La problématique du prix du médicament ne cesse d'alimenter la polémique. La table-ronde initiée par Transparency Maroc pour débattre de la gouvernance et de la transparence du secteur, tenue mardi dernier à Casablanca, s'est transformée, sans grande surprise, en un véritable ring. Chaque partie a brandi ses armes pour défendre ses intérêts. Ali Sedrati, président de l'AMIP (Association marocaine des industriels pharmaceutiques), tout en maintenant ses critiques virulentes sur les conclusions de la mission parlementaire faisant état de la cherté « anormale » du médicament, défend les siens en mettant en exergue leur contribution dans le développement du secteur du médicament national. « La technologie développée par les opérateurs industriels du médicament et la qualité infaillible de leurs produits ont fait du Maroc l'un des pays les plus avancés dans le domaine. Le Maroc n'a rien à envier aux pays d'Europe dans la fabrication du médicament», souligne-t-il tout en louant les efforts de l'Administration pour réglementer le secteur. Et d'attaquer les députés, représentés à cette rencontre par Khalid Hariri, rapporteur de la mission parlementaire sur le prix du médicament. «Il faut comparer le comparable. La comparaison avec la Tunisie et la France n'a pas de sens, elle n'a pas lieu d'être». Sedrati n'a pas manqué de lancer de vifs reproches aux parlementaires quant à leur approche adoptée dans l'analyse du prix du médicament. Le consultant de l'AMIP, Abdel Majid Belaiche, qui a réalisé l'étude des industriels, s'emporte et lance sur un ton cru à Khalid Hariri : «Les chiffres contenus dans votre rapport sont faux. Vous auriez dû confier l'enquête à un cabinet d'étude spécialisée dans le domaine. De cette façon, vous auriez évité les reproches». Le rapporteur de la mission parlementaire, gardant son calme et sa courtoisie habituels, réitère son appel à l'urgence de la révision des procédures de fixation du prix du médicament. A ce sujet, Rahal Mekkaoui, Secrétaire général du ministère de la Santé rétorque qu'une nouvelle formule basée sur un benchmarking international fait actuellement l'objet de discussions entre le ministère et les industriels. L'homme fort du département de Baddou rappelle également qu'une agence du médicament est en cours de création. Lors de son intervention, Mekkaoui a énuméré les actions entreprises par le ministère de la Santé pour faciliter l'accès du médicament aux patients notamment la baisse du prix de près de 200 spécialités pharmaceutiques utilisées dans le traitement notamment du cancer, de l'hépatite et des maladies cardiovasculaires. Lors des discussions, la question de l'emprise des industriels pharmaceutiques sur les médecins a été soulevée avec acuité par Khalid Hariri et Abdelaziz Adnane, directeur général de la CNOPS (Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale). Les opérateurs industriels n'ont pas réagi sur ce point épineux. «La part des génériques est très faible par rapport aux princeps dans nos dépenses. Pour mettre fin à la complicité des médecins avec les industriels, il faut institutionnaliser la prescription de l'ordonnance par DCI (Dénomination commune internationale) et mettre en place un cadre légal pour asseoir des règles juridiques qui assurent la transparence dans les relations prescripteurs/industriels», insiste le patron de la CNOPS, qui attire la sonnette d'alarme quant à la viabilité du régime d'Assurance maladie obligatoire. «La marge était auparavant justifiable quand les pharmaciens avaient des laboratoires et fabriquaient des produits , actuellement ils ne sont que des commerçants». «La pérennité du régime est menacée si le prix du médicament reste élevé et le générique très peu utilisé». A cette occasion, il suggère des propositions susceptibles de contribuer à la baisse du prix du médicament notamment «l'interdiction d'importer des médicaments princeps quand son générique existe au Maroc» et de «s'orienter vers des licences obligatoires pour casser le monopole des spécialités pour lesquelles il n'ya pas d'alternatives thérapeutiques». A ce sujet, il donne l'exemple de la Thaïlande qui a autorisé la fabrication des médicaments pour le traitement du Sida dont le prix est passé de 500 euros à 40 euros. Abdelaziz Adnane propose également de créer des «groupements d'acheteurs publics pour avoir les prix les plus bas». Par ailleurs, l'appel à la révision de la marge des pharmaciens jugée très élevée a ravivé la polémique. Le patron de la CNOPS a proposé d'adopter une marge dégressive en fonction du prix du médicament, à l'instar de la France. Une proposition qui a suscité la colère des pharmaciens présents dans la salle. «Cette mesure adoptée par la France fait l'objet actuellement de débat. Elle est contestée par les pharmaciens français qui revendiquent son annulation et de revenir à l'ancien mode de calcul de la marge», lance sur un ton coléreux, un membre du Syndicat des pharmaciens de Casablanca. Son président Walid Amri ajoute que «les pharmaciens sont prêts à réduire leur marge de 5% pour les médicaments très coûteux notamment ceux utilisés contre le cancer et qui échappent actuellement à leur circuit». La question de la marge des pharmaciens a été également soulevée par Rachid Filali Meknassi, qui a préféré intervenir à cette rencontre débat sous la casquette d'universitaire et non en tant que Secrétaire général de Transparency Maroc. «La marge était auparavant justifiable quand les pharmaciens avaient des laboratoires et fabriquaient des produits. Cependant, actuellement ils ne sont que des commerçants qui vendent des médicaments fabriquées par l'industrie», note-t-il. Réduire les pharmaciens à de simples commerçants n'a pas plu aux professionnels. Mais ce qui a provoqué un tollé dans la salle est le fait que Meknassi compare leurs officines à des boutiques. Rachid Filali Meknassi a par ailleurs souligné que le marché du médicament est déterminé par l'offre et non la demande. «Ce sont donc les industriels qui décident du médicament à mettre sur le marché et non l'administration ni le patient». En somme, six mois après la publication du rapport de la mission parlementaire sur le prix du médicament, le débat n'est pas clos. Il ne fait que commencer. Les industriels insistent sur le fait que la mise en place d'une politique du médicament doit se faire dans le cadre d'une stratégie globale prenant en considération plusieurs éléments et non seulement le prix. Les parlementaires mettent en garde contre l'option de reléguer le patient au second plan après les enjeux économiques. Etude parlementaire Rappel des principales conclusions Rendu public en novembre 2009, le rapport de la mission parlementaire sur le prix du médicament a brisé le silence sur les dysfonctionnements dans le secteur du médicament. Les principaux points soulevés dans cette étude concernent les prix des médicaments jugés anormalement élevés quelque soit la catégorie des produits. «Les prix pratiqués sont plus chers comparativement à ceux d'autres pays comme la Tunisie et la France». Les parlementaires se disent également choqués par la différence entre les prix d'un même produit qui peut aller de 1 à 7 fois plus. «Le prix d'un même médicament portant la même marque peut varier de 300% selon le canal de distribution», s'indignent-ils. Les enquêteurs soulignent que la prolifération des marques d'un même produit n'est pas toujours justifiable. Ils marquent en rouge que les médicaments les plus chers sont les plus vendus. Ils font référence à la complicité des médecins avec les laboratoires pharmaceutiques. «L'utilisation des produits génériques est réduite, comparativement à d'autres pays et compte tenu du faible pouvoir d'achat des citoyens».