Les tensions sur le marché de l'emploi et la concurrence de destinations low-cost poussent les opérateurs à opérer trois grands changements stratégiques : l'investissement dans la technologie, la revalorisaiton du capital humain et la prospection du marché US. "Soit tu évolues, soit on te bouffe». Ce grand acteur de l'outsourcing au Maroc sait de quoi il parle. En plus de 20 ans, il a su exploiter le bon filon de ce secteur très lucratif pour se positionner aujourd'hui parmi les plus grands, au niveau régional et mondial. Comme lui, plusieurs grands noms du marché, marocains ou détenus par des étrangers, ont réussi à s'adapter à un domaine en perpétuelle transformation. Fini le temps où l'outsourcing était limité à de simples centres d'appels, qu'on préfère d'ailleurs appeler centres de contacts, où les opérateurs traitent les demandes de clients, étrangers pour la plupart, ou font du démarchage commercial. Aujourd'hui, même si cette activité historique demeure très présente, l'outsourcing a pris un véritable virage axé sur la revalorisation du capital humain ainsi que sur l'utilisation et le développement de solutions technologiques innovantes, repositionnant ainsi l'offre marocaine autour de métiers à très forte valeur ajoutée. On parle désormais d'agent robotisé, de digitalisation des process, de robotique et d'intelligence artificielle. Aussi paradoxal que cela puisse être, la pandémie du Covid-19 a été du pain béni pour les grands acteurs marocains, en accélérant leur transformation dans le but de répondre à une demande qui croît à grande vitesse. «Le secteur a connu de véritables transformations. Initialement, nous proposions des solutions humaines. Désormais, grâce à cette évolution technologique, on propose des offres blindées qui vont intégrer notamment l'intelligence artificielle et des agents augmentés. Ceci représente beaucoup d'opportunités pour nous», s'enthousiasme Youssef Chraibi, PDG d'Outsourcia. Un virage technologique vital Figurant parmi les pays les plus compétitifs, notamment sur le marché francophone, le Maroc ne pouvait pas rater ce virage technologique qui lui offre une véritable autoroute d'opportunités. Cette mutation s'opère actuellement au niveau des grands opérateurs et ceux de taille moyenne. Des solutions d'analyse de données (Smart Analytics) sont déployées au niveau de quasiment tous les process pour chaque produit ou service, et proposées au client. La voix du client est ainsi analysée par des logiciels avancés qui proposent des solutions d'amélioration des parcours clients. L'historique du client est également analysé pour lui proposer des services personnalisés, les données démographiques sont passées au peigne fin et les tâches manuelles sont réduites au maximum. C'est dire si la robotisation et la digitalisation sont en marche, avec une panoplie de solutions développées par les groupes marocains. «Nous allons être plus efficaces et nous allons répondre rapidement aux besoins de nos clients, grâce à ces analyses de l'historique des consommateurs par exemple, mais tout en insistant sur ce que l'humain pourrait apporter dans un processus de personnalisation et de vente additionnelle. Nous étions plus dans le support, et nous devenons de plus en plus dans la fidélisation des clients», commente Youssef Chraibi. En somme, le nouveau visage de l'outsourcing au Maroc se résume ainsi : technologie et collaborateurs upgradés. Ces derniers ne se cantonnent plus au backoffice, en traitant des tâches basiques que le robot pourrait faire (comme le renouvellement d'un abonnement), mais traitent des problématiques complexes (comme des erreurs dans la facturation). Des problématiques qui nécessitent de l'empathie, de l'écoute et de l'humain. Les grands acteurs du secteur comme Webhelp, Teleperformance, Sitel, Comdata, Majorel ou encore Intelcia proposent déjà ce type de solutions, confirmant les prémices d'une véritable révolution technologique qui redéfinira le positionnement de l'offre Maroc. Et il était temps. La concurrence, particulièrement du côté tunisien, se fait de plus en plus rude au niveau du coût de la main-d'œuvre. Une montée en gamme était donc plus que vitale pour les opérateurs marocains.
Vers des destinations low-cost «A compétence égale, il est clair que la Tunisie, en termes de salaires, est à 15 à 20% moins cher que le Maroc. Pourquoi ? Parce qu'ils ont dévalué leur monnaie, il y a une crise économique et il y a beaucoup d'acteurs internationaux qui ont quitté la Tunisie, ce qui fait qu'aujourd'hui les jeunes Tunisiens, très bien formés, ont besoin d'emplois. Tout ça fait que la Tunisie est une destination intéressante», nous confie Karim Bernoussi. Le co-fondateur et PDG d'Intelcia s'y est d'ailleurs implanté fin janvier 2023 en reprenant le français Coriolis Service qui dispose de sites en France et dans le pays du Jasmin. Il emboîte ainsi le pas à Youssef Chraibi qui a acquis en octobre 2022 le tunisien PhoneAct. L'internationalisation des groupes marocains n'est pas nouvelle. Intelcia est présente dans 17 pays et figure parmi les plus grands employeurs en Afrique. De moindre taille, Outsourcia s'est déjà implanté dans 5 pays. Mais la nouveauté, c'est que cette croissance externe va aller en s'accélérant les prochaines années, afin de répondre à une demande croissante et dans l'objectif de rechercher des bassins d'emploi plus importants et plus compétitifs. «En Afrique, nous disposons d'un bassin d'emplois plus large et diversifié. On entend poursuivre cette stratégie de croissance externe, d'où l'entrée récente dans notre capital du fonds d'investissement SPE Capital. Nous prospectons plusieurs pays en Afrique et en Europe du Sud pour faire face à un début de pénurie de ressources humaines au Maroc», précise Youssef Chraibi. Selon lui, le marché de l'emploi subit actuellement une tension grandissante et souffre de problématiques de turnover et d'une faiblesse du niveau de la maîtrise de la langue française. Notre interlocuteur tempère toutefois, en précisant que le Maroc reste «notre première destination en termes de taille, de revenus et de nombre d'emplois. Il est vrai qu'une part de la croissance actuelle et à venir va s'orienter vers d'autres destinations, mais ce qu'il faut savoir c'est que le développement d'une destination ne se fait pas au détriment de notre destination d'origine. Notre présence historique au Maroc va continuer de croître également», pronostique-t-il. Le défi est, en effet, d'accompagner la croissance du portefeuille des opérateurs marocains, et le fait de s'implanter dans plusieurs pays leur permet d'être plus réactifs et répondre à des demandes qui peuvent arriver rapidement comme lors de la crise du Covid-19. Quoi qu'il en soit, la destination Maroc, forte d'innombrables atouts, est toujours dans le viseur des investisseurs dans l'outsourcing et de l'offshoring de manière globale. Rien que durant le second semestre de 2022, plus de 20.000 emplois ont été créés grâce à des investissements de grande taille, nous confie un acteur du secteur. Rappelons que le Maroc avait lancé entre 2016 et 2020 des contrats de performance dotés d'incitations alléchantes pour booster les investissements. Même s'il n'y a pas eu d'annonce officielle sur leur renouvellement, ils sont toujours en vigueur et ont permis de drainer d'importantes implantations ces deux dernières années. «Il y a eu énormément de conventions signées dans ce sens ces derniers mois, que ce soit pour des extensions de sites ou de nouvelles installations. La particularité c'est qu'il s'agit d'investissements de taille critique, dont près de 70% de ceux réalisés ce dernier semestre sont français. Toutefois, on commence à attirer de nouveaux grands noms du secteur, d'Amérique du Nord, dans des métiers de pointe comme l'automobile, l'aéronautique, la life science, la cybersécurité, les télécoms...», poursuit notre interlocuteur. Ceci permettra au Maroc de dépasser le cap des 150.000 emplois dans quelques mois. Un chiffre qui devrait monter crescendo les prochaines années grâce au nouveau positionnement du Maroc... aux Etats-Unis. Cap sur le pays de l'Oncle Sam La diversification qualitative, la montée en gamme, l'utilisation des dernières technologies et la maîtrise des langues étrangères comme l'anglais, ont confirmé la pertinence de l'offre Maroc auprès de certains donneurs d'ordre américains. Longtemps cantonné dans le marché francophone, les outsourceurs marocains lorgnent désormais le marché US, premier au niveau mondial, présentant des potentialités extrêmement prometteuses. Il ne s'agira pas que d'un simple relais de croissance, mais d'un marché qui permettra au Maroc d'atteindre un nouveau palier en termes de chiffres d'affaires et une vitesse de croisière à même de positionner le Maroc parmi les plus grands players. Et c'est le bon moment pour prendre son bâton de pèlerin et s'attaquer au pays de l'Oncle Sam. La nouvelle réglementation encadrant le démarchage téléphonique en France, entrée en vigueur cette année, est contraignante et limite le développement de certaines activités basiques opérées depuis le Maroc. D'où d'ailleurs la diversification vers des métiers à forte valeur ajoutée comme l'ingénierie et l'IT. Le ton est donné et le cap est fixé. It's time for action !
INTERVIEW Karim Bernoussi, Co-fondateur et PDG d'Intelcia
«Nous avons des visées sur le marché US» Après une accélération de sa croissance, le groupe à de nouvelles ambitions. Il diversifie ses métiers et lorgne de nouveaux marchés.
Que pèse aujourd'hui Intelcia ? Intelcia a été créé en 2000. Après avoir commencé dans la relation client, nous sommes devenus multiservices. Nous comptons 40.000 collaborateurs dans 17 pays et 95 sites de production. Nous avons un ancrage très important en Afrique (8 pays), concentrant la moitié de nos effectifs. En termes de chiffre d'affaires, nous allons atteindre cette année 830millions d'euros, ce qui nous positionne parmi les grands acteurs de ce domaine au Maroc. Un peu plus de la moitié de ces revenus est réalisée grâce au marché francophone, suivi du marché hispanique et d'Amérique latine (25%). Nous ambitionnons d'atteindre 1,5 milliard d'euros à l'horizon 2025 et de figurer dans le top 10 des acteurs de la relation client. Vous venez de vous implanter en Tunisie. Un marché plus compétitif que le Maroc ? On investit dans une région pour avoir des ressources de qualité. La Tunisie est une destination très compétitive en termes de prix, où les gens sont très bien formés et maîtrisent le français. Il s'agit d'une opportunité pour offrir à nos clients une destination supplémentaire. Nous y allons progressivement. Pour cette acquisition, nous avons un site de 200 positions. Ce sont les clients qui décident de la destination et s'ils ont cette appétence pour le marché tunisien, nous allons installer un site à l'image de ce que nous faisons au Maroc, avec une taille importante pour avoir une marque employeur. Si on reste à la taille actuelle, il vaut mieux fermer et tout basculer vers le Maroc. Quelle est votre stratégie à moyen terme ? Le choix est simple. Soit vous arrêtez de vous développer et vous êtes absorbés par d'autres groupes, soit vous estimez que vous avez une histoire à construire et vous continuez à avancer. La croissance organique que nous pouvons avoir ne nous permet pas d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé à l'horizon 2025. Ça passera à travers deux axes importants. Le premier concerne l'investissement dans notre force commerciale pour soutenir notre croissance organique. Le second est axé autour des implantations et les acquisitions à l'international. Nous avons des visées sur les marchés anglophones (britannique et américain). Aujourd'hui, ça devient compliqué, l'argent est plus cher, les marchés sont tendus, mais ceci ne nous décourage pas pour autant à être à l'affût de toute opportunité qui nous permettra d'atteindre nos objectifs de croissance.