avons expliqué que, si demain la Cnops n'a plus de quoi payer, nous serons tous perdants». Baisse des marges : une décision qui revient au ministère de la santé Mais la question du générique n'est pas le seul volet important du dossier. Il y a l'autre aspect tout aussi crucial et non moins épineux : les prix. Là aussi, le responsable de la Cnops n'hésite pas à mettre le doigt sur la question de la cherté du médicament tout en saluant le fait que «c'est la première fois que la question des prix du médicament est soulevée au Maroc grâce au processus enclenché par le ministère de la santé». Mais si le médicament est encore «inaccessible» au Maroc c'est, selon M. Adnane, pour deux raisons essentiellement. La première réside dans le système de fixation des prix par le ministère de la santé qui date de 1969 et qui prévoit comme référence des prix dans les pays d'origine. La deuxième raison, toujours en relation avec le système de fixation des prix, réside, selon la Cnops, dans «l'aberration d'accorder, y compris pour les médicaments coûteux, des marges ad valorem de 10% aux grossistes et de 30% aux pharmaciens». Pour le directeur de la caisse, ces marges devraient plutôt être dégressives en fonction du niveau des prix. Pour convaincre les professionnels, la Cnops annonce dans la foulée une autre nouvelle. Les assurés souffrant de pathologies lourdes et bénéficiant de prises en charge totale, qui à ce jour n'ont d'autres choix que de prendre leurs médicaments auprès de la pharmacie de la Cnops à Rabat, pourront à partir de fin 2010 se les procurer chez n'importe quelle pharmacie dans leur ville. En somme, la Cnops accepte de transférer l'activité de sa pharmacie aux pharmaciens surtout qu'il s'agit de médicaments très chers. Mais pour cela, la caisse pose une condition : ils doivent accepter de baisser leurs marges. Or, les pharmaciens ne sont pas habilités seuls à le faire étant donné que la question est réglementée par le ministère de la santé. Il faudra donc attendre l'issue des négociations actuelles entre le ministère, les industriels et les autres acteurs (grossistes et pharmaciens) dans lesquelles la Cnops n'est pas partie prenante. Mais cela ne l'a pas empêché de peser de tout son poids dans les pourparlers. Finalement, du moins selon le directeur de la caisse, «les pharmaciens sont disposés à appliquer des marges symboliques sur certains médicaments». En donnant la priorité aux génériques et en obtenant des prix réduits pour les médicaments, l'objectif de la Cnops n'est pas seulement de maîtriser la dépense mais aussi de pouvoir utiliser les montants économisés pour d'autres postes sous-payés. M. Adnane promet, en effet, d'être plus réceptif aux doléances des médecins qui demandent à revoir les tarifs de leurs actes à la hausse «si nous arrivons à économiser sur les dépenses de la pharmacie, si nous adoptons les règles de la maîtrise médicalisée des dépenses telles que le générique et si, enfin, nous équilibrons nos dépenses entre le secteur public qui capte 10% de nos ressources et le privé qui s'en accapare 53%». Sans tout cela, dit-il, accéder aux demandes des médecins mènerait droit à la catastrophe. Et il en donne pour preuve les dernières projections sur l'évolution des équilibres du régime Amo. Selon une étude d'impact récemment réalisée par la Cnops, l'application des tarifs tels qu'ils sont revendiqués par les médecins feraient passer les comptes de la caisse dans le rouge dès la fin 2010 avec un déficit de 23 MDH, puis 410 MDH en 2011 et 870 MDH en 2012, et encore ! Ces chiffres, expliquent les experts actuaires de la Cnops, ne prennent pas en considération les demandes de hausses tarifaires de toutes les spécialités. Autrement dit, le déficit pourrait être beaucoup plus important.