Les médecins, les pharmaciens et les industriels sont pointés du doigt. Ils n'encourageraient pas l'utilisation des génériques. Chacun se défend de cette accusation. En l'état actuel des choses, le ministère de la Santé et l'ANAM (Agence Nationale de l'Assurance-Maladie) semblent aujourd'hui les seuls à vouloir encourager à tout prix le recours aux médicaments génériques, dont le taux de pénétration n'atteint d'ailleurs que 25%. Les raisons sont évidentes. On avancera d'abord l'intérêt de rendre l'accès à la médication plus accessible en raison de la faiblesse du pouvoir d'achat des Marocains. Ensuite, on évoquera la réduction des coûts et des frais de remboursement pour les organismes étatiques. Les médecins, les pharmaciens et les laboratoires pharmaceutiques ne rentrent que partiellement dans ces considérations puisqu'ils ont aussi des intérêts à protéger. Pas question pour eux d'adhérer à cette nouvelle politique prônée par le ministère de la Santé tant que des préalables ne sont pas mis en place. Pour des observateurs, ce sont eux qui entravent le développement du générique au Maroc. Il est par exemple reproché aux médecins leur (excessive) proximité avec les laboratoires pharmaceutiques qui les pousse à prescrire plus de princeps (produits de marque) que de génériques (leurs équivalents sous une autre dénomination). En leur payant des formations, en leur offrant des cadeaux, les industriels empêcheraient les médecins de garder leur objectivité. Ils leur deviennent alors redevables et sont plus tentés de prescrire des princeps plutôt que des génériques. Les médecins sont persuadés que cette polémique est alimentée par les organismes gestionnaires. Pour eux, ces derniers souhaitent responsabiliser les médecins pour camoufler leur incompétence. «On veut faire porter le chapeau au médecin en faisant croire qu'il ne veut pas participer à la réduction des dépenses des soins de santé. Il faut d'abord savoir que les 18.000 médecins privés ne prescrivent que 30% des médicaments vendus au Maroc. Le reste se fait sans prescription. Pourtant, le passage par un médecin généraliste par exemple peut économiser jusqu'à 35% des dépenses», tient d'abord à préciser Mohamed Naciri Bennani, président du SNMSL (Syndicat National des Médecins du Secteur Libéral). Les praticiens ne voient donc pas d'inconvénients à prescrire les génériques, mais seulement ceux qui ont une garantie pharmacodynamique. Le syndicat a même soumis une proposition au département de tutelle pour exiger des études de bioéquivalence des génériques avant d'autoriser leur vente. Les médecins vont plus loin pour montrer leur bonne foi. Il y a près d'un mois, ils ont présenté à Yasmina Badou et à des parlementaires, un projet qui consiste à élaborer un texte de loi qui stipule une prescription (de leur part) de médicaments en dénomination commune internationale (DCI), c'est-à-dire un nom non commercial qui permet de grouper les substances par familles thérapeutiques. «Dans ce cas-là, le médecin n'a plus de lien avec les laboratoires pharmaceutiques», laisse entendre Dr Bennani. Et de poursuivre : «mais pour y arriver, il faut fournir la garantie que tous les médicaments vendus ont cette bioéquivalence». Jusqu'à présent, le ministère de la Santé n'aurait pas donné de feed-back. Ils refusent la révision des marges… Qu'en est-il du côté des pharmaciens? Ils ne cessent de répéter à qui veut bien l'entendre que leur corporation conseille depuis des années l'utilisation des génériques. Selon Anouar Fennich, le président de la fédération nationale des syndicats des pharmaciens du Maroc, les génériques sont des médicaments comme les autres, de bonne qualité. «Lorsque les pharmaciens recourent, à la demande des patients, à la médication officinale (NDLR : un terme qui remplace l'automédication), ils conseillent le générique parce qu'ils tiennent compte de leur pouvoir d'achat. Nous avons une relation de proximité avec eux». Mais, selon des sources dignes de foi, lorsqu'ils sont sollicités, beaucoup de pharmaciens ne prescrivent pas forcément de génériques. «Ils ne font pas leur choix entre les princeps et les génériques mais plutôt entre médicaments selon les laboratoires qui les fabriquent». S'ils privilégient la distribution des princeps, c'est qu'il y a une raison. De nombreux pharmaciens souffrent de la dégradation de leur situation financière. «Les 30% de marge qu'ils perçoivent sur un princeps leur rapportent plus que les 30% sur un médicament générique», confie l'une de ces sources. Ce niveau est considéré comme une référence. Il ne faudrait pas le toucher. Pourtant, un projet avait circulé il y a quelques mois portant sur sa révision. Pour convaincre, les pouvoirs publics avaient avancé l'augmentation des volumes de vente des produits. Mais la sauce n'a pas pris. «Nous n'accepterons jamais la révision de nos marges à la baisse. On nous avait promis une augmentation des volumes de ventes, mais jusqu'à aujourd'hui, ni le ministère, ni les organismes gestionnaires ne savent comment faire avec les médicaments de manière générale et celle des génériques en particulier pour nous assurer plus de ventes. Il n'y a pas de visibilité, pas de tableau de bord », déplore Fennich. Il continue : «on nous avait dit qu'avec l'introduction de l'AMO, les volumes de ventes augmenteraient. Pourtant, l'AMO n'a eu aucune incidence sur les pharmacies d'officine». Une information contestée. Un des organismes gestionnaires aurait injecté en l'espace de trois ans plus de 7 milliards de dirhams dans le cadre de l'AMO, dont 3 milliards en soins ambulatoires. En grande partie, apprend-on, cet argent serait entré dans les caisses des pharmaciens. Le droit à la substitution Quoi qu'il en soit, les pharmaciens, qui revendiquent le droit à la substitution (le droit de remplacer un médicament par son générique moins cher), devront prendre leur mal en patience parce que le département de tutelle ne s'est pas encore exprimé sur les différents projets qui lui sont soumis. Par contre, ils s'expriment favorablement quant à la proposition des médecins. Les pharmaciens ne voient pas d'objection à ce que les ordonnances des médecins comportent des prescriptions de médicaments à dénomination commune internationale (DCI) plutôt qu'à dénomination purement commerciale. «Les médecins d'abord et les pharmaciens ensuite, doivent être préparés à cela », conclut Anouar Fennich. Si le système des DCI est adopté, les mêmes reproches que l'on faisait aux médecins (partialité dans l'octroi des médicaments) seront simplement transférés d'un corps de métier à un autre. Bref, la machine n'est pas encore huilée. Il reste des réglages à faire pour que tout le monde accepte (enfin) les génériques. Comme le ministère de la Santé, les organismes gestionnaires (CNSS, CNOPS) approuvent leur utilisation (ils n'ont d'autres choix d'ailleurs puisque cela leur reviendra moins cher). Mais à leur tour, ils souhaiteraient qu'une vraie politique de l'Etat soit installée dans ce sens. Au lieu d'accentuer les efforts sur les campagnes de sensibilisation, un régime incitatif devrait être mis en place. Pour consommer plus de génériques, certains vont même jusqu'à proposer quelques solutions : instaurer par exemple des marges dégressives. Plus le prix du médicament est bas, plus la marge du pharmacien augmente. A bon entendeur salut ! Christophe Gourlet, directeur général de Sanofi Aventis et Président de Maroc Innovation et Santé Challenge Hebdo : quelle est la position des différents membres de MIS à propos du développement des génériques au Maroc? Christophe Gourlet : la position des membres de MIS sur les génériques est claire : le marché des médicaments est composé de médicaments innovants, de médicaments classiques (produits plus anciens), et de génériques. Les génériques ont donc toute leur place sur le marché et favorisent ainsi l'accès aux médicaments. Les membres de MIS s'inscrivent totalement dans la stratégie du ministère de la Santé pour promouvoir les médicaments génériques. Ils doivent toutefois être soumis à des tests de bioéquivalence afin de démontrer que leur efficacité est similaire à celle des princeps. C. H. : Qu'est-ce qui vous empêche d'écouler sur le marché plus de ces médicaments? C. G. : les médicaments génériques au Maroc représentent une part de marché de 25%. La décision de produire et de commercialiser des génériques est propre à chaque laboratoire. Si nous voulons accélérer le développement du générique au Maroc, il faut qu'une politique du générique soit définie et mise en place. C. H. : Existe-t-il une péréquation «idéale» (exp: commercialiser 30% de princeps et 60% de génériques) ? C. G. : le plus important à nos yeux est la disponibilité d'une offre de soins et de médicaments efficace et accessible concernant l'ensemble des pathologies. Il n'y a pas de péréquation idéale, cela dépend des conditions et de l'environnement de chaque pays.