Le Ministère de la Santé, par BCG mandaté, a entrepris la réforme du secteur du médicament après l'avoir inscrite dans son Plan d'action 2008-2012. Les pistes sont intéressantes : droit de substitution même si les médecins et l'industrie n'utilisent pas les Dénominations Internationales Communes (DCI), marges de 30 à 50% pour les générique, marges dégressives pour le princeps, révision des modes de fixation du prix des médicaments, mise en route d'un processus de crédibilisation du générique par le biais de la bioéquivalence, etc. En fait, la consommation d'un Marocain en médicament ne dépasse pas 400 Dh par an. Paradoxalement, le médicament est le poste le plus consommateur en AMO (45% pour la CNOPS et 34% pour la CNSS) contre moins de 20 % en Belgique et en France. Il pèse lourd même si la consultation chez un spécialiste ou généraliste au Maroc est équivalente à celle en France (en moyenne 200 Dh, contre 23 euros). Médica-montages en AMO et en aval ! En l'absence de médecin de famille et du parcours coordonné des soins, pourtant leviers de la maîtrise médicalisée des dépenses, le ménage marocain est médicalement nomade selon le baromètre de l'ANAM de 2009 et consomme des armoires de médicaments sans suivi ni contrôle et généralement sans couverture maladie (l'AMO couvre 34% de la population, en attendant le RAMED, la couverture des indépendants et des étudiants, etc.) Restons en AMO ! L'inscription d'un médicament sur la liste des spécialités remboursables par l'assurance maladie n'est régie par aucune procédure car la Commission de Transparence domiciliée à l'ANAM est toujours en veilleuse et l'on se rabat sur la Haute Autorité de la Santé de France pour « juger » le service médical rendu (SMR) d'un médicament et décider de « sa remboursabilité ». Après 5 ans d'AMO, ce recours est-il encore acceptable ? Actuellement, cette liste comporte environ 3200 spécialités. Certains médicaments déremboursés à seulement 15% en France figurent toujours dans cette liste, comme plus de 13 autres médicaments des 77 médicaments soumis actuellement sous surveillance accrus par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS) ! L'Anzemet, retiré du marché français en 2009 et jugé par Food and Drugs Administration comme augmentant le risque de troubles cardiaques, ce médicament là est encore remboursable au Maroc ! La liste des médicaments remboursables doit être revue en DCI, en génériques et en SMR pour s'aligner sur la réforme du ministère de la Santé. Elle doit être généralisée car certaines mutuelles complémentaires proposent de rembourser les médicaments… non remboursables en AMO et à des taux bonifiés selon un SMR jugé par ces mutuelles satisfaisant ! Générique ? Générique toi-même !!!! Il n'existe aucune règle de déontologie ou « une charte d'une visite médicale de qualité » qui encadre la relation entre le médecin et les représentants des laboratoires qui sont souvent accueillis en priorité dans certains cabinets. Conséquence, la majorité des prescriptions, à en croire le rapport de la commission parlementaire de 2009, ciblent les spécialités « efficaces commercialement mais scientifiquement biaisés », comme le rapportait une mission de l'IGAS-France en 2007. Résultat! Ordonnances subventionnées et sans encadrement juridique, absence de lignes de prescription, courtoisie croisée entre certains médecins et laboratoires d'analyses, séminaire guidé de formation, confusion entre information et marketing, ciblage des princeps les plus coûteux, montage « d'associations de patients », (lobby évoqué dans le rapport parlementaire), ou encore l'offre de médicaments princeps à des hôpitaux publics que des voix commencent à dénoncer en… France ! Le décrochage vers le générique que le Ministère de la Santé semble déterminé à promouvoir est naturel. Le président de la mutualité française estime l'économie générée par ce swtich pour la collectivité à environ 900 millions d'euros ! De quoi faire rêver les organismes gestionnaires. Mais, ce décrochage n'est pas aussi facile car la désaffection à l'égard du générique est programmée. Le dénigrement sur la qualité des génériques et sur le potentiel généricable, la faiblesse des réseaux de promotion, la désinformation des médecins, l'encadrement juridique de la question de la bioéquivalence, le resserrement des marges d'innovation et la bascule des blockbusters dans le domaine public, ainsi que le risque d'érosion des marges des pharmaciens sont là pour bloquer le taux de pénétration du générique à 29%. Aux Etats-Unis, la promotion du générique figurait parmi les axes prioritaires de la réforme d'Obama (un taux de pénétration du générique de plus de 60%). En France, les délégués de l'Assurance Maladie (DAM) prennent attache, dans le cadre des CAPI (Contrats d'Amélioration de la Pratique Individuelle), des médecins et des pharmaciens pour les « coacher » à réaliser l'objectif de 80% de prescription ou de substitution générique. En Europe du Nord, l'on se pavane déjà de franchir le cap de 90% de pénétration du générique. Mobilisation du mode tiers payant, taux bonifié de remboursement, formation continue, etc. sont autant de leviers d'intéressement utilisés, dans plusieurs pays comme la France, l'Allemagne, pour inciter médecins et pharmacien à décrocher générique. Le Ministère de la Santé, quant à lui, se base dans ses achats en médicaments sur le générique, même si nous ne savons pas si les prescriptions des médecins des établissements publics s'alignent sur cet objectif. Il veut jouer sur les marges des pharmaciens qui, ad valorem, se maintiennent à 30% …depuis 1969 en leur accordant un droit de substitution indexé à une échelle mobile de gain sur les marges. En appui, les médecins prescriront en DCI, ce qu'ils ne feront pas de gaieté de cœur puisqu'ils perdront tous les « avantages collatéraux », tous comme les pharmaciens qui seront assignés à leurs officines pour switcher, l'œil éveillé sur leur marges. Quant aux grossistes (marges de 10%)! on n'en parle pas encore ! Côté AMO, l'ANAM s'était essayée à la communication sur le générique, mais à défaut de relais et d'appui, l'évolution du générique est restée très sage. Quant à la CNOPS, elle a tenté en juin dernier l'expérience de n'admettre dans les achats de sa pharmacie en médicaments coûteux que les spécialités génériques. 7 mois après, la CNOPS a généré une économie de 13 millions de DH et certains laboratoires ont baissé leur prix de 70%. Autant en emporte le médicament ! La réforme du Ministère de la Santé ne repositionne pas tous les acteurs dans la prévention, ne s'intéresse pas au rôle des facultés de médecine dans la prescription du générique et n'aborde pas suffisamment certains phénomènes naissants encore résiduels, comme les commandes en ligne des médicaments, l'importation frauduleuse de médicaments, les faux médicaments, etc. Toujours est-il qu'il faut reconnaître au Ministère de la Santé le mérite de dépoussiérer ce dossier qui sommeillait depuis les années 90 au risque de se réveiller sur une enfilade de polémiques et sur le déficit des organismes gestionnaires. Toutefois, si les praticiens, les pharmaciens et les laboratoires « ne jouent pas le jeu », nous aurons simplement le même scénario du quiproquo prestataires-gestionnaires AMO sur des tarifs que les premiers scrutent en hauteur et les deuxièmes en profondeur !! *Responsable de la communication